Marc Gérard (FMI) : « Malgré sa résilience, Madagascar est dans une situation difficile »

14
Marc Gérard (FMI) : « Malgré sa résilience, Madagascar est dans une situation difficile »
Marc Gérard (FMI) : « Malgré sa résilience, Madagascar est dans une situation difficile »

Africa-PressMadagascar. Plan émergence Madagascar, dépréciation de l’ariary, Covid-19, situation d’Air Madagascar… Jeune Afrique a rencontré le représentant du FMI sur la Grande Ile.

Représentant résident à Madagascar pour le FMI depuis 2018, Marc Gérard a pris ses fonctions quelques mois avant l’arrivée d’Andry Rajoelina à la présidence. Le temps de clôturer en 2020 la facilité élargie de crédit (FEC) accordée au pays en 2016 par le Fonds et de mener les négociations autour d’un nouveau programme d’aides pour les années 2021-2024 – dont l’attribution doit encore être confirmée par Washington avant la fin de mars.

Alors que le Plan émergence Madagascar (PEM) devrait être dévoilé dans les prochaines semaines, Marc Gérard revient sur les priorités du Fonds dans le pays, entre l’urgence de faire face à la pandémie et l’agenda à plus long terme lié au développement économique de la Grande Île.

Jeune Afrique : Quelle est la situation économique de Madagascar depuis l’irruption de la pandémie en mars ?

Marc Gérard : Le pays a été durement touché. Les dernières estimations prévoient une récession d’au moins 4 %, alors qu’une croissance de 5 % était attendue au début de 2020. Cette décélération résulte essentiellement de chocs externes, à savoir l’arrêt du tourisme et la forte baisse des échanges commerciaux, ainsi que de la perturbation des chaînes d’approvisionnement liée à la mise en place des mesures de confinement. La crise économique affecte sévèrement les Malgaches dans un pays où les filets de sécurité sociaux sont très minces.

Madagascar a néanmoins su faire preuve de résilience. Sa population, essentiellement rurale, a pu se replier sur une production agricole de subsistance qui s’est tenue tant bien que mal malgré une faible récolte de riz.

Et la dépréciation contrôlée de l’ariary a permis de limiter la perte de compétitivité des exportations, notamment dans le secteur textile. Reste que la situation est difficile, surtout dans le sud du pays où la sécheresse des derniers mois met en péril la sécurité alimentaire de centaines de milliers de gens, et appelle une politique économique forte.

Quel a été le rôle des bailleurs internationaux comme le FMI durant cette crise sanitaire ?

Les institutions financières internationales ont débloqué en 2020 des aides financières d’urgence correspondant à 4,5 % du PIB du pays, soit près de 620 millions de dollars [environ 504,7 millions d’euros], dont plus de la moitié de la part du FMI, pour compenser la baisse drastique des recettes publiques et assurer le bon fonctionnement des services de l’État.

Déboursée sans conditionnalités [la conditionnalité dans l’aide internationale est l’ensemble des conditions exigées par les grandes organisations économiques internationales en échange de prêts aux pays en développement], cette assistance financière devait être utilisée pour les dépenses d’urgence en matière de santé publique et pour la relance budgétaire, notamment en soutenant le secteur privé et en préservant les secteurs sociaux – éducation et santé.

Notre dernier programme avec Madagascar a pris fin au début de 2020. Le FMI demande désormais aux autorités d’accélérer la mise en œuvre des mesures de soutien et d’améliorer la transparence sur l’utilisation de ces fonds. Le pays est invité à dépenser cet argent tout en gardant les reçus.

Quelles actions ont été mises en place dans le même temps par les pouvoirs publics malgaches ?

Le gouvernement a élaboré un plan de relance à partir de juillet, tout en mettant en œuvre quelques actions d’urgence telles que la distribution de riz à la population ou l’extension de certains programmes de transfert monétaire.

De son côté, la Banque centrale a créé des instruments de refinancement exceptionnels destinés à renforcer les PME et à soutenir les réseaux bancaires. L’aide d’urgence apportée par les bailleurs lui a permis de décaisser 155 millions de dollars pour soutenir l’ariary, tout en conservant des réserves couvrant six mois d’importations.

Le taux d’exécution budgétaire reste cependant faible, notamment en matière de dépenses sociales qui, en 2020, ne représentaient que 0,7 % du PIB, ainsi que pour les investissements publics.

Avec la pandémie, les projets de réforme de sociétés publiques en grande difficulté financière, comme la Jirama, ont-ils dû être gelés ?

Certains processus ont été ralentis par les circonstances, mais la Jirama avait déjà engagé la renégociation de contrats déséquilibrés avec ses fournisseurs avant l’arrivée du virus et cela reste une base de travail aujourd’hui. Ces derniers mois, l’opérateur a autorisé des rééchelonnements de factures pour donner un peu d’air aux ménages et mis au point une révision de ses tarifs afin d’introduire plus d’équité sociale.

Du côté d’Air Madagascar, la situation, déjà très dégradée en début d’année, ne s’est évidemment pas arrangée avec la pandémie. Le contexte actuel d’interruption du trafic international représente cependant une opportunité de réformer la compagnie autour d’un business plan ambitieux mais réaliste, limitant au maximum l’injection de fonds publics compte tenu des autres urgences sociales.

La question des ressources financières et donc de l’indépendance budgétaire de l’État fait l’objet d’une attention particulière du FMI. Qu’en est-il ?

La situation reste préoccupante, il y a urgence à améliorer la perception des différents impôts et droits de douanes, minée par l’ampleur de l’informalité dans l’économie et par de graves problèmes de gouvernance.

La pression fiscale est structurellement très faible et a atteint son niveau le plus bas depuis 2012 de l’ordre de 9 % du PIB, empêchant l’État de remplir ses missions sociales de base et de réaliser les investissements publics nécessaires.

Dans le contexte actuel, la mobilisation des revenus publics reste un objectif majeur qui figure dans le PEM récemment publié.

Et qu’attend le FMI de ce PEM ?

Une réelle priorisation et une analyse coûts-bénéfices des projets, en fonction de leur impact sur la croissance et le développement du pays, notamment autour des infrastructures de base ainsi que dans la santé et de l’éducation, afin d’apporter une différence perceptible sur le terrain.

Le Fonds vient de clôturer les négociations avec le gouvernement autour d’un nouveau programme de soutien, que Washington doit encore avaliser. Quelles en sont les priorités ?

Cette facilité de crédit prévoit de décaisser 320 millions de dollars sur 40 mois, dont une première tranche de 70 millions disponible si l’accord est entériné par le siège fin mars. Le programme a été élaboré autour d’objectifs partagés et sur la base d’un cadrage macroéconomique réaliste, avec un taux de croissance prévu de 3,2 % en 2021 qui augmenterait graduellement par la suite.

Parmi les priorités de l’accord figurent l’augmentation des recettes publiques, l’augmentation significative des dépenses sociales et l’amélioration de la transparence budgétaire, afin de redonner confiance aux bailleurs, aux investisseurs et à la population.

Le programme prévoit également une poursuite de la restructuration des entreprises publiques telles que la Jirama afin de libérer de l’espace budgétaire pour les investissements publics, ainsi que des réformes engagées par la Banque centrale pour renforcer l’efficacité de la politique monétaire.

Enfin, le gouvernement a pris des engagements forts en matière de gouvernance, avec la mise en place effective des organismes de lutte contre la corruption prévus par la loi.

Madagascar dispose-t-elle des moyens financiers nécessaires pour faire face à la situation tout en assurant son développement à plus long terme ?

Il n’y a pas de contradiction entre les deux objectifs. Améliorer les conditions d’existence de la population en préservant le pouvoir d’achat et en augmentant les budgets sociaux, et faire de l’investissement public, permettront la mise en place d’un marché domestique capable de soutenir l’activité du secteur privé local, et à terme de renforcer le potentiel de croissance de l’économie.

Lutter contre la corruption et améliorer le climat des affaires est la condition sine qua non pour attirer l’investissement privé dont le pays a besoin afin d’assurer son développement.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here