Africa-Press – Madagascar. Elle s’appelle Albane, et elle est née le 16 septembre 2024. Albane, pour « alimentation, biosurveillance, santé, nutrition et environnement », est une enquête lancée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Une démarche inédite, qui va permettre d’évaluer en continu la santé de la population française en croisant l’exposition aux pollutions, l’imprégnation de l’organisme par des substances chimiques, les habitudes en matière d’alimentation, l’activité physique et la sédentarité – le temps passé en position assise ou allongée, hors sommeil.
Tous les deux ans, des échantillons de 3.000 personnes de 0 à 79 ans vont donc faire l’objet d’une recherche de maladies comme le diabète, l’obésité ou les maladies respiratoires chroniques, et passeront des examens permettant de détecter dans leur organisme la présence de pesticides, de bisphénols et de phtalates, dont les effets sur le système reproducteur et la survenue de cancers sont bien établis.
Baisse de production des spermatozoïdes
Albane est fille de l’épidémiologie et de la toxicologie. Cette union de deux grandes branches de la recherche s’est forgée sous la bannière d’une notion, l’exposome, définie en 2005 par le directeur du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’époque, Chris Wild. « Cet épidémiologiste avait constaté que si les recherches avaient bien avancé sur les facteurs génétiques de la survenue de cancers, on ne pouvait pas, faute de connaissances, dégager une vision claire des autres déterminants suspectés, comme l’alimentation, les polluants, les stress divers », relate Robert Barouki, directeur de recherche à l’Inserm. L’exposome, c’est donc l’ensemble des facteurs environnementaux auxquels l’individu est soumis, de sa conception à sa mort.
La liste est longue. Les chercheurs distinguent l’environnement externe (climat, cadre de vie, position sociale) de l’environnement spécifique à chacun (alimentation, exposition aux polluants, médicaments, tabac, etc. ). Selon leur héritage génétique, les organismes y réagissent différemment et sont plus ou moins susceptibles de développer des maladies.
Plus récemment, avec la pandémie de Covid, une autre composante a été ajoutée: l’écosystème. « Le covid l’a clairement montré: le bon fonctionnement de l’ensemble des habitats naturels, des animaux et végétaux influence de façon bénéfique la santé humaine », précise Nathalie Bonvallot, toxicologue, enseignante-chercheuse à l’École des hautes études en santé publique, à Rennes. C’est en 2018 qu’a émergé, sous l’égide de la revue The Lancet, la notion de One Health (« une seule santé »), regroupant environnement, santé animale et santé humaine.
Aujourd’hui, selon l’OMS, 70 % des décès dans le monde sont dus à des maladies chroniques provoquées par des expositions multiples, dont l’origine remonte à la conception. C’est en effet au cours de la grossesse et des 1.000 premiers jours de vie que les polluants exercent la pression la plus forte sur des organismes en cours de formation.
« Les agences européennes d’évaluation des produits chimiques, les agences du médicament, les associations de surveillance des pollutions atmosphériques ou aquatiques, toutes travaillent à caractériser les impacts de ces expositions sur la santé humaine », rappelle Pascal Sanders, chercheur à l’Anses et pilote du projet européen « Partenariat pour l’évaluation des risques chimiques (Parc) », regroupant 200 agences nationales de 29 pays, l’Agence européenne des produits chimiques (Echa), l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et l’Agence européenne pour l’environnement (AEE).
La volonté de réduire les risques sanitaires n’est pas une nouveauté. Dès les années 1980, l’exposition aux produits chimiques – des professionnels du secteur d’abord, puis de l’ensemble de la population – et ses conséquences sur l’organisme ont fait l’objet d’études de plus en plus approfondies, jusqu’à l’établissement de liens de cause à effet avérés. L’augmentation de certains cancers, la baisse de production des spermatozoïdes, certaines infections pulmonaires et sanguines atypiques sont désormais reliées aux très nombreuses molécules disséminées par l’industrie chimique.
Des indemnisations de plusieurs millions de dollars
Le lien le plus évident a été établi en Guadeloupe et en Martinique, où l’usage de chlordécone dans les bananeraies, de 1972 à 1993, est à l’origine – sans aucun doute possible – d’une explosion des cancers de la prostate. Mais d’autres connexions ont récemment émergé. Les inhalations de formaldéhyde présent dans les colles et vernis des meubles et peintures ont été reliées aux cancers nasopharyngés.
Aux États-Unis, les procès retentissants contre le Roundup, nom commercial de la molécule de glyphosate, ont débouché sur des indemnisations de plusieurs millions de dollars versées à des personnes atteintes de lymphome non-hodgkinien, un cancer du système lymphatique. Un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, créé en France en 2020, est chargé d’étudier les pathologies liées à ces produits et susceptibles d’ouvrir la voie à une réparation financière.
L’exposition aux molécules chimiques constitue aujourd’hui le secteur de recherche le plus dynamique de l’exposome. « Le programme Parc explore les effets délétères de molécules dont on parle de plus en plus, comme les bisphénols A, B ou S que l’on trouve dans bon nombre de produits, dont les bouteilles en plastique et les contenants alimentaires ; les perturbateurs endocriniens que contiennent des produits ménagers et emballages ; et, plus récemment, les PFAS ou ‘polluants éternels’ que renferment notamment les revêtements de poêles à frire, explique Pascal Sanders. Notre rôle est d’interpréter les données recueillies sur l’effet toxique de centaines de milliers de substances, de développer des approches robustes d’évaluation du risque, et d’en tirer des recommandations de restriction d’usage ou d’interdiction pour les pouvoirs publics. »
Une tâche énorme. À elle seule, la famille des PFAS compte plus de 100.000 molécules, dans lesquelles les chimistes vont puiser à leur guise pour développer de nouvelles caractéristiques comme la résistance au feu, l’adhérence, l’imperméabilité d’un objet… Lorsque des effets délétères sont prouvés, les industriels doivent désormais rechercher des substances alternatives.
Le bruit, cause méconnue de maladies cardiovasculaires
Les études épidémiologiques recherchent au sein de la population des effets sanitaires qui peuvent être corrélés avec des activités humaines mais ne se manifestent souvent que par des signaux faibles, tels que l’augmentation d’un type de cancer ou la fréquence de certaines pathologies infantiles. La toxicologie prend la suite pour analyser chez le rat et sur des tissus humains les molécules suspectées d’avoir un effet délétère. « L’étape suivante, c’est l’estimation de la dose à partir de laquelle la substance devient dangereuse, poursuit Nathalie Bonvallot. Il faut ensuite évaluer le niveau d’exposition des populations pour préciser le risque et délivrer les bons messages sanitaires. »
La plus connue de ces recommandations, c’est l’aération régulière des logements, où se concentrent des polluants en grande quantité. Mais la démarche scientifique bute notamment sur la difficulté de comprendre les interactions des polluants entre eux, un « effet cocktail » aujourd’hui encore incompris.
Car le risque chimique est un arbre qui cache une forêt touffue. S’y ajoutent le bruit, les rayonnements ionisants naturels – avec la radioactivité terrestre – et artificiels – avec les radioéléments utilisés en médecine ou relâchés par les essais nucléaires -, les stress comme le bruit, la pollution de l’air, les températures excessives dues au changement climatique ainsi que les habitudes de consommation tel le tabagisme.
Pour l’AEE, la pollution de l’air est la première cause de mortalité environnementale, juste devant le bruit. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 99 % de la population mondiale respire un air qui ne respecte pas les normes sanitaires. Les maladies chroniques respiratoires et les maladies cardiaques liées à l’infiltration dans les poumons des particules fines et de gaz comme le dioxyde d’azote provoquent ainsi 7 millions de décès prématurés dans le monde chaque année, dont environ 50.000 en France.
Le bruit, lui, est cause de maladies cardiovasculaires et de diabète de type 2, à travers la réaction de l’organisme, qui secrète des hormones comme l’adrénaline et le cortisol. Sans compter les perturbations du sommeil, le stress et les problèmes de cognition, surtout chez l’enfant.
Démêler l’écheveau de phénomènes hétérogènes
La notion d’exposome permet ainsi aux chercheurs de nommer un écheveau de phénomènes responsables in fine de conditions de vie dégradées et de décès prématurés. « C’est un véritable défi que de tenter de comprendre comment des expositions aussi diverses, et dont les modes d’action sur l’organisme sont si différents, peuvent avoir des effets beaucoup plus tard sur notre santé », résume Robert Barouki.
Épidémiologistes et toxicologues ne désespèrent pas d’arriver un jour à établir des diagnostics individuels d’exposome. Il serait alors possible d’élaborer des stratégies thérapeutiques personnalisées. C’est pour cela qu’Albane a vu le jour.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Madagascar, suivez Africa-Press