Ikala Paingotra
Africa-Press – Madagascar. À quelques jours du Sommet de la Commission de l’Océan indien (COI), il semble que l’opinion publique malgache soit loin d’y porter un intérêt majeur, malgré la propagande effrénée du pouvoir. À part les photos d’autorités désoeuvrées s’improvisant balayeurs de rue ou peintres de tunnels, les principales allusions sur les réseaux sociaux sont plutôt moqueuses. Il faut avouer qu’il y a de quoi.
Les déclarations de certains représentants du pouvoir pour tenter d’appeler la population à l’unité nationale sont risibles. On a vu la députée Lanto Rakotomanga appeler à un sursaut car la pauvreté ne doit pas être une excuse, contredisant ainsi le général Ravalomanana qui prétendait il y a quelques mois en Russie qu’il n’y avait pas de pauvreté à Madagascar car « il y a des embouteillages et des consommateurs dans les grandes surfaces ». D’ailleurs, si les embouteillages sont signes de non-pauvreté, alors pourquoi avoir décrété un jour férié pour les éviter, et donner aux invités l’illusion d’une circulation automobile bien gérée dans la Capitale ? Le folklore gouvernemental des nettoyages et rafistolages de dernière minute pour maquiller la réalité irrite: si ces efforts pour améliorer le bien-être de la population sont possibles, pourquoi faut-il attendre le passage des vazaha de service pour y consentir ?
En outre, la ministre des Affaires étrangères avait affirmé en mars dernier que le sujet bilatéral des îles éparses ne sera pas à l’ordre du jour du Sommet, qui est une rencontre multilatérale. Pourtant, c’est principalement aux couleurs du drapeau français que les rues d’Antananarivo pavoisent depuis quelques jours, humiliant ainsi les autres pays membres de la COI, relégués au rang de nations de seconde zone. Mais cela est normal: le président français de Madagascar accueille Emmanuel Macron, le chef de l’État français dont il est citoyen. Cela explique donc la servilité et l’agitation autour de cette visite qui a symboliquement lieu cent trente années après l’arrivée du corps expéditionnaire français à Madagascar, ce qui finira par entraîner la colonisation du pays.
Le fait que le sujet des îles éparses ne soit pas prévu être à l’ordre du jour du Sommet de la COI est la principale raison du désintérêt des Malgaches concernant la présence d’Emmanuel Macron en terre malgache, car on ne voit pas trop dans ce cas ce que sa présence pourrait apporter à la Grande île.
Un statu quo à prévoir
En réalité, il n’est pas interdit de croire que le sujet de la restitution des îles éparses ne verra probablement jamais d’aboutissement tant que Rajoelina sera au pouvoir. On se souvient de sa fanfaronnade lors de la conférence de presse conjointe avec son homologue français à Paris en 2019, au cours de laquelle il avait annoncé unilatéralement un délai d’un an pour boucler ce dossier soous les yeux éberlués du Président Macron. Six années plus tard, on peut tous constater l’état d’avancement de ce dossier, malgré la vantardise mise en avant de façon récurrente au sujet de ce combat.
Il y a trois raisons à la certitude de ce statu quo à prévoir, du moins, tant que Rajoelina sera à la tête du pays.
Premièrement, son statut de citoyen français le rend par nécessité obséquieux envers le chef de son État et loyal envers la France. Au-delà de ses déclarations médiatiques qui ne convainquent que son fan-club, il est à douter que Rajoelina s’engage avec sincérité dans ce combat de la restitution des îles éparses, car cela nuit aux intérêts de la France, dont il a quémandé la nationalité en catimini pour lui servir de base arrière au cas où les choses tourneraient au vinaigre à Madagascar.
Deuxièmement, pour des raisons de politique interne française, le Président Macron ne va pas risquer d’accroître le niveau de son impopularité actuelle en agissant vers ce qui serait ressenti par plusieurs de ses compatriotes comme une aliénation inacceptable du territoire national. À un moment où le Rassemblement national a le potentiel d’être aux portes de l’Élysée, le président français ne prendra jamais le risque d’avancer sur ce terrain miné de la restitution des îles éparses.
Troisièmement, malgré tous ceux qui font les intéressants par des déclarations pseudo-patriotiques sur le sujet, il y a une question que nous devons avoir le courage de nous poser: combien de pro-Français rôdent dans les cercles du pouvoir à Madagascar ? Au-delà de ceux qui ont la double nationalité, en secret ou en public, y compris d’anciens hauts fonctionnaires français, il y a également les Malgaches qui ont été appâtés par le soft power français à coups de bourses universitaires, de voyages d’études, d’appartenance à des cercles sociaux ou économiques basés sur une volonté de renforcer les liens avec la France, ou encore de marques de reconnaissance diverses à commencer par la Légion d’honneur. Tout ceci crée des petits réseaux bien implantés et bien efficaces au service des intérêts de l’Hexagone, et dont on voit mal les membres aller batailler pour la restitution des îles éparses.
Les gesticulations publiques des autorités malgaches au sujet de la restitution des îles éparses seront donc sans conséquence. Quant à ceux qui gesticulent sincèrement et sérieusement, ils n’ont aucun poids pour faire avancer les choses. Jusqu’à preuve du contraire, les piailleries sur les réseaux sociaux n’ont jamais eu de portée géopolitique.
En attendant, le narcissique Rajoelina pourra rajouter à ses motifs de gloriole d’avoir lui aussi accueilli un Président français au cours de son mandat. Avant lui, Didier Ratsiraka avait reçu François Mitterrand, Marc Ravalomanana avait reçu Jacques Chirac, et Hery Rajaonarimampianina avait reçu François Hollande. La seule bonne nouvelle, c’est qu’il semble y avoir une intéressante relation entre les visites de Chefs d’État français et les chutes du pouvoir des Malgaches. On attendra donc avec curiosité de voir si l’Histoire sera encore au rendez-vous pour démontrer la loi des séries.
Source: Madagascar-Tribune.com
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