REPORTAGE. ce Village où L’On Oublie Sa Maladie

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REPORTAGE. ce Village où L’On Oublie Sa Maladie
REPORTAGE. ce Village où L’On Oublie Sa Maladie

Africa-Press – Mali. La place principale brille sous le soleil landais. Les gens ont déserté le terrain de pétanque et le parc pour enfants pour s’abriter à l’ombre des arcades, où la vie s’agite. Au salon de coiffure, une dame se fait coiffer, un homme fait du vélo dans la salle de sport, deux femmes sortent de la supérette, tandis qu’un groupe est attablé au café du coin. Nous sommes à Dax, au Village landais Alzheimer Henri-Emmanuelli, où la vie suit son cours avec un semblant de normalité, malgré la maladie.

Ouverte en 2020, cette alternative à l’Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) accueille 120 résidents, répartis dans quatre quartiers entourant un étang verdoyant. L’une d’entre elles, Brigitte, 62 ans, m’invite dans sa maison, qu’elle partage avec six autres villageois: « Je suis dans la maison 14, c’est très complet, très sympa « , me dit-elle en me montrant la salle de jeux. Sa chambre est tapissée de photos de sa famille à La Rochelle, ainsi que de dessins et de textes: « Mon havre de paix est l’écriture, l’aquarelle, le ping-pong, et bien sûr les jolis moments passés avec mes petits-fils pendant les vacances. »

Dans ce premier – et pour l’instant unique – village Alzheimer français, le but est de permettre aux patients de vivre le plus normalement possible: « L’idée, c’est d’offrir un cadre sécurisé mais qui permet aux personnes de se réapproprier leur vie au maximum de leurs capacités restantes « , résume Mathilde Charon-Burnel, chargée des projets médico-sociaux au conseil départemental des Landes. Ce qui implique qu’ils doivent accomplir les tâches du quotidien, comme à la maison. « On revient des courses, qu’est-ce qu’on fait? On range les courses. Après, il faut mettre la table, illustre-t-elle. C’est une des problématiques d’un Ehpad, où les professionnels s’occupent de tout. Qu’est-ce qui reste à faire aux résidents? Rien. Parce qu’en fait, les tâches ménagères, c’est la vie. »

Aussi, les villageois sont libres de leurs horaires, et peuvent entrer et sortir de chez eux à tout moment. « Nous cherchons à adapter l’établissement aux villageois et à la maladie, et non l’inverse. Ne pas imposer un rythme de l’établissement sur les villageois, c’est vraiment au bénéfice de tous. C’est la vie des gens qui est priorisée « , poursuit-elle. Tout est ainsi fait pour éviter l’anxiété des patients, rendant la vie plus agréable pour eux et pour le personnel soignant.

Un modèle expérimental pour les chercheurs

La normalité du lieu se reflète jusque dans les vêtements: ici, pas de blouses blanches, pas d’uniformes, impossible de savoir à première vue qui est médecin et qui est patient. La volonté de mélanger les publics va même plus loin, car plusieurs endroits du village (médiathèque, auditorium, salles de consultation médicale…) sont aussi accessibles aux habitants de Dax, par des portes qui donnent vers l’extérieur. « On voulait que le village soit un vrai lieu de vie et pas un établissement fermé et refermé sur lui-même, explique Mathilde Charon-Burnel. Au bout d’un moment, on voit vraiment que les gens se mélangent. » Les familles des résidents sont aussi les bienvenues, grâce à des studios disponibles à la location.

« Le cadre est très propice à la présence des enfants: que ce soit dans la bibliothèque, les jeux, le parc, les gamins sont en sécurité « , affirme-t-elle. Les familles peuvent ainsi plus facilement accompagner leurs proches, notamment durant leurs derniers instants. « Pour les accompagnements de fin de vie, on s’adapte aux besoins des villageois et des familles, afin qu’ils puissent partager ces derniers moments ensemble. »

Intuitivement, cette nouvelle approche de la prise en charge de la maladie d’Alzheimer semble plus appropriée, mais qu’en dit la recherche? Ce village sert aussi de modèle expérimental pour des chercheurs de l’Inserm et de l’université de Bordeaux. Après cinq années d’études, ceux-ci s’apprêtent d’ailleurs à dévoiler leurs conclusions. « Je veux rester très prudente, car ces résultats seront publiés seulement à la fin de l’année, précise Hélène Amieva, docteure en neurosciences et directrice de l’étude. Mais les résultats semblent très encourageants: d’abord, on n’observe pas la même accélération du déclin cognitif que l’on voit après l’entrée dans un Ehpad classique, où les patients avec Alzheimer ont beaucoup de mal à s’adapter à cet environnement. Chez les villageois, on voit le déclin normal lié à la maladie, mais pas l’aggravation rapide causée par l’entrée en établissement. »

Même sur le plan économique, cette prise en charge plus onéreuse pourrait garder l’avantage, selon la chercheuse. Les coûts liés au village seraient compensés par des dépenses de santé évitées: moins d’hospitalisations et moins de médicaments prescrits. Le village fait donc ses preuves, mais ce n’est pas pour autant que sa survie est garantie. Les résultats scientifiques serviront d’argument pour demander que ce modèle soit autorisé officiellement comme établissement médico-social, mais ce sera aux politiques de décider. « La phase expérimentale va jusqu’à fin 2026, j’espère qu’ensuite on ne sera pas obligé de devenir un Ehpad, qui est un modèle beaucoup plus normé « , s’inquiète la directrice du village, Cécile Bertet.

Dans sa chambre, Brigitte me lit un de ses textes: « Si j’étais ma maison, je serais une maison où personne n’aurait peur de se réveiller, où les cris ne seraient pas les premiers sons du matin, où l’angoisse ne s’inviterait pas à la table du petit déjeuner… Je serai une maison apaisante pour chacun, réconfortante et chaleureuse… où la peur ne serait jamais une raison d’arrêter de se battre contre notre maladie. »

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