La course aux armes hypersoniques s’accélère

3
La course aux armes hypersoniques s’accélère
La course aux armes hypersoniques s’accélère

Africa-Press – Madagascar. C’était une étape attendue : le 26 juin 2023, la France a réalisé le premier vol d’essai de son prototype de planeur hypersonique VMaX depuis le site landais de la Direction générale de l’armement à Biscarrosse. Avec cette nouvelle arme développée par ArianeGroup, notre pays rejoint le cercle étroit des armées qui y travaillent.

Cette arme a été utilisée de manière opérationnelle en mars 2022, lorsque la Russie a lancé ses missiles Kinjal pour détruire un entrepôt d’armement ukrainien. Une arme hypersonique se définit par son extrême vitesse – plus de 6000 km/h, soit cinq fois la vitesse du son (Mach 5*) -, sa capacité à manœuvrer à cette vitesse et par une trajectoire qui se fait en majeure partie dans l’atmosphère, à la différence des missiles balistiques.

Ces caractéristiques rendent leur trajectoire imprévisible et leur interception difficile. Elles s’avèrent également d’une grande précision : “Le deuxième essai du planeur C-HJB américain, le 19 mars 2020, aurait permis de frapper à 15 cm du point visé au terme d’un vol de 4000 km de portée “, indiquait en 2021 Joseph Henrotin, un politologue belge, dans une note de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Les armes hypersoniques font aujourd’hui l’objet d’une course à l’armement entre grandes puissances militaires. En avril 2022, un mois après le coup d’éclat militaire russe, les États-Unis ont annoncé le succès du deuxième test de leur missile hypersonique Hawc, désormais opérationnel. La Chine, le Japon, l’Inde et potentiellement les deux Corées développent également ces armes hypervéloces, qui se déclinent selon deux modes : les missiles de croisière et les planeurs.

Qu’est-ce qui caractérise le vol hypersonique ? Si le passage du vol subsonique au vol supersonique est marqué par le mur du son – cette onde de choc qui se crée au moment où un aéronef dépasse l’onde sonore qu’il a formée -, la transition du supersonique à l’hypersonique entraîne des phénomènes physiques plus graduels. Autour de Mach 4, le comportement de l’air devient non linéaire, sa densité et ses capacités thermiques varient. À partir de Mach 7 à 8, la chaleur qui s’intensifie autour de l’engin dissocie les molécules d’oxygène et, à Mach 12, celles de l’azote. “À des vitesses plus élevées encore, l’air s’ionise et acquiert une charge électrique et des propriétés magnétiques “, explique Naïr Subra, ingénieur système à l’Onera. Lors de la rentrée atmosphérique des vaisseaux spatiaux, c’est ce plasma ionisé qui interdit toute communication pendant de longues minutes. Nul seuil physique ne permet donc de distinguer le vol supersonique de l’hypersonique.

Toujours plus véloces…
810 À 920 KM/H : Vitesse des avions de ligne

MACH 1 (1235 KM/H) : Passage du mur du son

MACH 3 (3704 KM/H) : Avion espion SR-71 Blackbird (États-Unis)

MACH 5 (6174 KM/H) : Limite hypersonique

MACH 10 (12.348 KM/H) : X-43A Scramjet (Nasa)

MACH 15 (18.522 KM/H) : Missile nucléaire mer-sol M51, à trajectoire balistique (France)

MACH 20 (24.696 KM/H) : Planeur Avangard (Russie)

Les très hautes vitesses sont cependant rapidement confrontées au “mur de la chaleur”. À mesure que l’engin accélère, les frottements de l’air sur sa carlingue l’échauffent jusqu’à atteindre des températures de plus de 700 °C à Mach 5 et plus de 3700 °C à Mach 12 ! Quels matériaux résistent à de telles températures ?

“Autour de Mach 5, il est possible d’utiliser des alliages métalliques, de titane ou à base de nickel, détaille Naïr Subra. Au-dessus et jusqu’à Mach 8, nous privilégions les céramiques hautes températures, légères, mais fragiles. Pour y remédier, des matériaux composites à matrice céramique associés à des fibres sont aujourd’hui expérimentés. ” Autres solutions testées : des revêtements ablatifs qui évacuent la chaleur en se décomposant, des métaux et alliages réfractaires ou des systèmes de refroidissement actif.

Les engins hypersoniques développés aujourd’hui affichent des vitesses allant de 6000 à 25.000 km/h environ (Mach 20). Quel type de propulsion pour de telles poussées ? Les moteurs-fusées peuvent produire une accélération supérieure à Mach 5 en projetant hors de leur tuyère des gaz chauffés par la réaction d’un combustible et d’un comburant – de l’oxygène et du kérosène, par exemple. Mais embarquer deux produits de combustion, soit une masse importante au décollage, s’est révélé un handicap pour les longues distances. En aéronautique, ce problème a été résolu en utilisant le dioxygène présent dans l’atmosphère comme comburant, ce qui réduit d’autant la masse embarquée ; une solution dite aérobie. Dans les systèmes aérobies classiques (turboréacteurs, turbopropulseurs, turbines à gaz), l’efficacité de la réaction est obtenue en comprimant mécaniquement l’air avant son entrée dans la chambre de combustion. Mais plus l’air arrive vite, plus sa température s’élève et menace, au-dessus de Mach 3, de faire fondre le compresseur.

“Pour atteindre des vitesses supérieures, explique Naïr Subra, il faut se tourner vers les statoréacteurs et les superstatoréacteurs, des systèmes au sein desquels rien ne bouge. ” À partir de Mach 2 en effet, l’air se rue à une telle vitesse dans le réacteur qu’il se comprime naturellement. Le statoréacteur est donc réduit à une entrée d’air, une chambre de combustion dans laquelle le combustible est injecté et une tuyère de sortie des gaz qui assure la poussée. Les statoréacteurs fonctionnent avec de l’air freiné à des vitesses subsoniques.

Mais au-delà de Mach 6, il a fallu mettre au point des superstatoréacteurs qui autorisent une combustion supersonique (au-delà de la vitesse du son). L’air est alors ralenti et comprimé mécaniquement à l’aide de rampes qui engendrent des chocs. Ces moteurs ne peuvent toutefois fonctionner qu’à des vitesses supersoniques, qu’il leur faut atteindre en phase initiale grâce à la propulsion d’un lanceur à moteur à poudre ou un d’avion de chasse.

La propulsion, un domaine en ébullition

D’autres solutions prospectives sont aussi explorées, tel le moteur à ondes de détonation pulsées. La combustion est ici remplacée par une explosion qui propage des ondes supersoniques de pression, de l’ordre de 30 atmosphères, dans la substance explosive, ce qui permet d’obtenir des vitesses d’éjection des gaz supérieures à Mach 5. Dans le moteur à détonation rotative, les ondes de détonation se déplacent autour d’un anneau et s’auto-entretiennent en raison de cette rotation : un fonctionnement complexe, mais dont le potentiel de poussée est prometteur. “La propulsion magnétodynamique, encore largement théorique, devrait permettre d’atteindre des vitesses encore plus élevées, analyse Naïr Subra. Il s’agirait, aux vitesses supérieures à Mach 12, d’utiliser l’air ionisé sensible aux champs magnétiques, ou d’intégrer à l’air des particules magnétiques, sorte d’engrais aimanté, pour amplifier la poussée. ” D’autres travaux de recherche prévoient d’utiliser la chaleur due à l’échauffement des parois du véhicule pour la réinjecter sous forme magnétique.

Si le type de propulsion choisi définit leur vitesse de frappe, la trajectoire des armes hypersoniques adopte en revanche peu ou prou le même profil. Le missile de croisière hypersonique évolue dans l’atmosphère à une altitude de 20 à 30 km, une zone qui n’est pas la cible des radars de longue distance. Ils peuvent certes le repérer, mais à seulement quelques secondes de sa frappe, ce qui laisse peu de chances de l’intercepter.

À l’instar du missile, le planeur a une première phase de propulsion par un lanceur ou un avion qui le conduit à une vitesse hypersonique. Celle-ci le mène hors de l’atmosphère afin de franchir de longues distances sans frottement avec l’air. Lors de sa rentrée atmosphérique, l’air va se comprimer sous le véhicule de forme plate et générer de la portance. “La vitesse et la portance du planeur permettent de reproduire les effets des montagnes russes : il est possible de convertir la vitesse acquise en chutant dans l’atmosphère pour récupérer de l’altitude, détaille Naïr Subra. Ce faisant, le planeur perd de l’énergie et retombe. ” Ces rebonds sur les couches de l’atmosphère sont imprévisibles pour les défenses adverses. Les contrôles aérodynamiques du planeur lui permettent également de changer de direction à grande vitesse et de semer un missile adverse.

La chaleur intense, talon d’Achille de ces nouvelles armes

En réponse à la thèse du glaive et du bouclier, les États-Unis développent depuis 2020 un système de défense pour contrer ces nouvelles menaces. Le principal talon d’Achille de ces armes est la chaleur intense produite par leur vol, détectable par les capteurs infrarouges de réseaux de satellites ou d’avions. L’utilisation de radars est plus problématique, le plasma généré par les fortes températures absorbant une partie des ondes radar. Une fois l’arme détectée, reste à l’intercepter…

Au dernier salon du Bourget, l’entreprise européenne MBDA a présenté Aquila, un missile dédié à l’interception de planeurs hypersoniques. Il s’inscrit dans le programme européen de défense hypersonique Hydis, qui vise à déployer un bouclier d’ici à 2035. Les technologies hypersoniques sont excessivement coûteuses et ne sont aujourd’hui pertinentes que pour neutraliser des systèmes stratégiques de l’armée hostile – systèmes antimissiles, porte-avions, etc. – avant de déployer des modes d’attaque plus conventionnels.

* Mach : rapport de la vitesse de vol sur la vitesse locale du son. Mach 1 correspond à 1235 km/h au niveau du sol.

Espadon, l’avion hypersonique français

En juin 2023, à l’occasion du salon du Bourget, l’Onera, le centre français de la recherche aérospatiale, a présenté Espadon, le prototype d’un avion hypersonique. D’une longueur de 40 mètres pour une envergure de 15 mètres, l’engin est conçu pour voler à une vitesse de Mach 5 à 10, soit entre 6000 et 12.000 km/h. Il s’agit pour l’Onera – dont l’expérience en hypersonique est principalement axée sur les missiles – d’acquérir une expertise autour de l’avion hypersonique et d’en évaluer les menaces.

Espadon a une forme en delta très effilée, ce qui réduit la traînée aux hautes vitesses, assure la stabilité et aide à différer les ondes de choc loin du fuselage. Celui-ci est relativement plat pour assurer une grande partie de la portance, d’habitude fournie par les ailes. “Pour des questions opérationnelles ou de fonctionnement même du véhicule, il doit voler à une altitude élevée, indique Naïr Subra, responsable du projet Espadon à l’Onera. Plus un engin va vite, plus il densifie l’air devant lui – ce qu’on appelle la pression dynamique. En altitude, la densité de l’air est plus faible et on a moins de frottements. ”

À Mach 5, un avion hypersonique volerait à 20 km d’altitude, contre 10 km pour les avions de ligne classique. La baisse de densité de l’air est ainsi compensée par la vitesse qui génère de la pression sous l’aile. L’avenir de ce projet dépendra des décisions prises par la direction générale de l’armement.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Madagascar, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here