Africa-Press – Madagascar. Le bio-logging est une méthode de collecte de données impliquant des dispositifs embarqués sur des animaux. Lorsqu’il s’agit d’étudier les océans, plusieurs systèmes existent, comme les bouées dérivantes ou bien les navires de recherche, soumis à un temps limite à bord et des coûts opérationnels élevés. Malgré cela, l’inaccessibilité des zones peut être un frein majeur, empêchant l’élaboration de politiques basées sur des mesures probantes. Pour répondre à ces obstacles, le bio-logging, combinée aux autres sources de données conventionnelles, semble être une réponse adaptée, permettant l’acquisition de nouveaux types de données océaniques. Une synthèse, produite par Takashi Iwata et Tomonari Akamatsu de l’Université de Kobe (Japon) et parue dans la revue Water Biology and Security, examine les preuves démontrant que le bio-logging peut répondre à divers problèmes en milieu marin.
Le bio-logging permet une observation continue et mobile
L’étude des deux chercheurs japonais et leur équipe présente des exemples de recherches impliquant le bio-logging, cette méthode d’observation lagrangienne (lire l’encadré ci-dessous) qui implique des dispositifs embarqués sur des animaux.
Le terme « Lagrangian » désigne une approche qui consiste à observer un objet, ou un organisme, en suivant sa trajectoire dans un espace donné plutôt que de rester fixe et d’observer ce qui l’entoure. C’est une façon de regarder les choses du point de vue de l’objet qui se déplace.
Le bio-logging est relativement récent dans le domaine académique: il est apparu à la suite du Symposium international sur la science du bio-logging qui a eu lieu en 2003 à l’Institut national de recherche polaire de Tokyo.
Aujourd’hui, les scientifiques s’accordent à dire que cette stratégie d’observation lagrangienne est indispensable pour étudier les animaux, notamment leur comportement à l’état sauvage. Permettant une observation continue, mobile, et un accès à des espaces que les autres plateformes ne couvrent pas, le suivi par dispositifs embarqués est un véritable facilitateur dans la recherche, terrestre et océanique. Dans le domaine marin, ce procédé peut ainsi combler des lacunes d’observations, mais aussi, lorsqu’il est associé à d’autres techniques, améliorer la précision de modèles, comme le montre l’étude de l’Université de Kobe.
Une approche qui répond à des applications variées
Les chercheurs ont fourni une liste non-exhaustive des résultats de l’intégration de données provenant de bio-logging dans le milieu marin. Amélioration de la précision des prévisions des courants, étude de la répartition des débris marins, estimation des quantités de ressources halieutiques, dénonciation de navires de pêche illégaux, évaluation de l’impact du bruit anthropique sur les cétacés… Le bio-logging est une approche répondant à des objectifs variés. C’est par ailleurs un dispositif particulièrement efficace pour identifier les points chauds d’utilisation de l’habitat par les grands prédateurs et vérifier ainsi l’efficacité des aires marines protégées. En d’autres termes, cela consiste à surveiller la répartition des prédateurs marins afin d’en déterminer des régions d’importance écologique. C’est ce qu’ont fait des chercheurs en 2020 en intégrant plus de 4.000 suivis de 17 espèces d’oiseaux et de mammifères dans l’océan Austral afin d’estimer des espaces à protection potentielle.
Un autre exemple concret: en 2015, une étude publiée dans le Journal of Applied Ecology a utilisé des enregistreurs de données embarqués sur des fous de Bassan (Morus bassanus) de l’île de Bass Rock en Écosse (où s’y trouve la plus grosse colonie), pour évaluer l’impact des parcs éoliens offshore. Ce grand oiseau marin, qui se réunit en grandes colonies pour assurer dans la reproduction, vit sur les falaises rocheuses des côtes de l’océan Atlantique nord, mais aussi de la mer Méditerranée ou de la mer du Nord. L’analyse des trajectoires de vol a permis d’estimer les hauteurs de déplacement et les risques de collision avec les éoliennes. Les résultats ont conduit à une proposition d’élévation des pales à 30 mètres au-dessus du niveau de la mer pour limiter les dangers.
L’étude montre que si le bio-logging est insuffisant à lui seul, il peut combler des lacunes de connaissances existantes. Cette figure représente les types de données récoltées par ce procédé et les problèmes environnementaux auxquels il peut répondre. Crédits: T. Iwata et al., Water Biology and Security (2025)
Cette pluralité d’utilisation est expliquée par diverses mesures qui ne se limitent pas seulement à la géolocalisation. De nombreux autres indicateurs sont relevés comme les informations physiologiques de l’individu, les paramètres environnementaux et bien sûr les données comportementales. Aussi, les modèles biologiques utilisés sont multiples (mammifères, reptiles, oiseaux…). Le poids total des dispositifs étant fixé à moins de 3 % de leur poids corporel, voire à moins de 1 % pour les animaux de plus grande taille, explique Takashi Iwata dans un communiqué.
Outre l’accessibilité à des observations provenant de régions inabordables et difficiles d’accès aux humains ou aux navires, ce procédé permet de collecter des variables avec une couverture tridimensionnelle (tenant compte de la profondeur et de l’évolution des déplacements) et des relevés spatio-temporels continus (associant chaque mesure à un instant et un lieu précis). Ainsi, le bio-logging n’est pas un simple point GPS, mais offre la possibilité de combiner diverses mesures entre elles, fournissant de nombreux avantages. Par exemple, en couplant des relevés tels que l’enregistrement vidéo ou l’analyse des paramètres physico-chimiques de l’eau, à un moment et un lieu précis, des perspectives quasiment infinies s’ouvrent pour l’étude des milieux marins.
Le développement de l’Internet des animaux
L’un des nombreux avantages du bio-logging est que les éléments peuvent être relevés en temps réel, et sont stockés numériquement, se prêtant à l’archivage. Ce système de mesures entre dans un concept plus large appelé « l’Internet des animaux ». Dérivé de l’Internet des objets, ce terme a été initialement inventé pour décrire les systèmes de données de suivi d’animaux vivants, mais sa portée a été élargie pour inclure tous les types de mesures animales, leurs liens et les analyses automatisées. Les « informations animales » sont considérées comme un flux de données collectées, où certains ensembles sont reliés et traités en temps réel. L’Internet des animaux implique donc que les dispositifs accèdent à des informations par bio-logging, fournissant ainsi des éléments en temps réel, mais aussi stockées dans des bases en ligne. D’après les chercheurs de l’étude, pour que l’Internet des animaux soit efficace, l’accès aux données ouvertes est crucial.
À ce titre, Movebank, la plus grande base de données de bio-logging au monde, collecte les trajectoires de déplacement horizontal des animaux pour réaliser des visualisations comme les routes migratoires empruntées par les animaux migrateurs (comme la sterne arctique). La Biologging intelligent Platform (BiP) a, quant à elle, initialement été développée pour convertir les relevés comportementaux des oiseaux marins (par exemple l’albatros hurleur) en mesures environnementales physiques. Désormais, elle s’est étendue pour être une base de données référence dans le domaine du bio-logging.
Une quantité de relevés indépendants encore insuffisants
Pour le moment, la quantité de données indépendantes est limitée. Le nombre restreint d’animaux pouvant être équipés (à cause des contraintes de temps et d’investissements liées à l’installation des dispositifs), et l’impossibilité de sélectionner des zones d’observations précises, font du bio-logging une méthode efficace mais devant être couplée à d’autres procédés. Néanmoins, c’est un domaine qui est en progression, comme en témoigne Movebank qui récoltait en 2021 les données de suivi animalier de plus de 1100 espèces, marines et terrestres, dans le cadre de 6500 études, avec plus de 9000 balises actives transmettant des informations en direct.
Les auteurs de l’étude soulignent en conclusion de leur papier que le bio-logging est un véritable atout pour la recherche, mais son plein potentiel et plus largement celui de l’Internet des animaux ne peut se révéler efficace qu’avec un partage de données et une collaboration entre les bases déjà existantes. À long terme, le bio-logging pourrait fournir des indicateurs essentiels pour surveiller les écosystèmes marins, prédire les impacts du changement climatique et améliorer la gestion des ressources, en apportant des informations précises et en temps réel sur des espaces inaccessibles.
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