Les dérives d’Antananarivo

16
Les dérives d’Antananarivo
Les dérives d’Antananarivo

Ndimby A., Patrick A.

Africa-Press – Madagascar. Christine Razanamahasoa vient d’être sanctionnée d’une double déchéance, à la fois de son siège de député, et par ricochet, du perchoir de l’Assemblée nationale. Motif: ses récentes attaques frontales contre le pouvoir en place après son retour de voyage à Paris. Avait-elle reçu des promesses de soutien et de protection de la part d’Emmanuel Macron lors de sa visite à l’Elysée, ou bien s’est-elle enhardie toute seule ? Toujours est-il que ses déclarations intempestives ont entraîné sans délai un retour de manivelle de la part d’un clan qui ne se cache même plus de ses dérives autocratiques.

Il est vrai que le comportement de celle qui est désormais l’ex-députée d’Ambatofinandrahana transgresse le principe du mandat impératif. Celui-ci oblige un élu à respecter la ligne du parti qui l’a investi. La défense de Mme Razanamahasoa s’est basée sur une déchéance du parti TGV effective depuis novembre 2003, et a été peu convaincante. D’ailleurs, la logique de l’esprit de l’article 72 de la Constitution aurait voulu qu’elle perde son siège dès ce moment. Toutefois, le pouvoir avait sans doute préféré la ménager et la laisser terminer tranquillement son mandat au perchoir. Mais l’affichage trop manifeste de son opposition au régime, auquel elle est pourtant censée appartenir, a fini par irriter définitivement son ancien clan, d’autant plus qu’elle s’appuyait un peu trop bruyamment sur sa légitimité d’élue.

Le train des déchéances a donc commencé à se mettre en marche, et a emmené Christine Razanamahasoa et le sénateur Herimanana Razafimahefa sur « Iny lalana iny » le 28 mars 2024. On imagine que le parti TGV et ses acolytes du Mapar doivent maintenant commencer à lorgner du côté des députés qui ont rejoint l’opposition depuis la présidentielle de 2023, en particulier dans le clan Siteny, et vers tous ceux qui seraient susceptibles de faire preuve d’indépendance.

Il faut des démocrates pour bâtir une démocratie. Voire même, comme écrivait Frédéric Potier dans une tribune libre du journal Le Monde, « Les démocraties, sans démocrates farouchement résolus à les défendre, ne sont pas plus solides que des châteaux de cartes ». Il faut des actes au-delà du verbe. Le fondateur de la République démocratique de Madagascar, enterré un 29 mars, n’était pas démocrate. L’inaugurateur de la Place de la démocratie non plus.

Christine Razanamahasoa en défenseur de la démocratie: quel comble !

Les dérives autocratiques d’Andry Rajoelina et de son entourage se confirment après la réélection mora de 2023. Ceci était prévisible, car à l’arrogance d’une victoire obtenue dans des conditions critiquables s’ajoute le sentiment d’impunité garantie. Les dérapages s’accumulent et démontrent le grand écart entre promesses et réalités, sans que les dirigeants ne s’émeuvent. De toutes manières, que peut-on attendre d’un auteur de coup d’État ?

Que constate-t-on à présent ? Arrestations arbitraires sous des motifs aussi divers que le port de t-shirt rouge ou un pouce renversé au passage du cortège présidentiel ; utilisation illégale du logiciel Predator pour espionner les citoyens ; intimidation de lanceurs d’alerte ; méthodes staliniennes pour prolonger l’emprisonnement d’opposants par le biais de prétextes fallacieux (tels que tentative d’évasion lors de sorties pourtant autorisées) ; affaires louches avec des éléments matériels impliquant des membres de la nomenklatura qui ne font l’objet d’aucun suivi judiciaire, etc.

Les exemples de violations de la démocratie et de l’État de droit sont légion, et justifient amplement les données de l’index de démocratie libérale de Madagascar établi par le projet Varieties of Democracy de l’Université de Gottenburg (Suède), qui a baissé de 0,28 en 2018 à 0,24 en 2023. En outre, dans son rapport sur la démocratie dans le monde en 2023, l’Economic Intelligence Unit a classé l’index de démocratie de Madagascar parmi les 10 pires performances, avec une baisse de 0,44 entre 2022 et 2023. Pas rassurant quand on voit que les voisins dans ce classement sont (entre autres) le Niger, le Gabon, le Pakistan, la Sierra Leone, le Soudan, le Mali, la Palestine, l’Ukraine et le Burkina Faso. Voilà des éléments objectifs et chiffrés, qui infirment les discours de propagande et l’affirmation de l’existence d’élections comme preuve de démocratie. Rappelons d’ailleurs que même en Russie, Chine et Turquie, il y a aussi des élections.

Cela étant, c’est un comble qu’un soutien fervent au coup d’État de 2009 soit apparu comme dernier espoir d’un retour de Madagascar sur le chemin de la démocratie. On se souvient que Christine Razanamahasoa, magistrate de premier grade, ayant donc étudié le Droit et ayant été chargée de l’appliquer, avait été un défenseur farouche de cette violation constitutionnelle d’il y a 15 ans, justifiant ses dérapages sous le couvert d’un état d’exception. Quelle crédibilité une telle personnalité peut-elle avoir pour porter l’étendard de la démocratie à Madagascar ? Dans son récent discours qui a mis le feu aux poudres, elle avait émis l’hypothèse que ceux qui avaient soutenu Andry Rajoelina en 2009 étaient peut-être « vendrambendrana » (un peu stupides). On se gardera de la contredire. Elle est aussi coupable que son ancien mentor et toute sa clique dans la détérioration de la situation de Madagascar depuis 2009, qu’il s’agisse de démocratie, d’état de Droit ou d’économie. Faire amende honorable n’efface ni les faits, ni la mémoire. Mais maintenant au moins, elle sait ce que cela signifie d’être victime de l’autocratie.

Difficile de ne pas arriver à la conclusion que le vent qui alimente de tels soubresauts est constitué de conceptions très égocentriques du concept de démocratie. Dans une satire, Eugène Labiche avait écrit qu’« un égoïste, c’est quelqu’un qui ne pense pas à moi ». Dans la classe politique malgache, la définition de la démocratie se réduit le plus souvent à une banale opposition à l’autocratie, avec la nuance que « l’autocrate, c’est celui qui m’empêche de faire ce que je veux ». Historiquement, les coalitions d’importance à Madagascar ne sont arrivées à se construire que contre la personne au pouvoir, mais jamais autour de projets et d’idées. En 2024, après des élections présidentielles calamiteuses, une étrange cour des miracles tente de se dessiner dans l’opposition, pariant sur un lent pourrissement de la situation qui provoquerait un sursaut de la population. Pour que les dérives d’Antananarivo ne se perpétuent pas, il faudra des ambitions et des abnégations bien plus grandes.

Source: Madagascar-Tribune.com

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Madagascar, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here