
Africa-Press – Madagascar. En s’appuyant sur les données de la cohorte NutriNet-Santé, les scientifiques de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN) ont constaté que des apports élevés en additifs compris entre les codes européens E460 et E468, en particulier le E460 et le E466, ainsi que ceux de la famille des E471 et E472 (monoglycérides et diglycérides d’acide gras), en particulier le E472b et le E472c, étaient associés à des risques plus élevés de maladies cardiovasculaires. Est aussi pointé du doigt, dans cette étude, l’additif E339 (phosphate de sodium) qui est associé à un risque accru de maladies coronariennes.
Deux familles d’émulsifiants très présents dans les produits alimentaires
Où trouve-t-on ces émulsifiants ? Selon les autrices et auteurs de la publication, principalement dans les fruits et légumes transformés (par exemple, les soupes déshydratées) pour 18,8%, dans les gâteaux et les biscuits pour 14,7 % et dans les produits laitiers pour 9,9 %. Par famille d’additifs, ceux à base de cellulose sont très présents dans les gâteaux et biscuits (43,3%), les pommes de terre et tubercules transformés (20,1 %), tandis que pour la famille des monoglycérides et diglycérides, c’est dans la composition des graisses et sauces (22,5 %), des gâteaux et des biscuits (22 %), qu’ils sont le plus mentionnés. Quant au phosphate de sodium, il est utilisé comme émulsifiant dans des produits tels que les cornflakes, le muesli, les barres de céréales, les fromages fondus, et les produits à base de viande.
Une barre de céréales, souvent présentée par les industriels comme un aliment sain peut contenir de nombreux additifs.
Un résultat surprenant concerne les additifs appartenant à la première famille d’additifs incriminés dans cette étude, qui ont la particularité d’être tous dérivés de la cellulose, une molécule organique constitutive de la paroi cellulaire des végétaux. Or la cellulose, présente naturellement dans les légumes, les légumineuses ou les fruits, est nécessaire à un bon équilibre alimentaire. Pourquoi des formules artificielles deviennent-elles nocives pour la santé ? Les scientifiques émettent l’hypothèse selon laquelle la matrice alimentaire artificielle de la cellulose pourrait être la cause de cette dégradation, contrairement à la matrice alimentaire naturelle de la cellulose des plantes. Des travaux ont d’ailleurs montré qu’une matrice alimentaire artificielle modifiait le processus de digestion (vitesse de transit à l’intérieur du tube digestif, biodisponibilité différente, interaction avec des cellules de l’appareil digestif ou le microbiote intestinal).
Ces travaux apportent une nouvelle preuve épidémiologique d’une hypothèse émise par les scientifiques concernant les aliments ultra-transformés. Une consommation excessive de ces produits alimentaires, qui aujourd’hui représentent 30% de l’apport énergétique des Français, serait délétère pour la santé notamment à cause de la présence d’additifs.
En effet, depuis les années 2010, des travaux épidémiologiques ont montré que leur consommation régulière est associée à un risque plus élevé de maladies chroniques (diabète, obésité), à une mauvaise santé cardiaque, ou encore à une augmentation de cancers, et même à des conséquences sur la santé mentale. Or si ces aliments ultra-transformés ont généralement en commun une densité énergétique plus élevée, une teneur plus importante en sucre ajouté, en graisses saturées, en sel, et une teneur plus faible en protéines et fibres, les scientifiques savent aujourd’hui que d’autres facteurs expliquent leur impact si négatif pour la santé. Parmi les hypothèses les plus avancées : la présence quasi systématique d’additifs dans ces aliments.
Qu’est-ce qu’un aliment ultra-transformé ?
C’est un aliment industriel dont la composition n’est pas uniquement un assemblage d’aliments bruts comme de la farine ou des œufs. Certains de ses ingrédients ont été modifiés par des techniques extrêmes de transformations physiques (extrusion, moulage, cuisson sous haute pression) ou chimiques (hydrogénation, hydroxylation) avec pour conséquence la modification profonde de la matrice alimentaire.
Beaucoup de céréales du petit-déjeuner entrent dans cette catégorie : à la base ce sont des céréales mais elles ont perdu leur forme et leur structure. Un aliment ultra-transformé peut aussi être composé de substances industrielles extraites d’aliments, comme des isolats de protéines ou du sirop de glucose. On trouve dans cette catégorie la plupart des substituts de viande ou les sodas. Enfin ces aliments ont presque toujours, dans la liste de leurs ingrédients, des additifs « cosmétiques » (édulcorants, exhausteurs de goût, colorants, émulsifiants) et des arômes. Cependant les aliments ultra-transformés ne sont pas toujours facilement identifiables.
L’étude présentée par les Français s’appuie uniquement sur l’observation et ne peut donc pas établir de causalité directe unique entre maladie cardiovasculaire et émulsifiant. Cependant, elle vient conforter d’autres travaux qui eux aussi montrent certains effets délétères de ces émulsifiants sur la santé.
Ainsi, par exemple, en 2022, Benoit Chassaing et l’équipe du laboratoire Microbiote muqueux dans les maladies inflammatoires chroniques (INSERM U1016) ont réalisé une étude sur l’émulsifiant E466. Pendant 11 jours, 9 personnes ont été soumises à un régime sans émulsifiant, tandis que 7 autres ont suivi un régime identique, mais enrichi à hauteur de 15 g par jour en E466. Par rapport au groupe témoin, ceux qui ont pris des additifs ont présenté un microbiote intestinal à la composition moins diversifiée. Dans leurs selles, les scientifiques ont constaté une diminution de molécules telles que certains acides aminés et acides gras, et pour deux participants, une inflammation intestinale.
Y aura-t-il une réévaluation de la réglementation sur les émulsifiants ?
Pour l’instant l’EFSA (l’autorité européenne de sécurité des aliments), responsable de la réglementation européenne relative à l’utilisation des additifs dans l’industrie alimentaire, ne fixe pas de seuil pour ces émulsifiants, à une exception près : le E472d. Si les résultats de l’équipe française sont reproduits par d’autres équipes de scientifiques à travers le monde, une réévaluation de la réglementation sera nécessaire afin de mieux protéger les consommateurs.
Quatre questions à Bernard Srour, chercheur à l’EREN, et coauteur de l’étude
Comment avez-vous déterminé qu’un additif était un émulsifiant, puisque les réglementations internationales ne s’accordent pas sur ce point ? Dans certains pays, un additif sera classé émulsifiant, tandis que dans un autre, il n’entrera pas dans cette catégorie.
Justement, nous ne nous sommes pas appuyés sur les différentes réglementations et classifications internationales. Nous avons choisi de considérer comme émulsifiant, tout additif ayant des propriétés émulsifiantes, c’est-à-dire une molécule utilisée pour aider à mélanger deux substances non miscibles (par exemple : l’huile et l’eau). Les émulsifiants possèdent une partie de leur molécule qui aime l’eau (hydrophile) et l’autre, l’huile (hydrophobe). De plus, sur les 261 émulsifiants utilisés par les industriels, nous avons restreint notre champ d’étude à 61 qui sont présents dans les produits commercialisés en France, et consommés par au moins 5% des volontaires de cette étude. Notre attention s’est aussi portée sur ces additifs, car ils sont très nombreux et très utilisés, leurs propriétés améliorant la texture et prolongeant la durée de conservation d’un aliment.
Quelle a été la méthodologie de l’enquête?
Depuis 2009, nous suivons des Français à travers la cohorte Nutrinet-Santé. Nous nous sommes donc basés sur le carnet alimentaire rempli par ces volontaires au fil du temps. Régulièrement, nous leur demandons pendant trois jours de décrire très précisément leur repas et notamment les marques des produits qu’ils consomment. Comme l’étiquetage des produits alimentaires est obligatoire et recensé par différentes bases de données (comme Open Food Facts), nous en déduisons la présence ou l’absence d’additifs dans l’alimentation des différents participants de la cohorte, que nous fusionnons avec des dosages et des bases de données quantitatifs.
Puis, nous avons étudié les liens entre les carnets alimentaires remplis par les volontaires et le risque de survenue de maladies cardiovasculaires en moyenne 8 ans plus tard. Évidemment, nous avons exclu de l’étude, les personnes présentant déjà des problèmes cardiaques et nous avons pris en compte celles qui avait des prédispositions aux maladies cardiovasculaires, comme les fumeurs par exemple, ou les forts consommateurs d’alcool ou les individus en situation d’obésité.
Enfin, nous avons fait attention aux facteurs de confusion : par exemple, un jeune a tendance à manger moins équilibré, à consommer plus d’additifs, et pourtant il est moins à risque de développer une maladie cardiovasculaire à court terme. L’âge est donc un facteur de confusion important.
Ainsi nous avons pu constater que, sur 95 442 adultes de l’étude, 1044 avaient développé une maladie coronarienne, 1995, une maladie cardiovasculaire, et 974, une maladie cérébrovasculaire. Ces personnes avaient en commun une consommation plus importante des émulsifiants mis en cause dans notre étude.
Les émulsifiants à base de cellulose, incriminés dans votre étude, ne constituent que 7% de l’ensemble des émulsifiants consommés par les volontaires de votre cohorte. Ceux qui sont le plus consommés sont finalement le bicarbonate de soude (E 500) et les amidons modifiés, (famille des E14X), représentant à eux seuls, 60,4% des apports en émulsifiants. Leur consommation ne semble pas délétère pour la santé. Comment l’expliquez-vous ?
Il faut différencier l’utilisation de l’exposition. On peut être exposé de manière régulière et faible à un émulsifiant mauvais pour la santé. En ce qui concerne les autres émulsifiants, je ne me prononcerais pas. Il se peut, par exemple, que notre cohorte ne soit pas assez grande pour nous permettre d’observer un effet nocif d’autres classes d’additifs comme les lécithines ou les amidons modifiés. D’autres études sont nécessaires.
Quelles sont les limites de l’étude ?
La principale limite de l’étude est l’absence de biomarqueurs, qui nous permettraient de déceler dans l’organisme, la présence de ces additifs, ou l’effet induit par leur consommation. En effet, l’état de la science ne permet pas d’identifier des biomarqueurs sanguins ou urinaires de l’exposition à ces additifs. Mais nos enquêtes alimentaires déclaratives, répétées et détaillées nous ont permis de limiter ce biais. Le lien physiologique entre émulsifiants et maladies cardiovasculaires reste à identifier, et les recherches doivent progresser sur le sujet.
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