Une canicule marine, qu’est-ce que c’est ?

8
Une canicule marine, qu’est-ce que c’est ?
Une canicule marine, qu’est-ce que c’est ?

Africa-Press – Madagascar. Le phénomène est invisible depuis le continent, mais il fait des dégâts considérables: nos océans et nos mers subissent des canicules marines, qualifiées par certains d’”incendies sous l’eau”.

Ces vagues de chaleur océaniques se répètent depuis quelques années et gagnent en intensité et en durée — quelquefois plus longue qu’à terre. Faune et flore sont touchées de plein fouet, sur plusieurs mètres de profondeur sous la surface de l’eau et sur de grandes superficies. Ce phénomène est appelé à se répéter sur notre planète avec l’augmentation des températures.

Ces masses liquides océaniques, qui représentent 97% de la totalité de l’eau présente sur Terre, sont interconnectées à notre climat, et les températures en hausse en accentuent le dérèglement.

Une canicule marine, qu’est-ce que c’est ?

Début avril 2023, la température moyenne à la surface des océans, à l’exception des eaux polaires, a atteint 21,1°C selon l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA).

Les estimations mensuelles de l’agence indiquent que 41% des océans subissent ces vagues de chaleur intenses en janvier 2024, une première pour un mois de janvier depuis 1991.

Une vague de chaleur marine est caractérisée par une température de l’eau nettement supérieure aux normales climatiques pendant un minimum de cinq jours consécutifs.

Les activités humaines sont à incriminer

Il faut se représenter ces canicules comme les situations extrêmes d’un phénomène plus global de réchauffement des eaux. Les données analysées par une étude d’octobre 2022 concluaient que les eaux de surface sur 2000 mètres des océans de la planète s’étaient considérablement réchauffées depuis les années 1950, certains océans comme l’Atlantique étant plus touchés que d’autres.

Le rapport spécial du Giec portant sur les océans et la cryosphère de 2019 établit comme fort probable le lien direct entre les émissions de gaz à effet de serre émanant des activités humaines et les 84 à 90% des vagues de chaleur marines survenues entre 2006 et 2015.

La fréquence des canicules marines a presque doublé depuis les années 1980 et, pour les experts du Giec, l’influence humaine a très probablement contribué à la plupart d’entre elles depuis au moins 2006. Entre 2080 et 2100, la fréquence de ces vagues de chaleur océanique pourrait être multipliée par 50 si l’on suivait le scénario le plus pessimiste !

Comment ça marche ?

Dans le couple formé par l’atmosphère et l’océan, c’est ce dernier qui est le “partenaire lent” et majeur de la machinerie climatique de la planète. Du fait de l’inertie thermique de l’eau, il absorbe à lui seul près de 90% de la chaleur atmosphérique, la stocke et ne la restitue que sur de très longues périodes.

Sans océan, l’élévation générale des températures liée au dérèglement climatique et les conséquences des anomalies thermiques seraient encore plus fortes.

Un autre mécanisme conduit les eaux de surface chaudes à ne pas se mélanger avec l’eau froide des profondeurs: les vents tombent par temps de canicule atmosphérique. Ces vents permettent à l’océan de diffuser la chaleur de l’eau par évaporation. Les eaux en surface deviennent encore plus chaudes et se mélangent encore moins avec les strates d’eau profondes, le processus par lequel l’océan peut se refroidir !

Des canicules marines plus longues que sur Terre

Des deux enveloppes de fluides qui entourent notre planète (atmosphère et hydrosphère), l’océan représente, par sa masse, 250 fois celle de l’atmosphère ! Pourtant, il ne fait en moyenne que 3,8 km d’épaisseur comparativement aux 30 km constitués par la couche atmosphérique.

Autre différence entre atmosphère et océans, la première a une capacité de stockage énergétique bien moindre, de quelques jours ou quelques semaines. C’est le cas également des terres émergées. Alors que l’océan, à forte inertie thermique, est une espèce de “mémoire longue” des évènements climatiques. En mer, une vague de chaleur peut en effet avoir une durée de plusieurs années !

Des canicules marines cachées

Les observations par satellite ne permettent pas de mesurer la totalité du phénomène. Des questions se posent sur la diffusion de la chaleur en profondeur, sur la structure verticale de ces canicules marines ou sur leur répartition dans ce que l’on appelle la colonne d’eau.

Une étude de décembre 2023, qui se concentrait sur des données collectées entre 0 et 200 mètres sous la surface océanique, constate que près d’un événement sur trois reste caché et n’est jamais visible dans une zone superficielle de l’eau, soit les 10 premiers mètres. “La moitié seulement des vagues de chaleur marines ont des signaux de surface continus pendant leur cycle de vie, explique l’étude, et environ un tiers de ces canicules résident toujours dans la subsurface de l’océan sans aucune empreinte sur la température de la surface de la mer.”

Des effets désastreux sur la biodiversité

Les organismes marins et les écosystèmes subissent un stress thermique qui les pousse au-delà des limites de leur résistance.

Après une canicule marine, il est difficile de prédire les capacités de résilience de ces écosystèmes marins. Un océan plus chaud produit moins de biomasse, entendez, de nourriture. La chaleur entraîne une mortalité massive parmi les organismes immobiles (sessiles) et provoque le déplacement d’espèces mobiles (vagiles) sur des milliers de kilomètres.

Chez les sessiles, on assiste à la décimation:

des coraux

des forêts de laminaires

des herbiers marins

des éponges

Parmi les espèces vagiles,

le phytoplancton et algues toxiques prolifèrent.

La composition et la répartition géographique des espèces de poissons changent. Les poissons qui migrent déstabilisent d’autres écosystèmes en en devenant les espèces invasives. D’autres meurent faute de nourriture.

Des cétacés sont également victimes de la faim.

D’autres acteurs de la chaîne alimentaire sont affectés: nous, humains, avec des pertes irrémédiables pour les pêcheries, ainsi que les oiseaux de mer qui modifient leur comportement de prise alimentaire ou meurent en masse.

Un pompe à carbone biologique qui ne fonctionne plus aussi bien

L’océan séquestre du carbone — près de 15 milliards de tonnes par an sont stockées par cette “pompe à carbone biologique”. Toute une flore, des herbiers marins, du phytoplancton consomment un CO2 atmosphérique dissous dans l’eau et intégré par le métabolisme de ces organismes qui, à leur tour, nourrissent d’autres êtres vivants.

A leur mort, ils viennent enrichir en nutriments le fond des océans et séquestrent le CO2 qu’ils contiennent. Quand la canicule tombe, elle décime cette biomasse: le puits de carbone ne fonctionne plus.

Des risques de dégazages de méthane en présence d’eaux de plus en plus chaudes

Lors d’une mission extrême dans un environnement marin des plus connus, la Méditerranée, pendant l’été 2019, l’équipe de la mission Gombessa V a détecté des rejets de méthane par des récifs coralligènes.

Le réchauffement des eaux à cette profondeur favorise la prolifération des bactéries méthanogènes, présentes naturellement dans ces récifs. “Il faut s’attendre à des dégazements de méthane. Comme le pergélisol de l’Arctique, les fonds marins sont une bombe à retardement”, expliquait à Sciences et Avenir un membre de la mission.

Une stratification des eaux de plus en plus forte

Les eaux chaudes (à l’instar de l’air chaud) ont tendance, du fait de la gravité, à occuper le dessus des océans, et les eaux froides, le fond. Avec la montée des températures près de la surface, ces strates d’eaux ont tendance à échanger de moins en moins. Les échanges de nutriments et de dioxygène dans la colonne d’eau se restreignent.

Quelques canicules marines « historiques »

Les canicules marines font peu à peu les gros titres de nos étés. Elles sont en voie de normalisation, mais certaines resteront probablement dans nos mémoires, parce qu’elles inauguraient le phénomène.

Océan Arctique: la vague de chaleur la plus importante à ce jour dans l’océan Arctique a eu lieu en 2020. Elle a duré 103 jours, avec des pics de température dépassant de 4°C la moyenne des normales climatiques.

Le “Blob”: La canicule du Pacifique Nord-Est a été si longue qu’elle a gagné un surnom: le Blob. Entre 2014 à 2016, cette vague de chaleur a mis à mal les stocks de phytoplancton. Toute la chaîne alimentaire a été affectée, cet événement allant jusqu’à provoquer la mort de colonies d’oiseaux de mer sur la côte ouest du continent nord-américain.

Mer Méditerranée: mer fermée, “point chaud” du réchauffement climatique, le bassin méditerranéen subit une hausse des températures de 20% plus rapide que partout ailleurs sur la planète. Chaque canicule depuis 2003 détruit la biodiversité.

La sécheresse intense en Europe du Sud, doublée d’incendies mémorables, en 2022, donne un avant-goût des étés à venir au 21e siècle. En mer Ligurienne, les températures affichent 5°C de plus que les moyennes observées depuis 1900. Un an après, le 24 juillet 2023, est calculée une température moyenne de 28,71°C !

De nouvelles espèces ont emprunté le canal de Suez et sont apparues en Méditerranée orientale: poissons-ballons, poissons-lapins et poissons-lions, barracudas, méduses géantes et girelles paon, tandis que d’autres, gorgones, posidonies et grandes nacres, disparaissent.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Madagascar, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here