Au Mali, le Nord au bord de l’embrasement ?

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Au Mali, le Nord au bord de l’embrasement ?
Au Mali, le Nord au bord de l’embrasement ?

Par Flore Monteau

Africa-Press – Mali. Nouvelle Constitution, remaniement ministériel, retrait de la Minusma… Les sujets de crispation se multiplient entre les autorités de transition et les ex-rebelles du Nord, laissant craindre une reprise des hostilités.

Des avions de chasse en guise de préparatifs. Le 5 avril, veille des célébrations de l’indépendance symbolique de l’Azawad par les anciens mouvements rebelles touaregs, l’armée malienne envoyait ses Albatros L-39 et Sukhoï S-25 survoler Kidal et plusieurs autres villes du Nord à basse altitude.

Les groupes indépendantistes ripostent par des tirs de sommation contre ce qu’ils perçoivent comme une agression de la part de Bamako. La Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) dénonce alors une « violation patente du cessez-le-feu et une provocation grave » de la part du régime de transition dirigé par Assimi Goïta.

L’accord d’Alger au point mort

L’incident en restera là, mais il est symptomatique de l’extrême tension qui règne depuis plusieurs mois entre le gouvernement et les groupes armés signataires de l’accord de paix d’Alger, en 2015, alimentant les craintes d’une possible reprise des hostilités.

Dénonçant régulièrement le manque d’engagement des autorités maliennes, les mouvements signataires du CSP-PSD (Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement qui regroupe la CMA et la Plateforme) parlent maintenant de « blocage » du processus de paix.

« L’accord est dans sa huitième année et il n’y a eu aucun contact entre les parties prenantes depuis près de sept mois », affirme Mohamed Elmaouloud Ramadane, le porte-parole de la CMA. Joint par Jeune Afrique, il déplore les décisions successives des autorités de transition qui rendent « chaque jour plus difficile » la mise en œuvre de l’accord d’Alger, selon lui.

Contre la nouvelle Constitution

Parmi elles, le projet de nouvelle Constitution adopté par référendum le 18 juin. Depuis des mois, la CMA critique vivement ce texte, dans lequel elle voit « un net recul d’intérêt de la partie gouvernementale pour l’Accord de paix ».

Le 19 juin, le coordinateur régional de l’AIGE (l’Autorité indépendante de gestion des élections) à Kidal notait « une absence totale d’intérêt pour le vote dans la région » – version ensuite contredite par la junte au pouvoir pour qui l’insoumission de Kidal est un motif récurrent d’irritation. « Il n’y a pas eu d’élections à Kidal et dans les régions du Nord, abonde le porte-parole de la CMA. Nous ne reconnaissons pas la Constitution, même si la Cour constitutionnelle la valide. »

Deux jours plus tôt, les autorités de transition demandaient au Conseil de sécurité de l’ONU le retrait « sans délai » de la Minusma. « Consterné » par cette décision, le CSP-PSD évoque alors un « coup fatal porté délibérément contre l’accord de paix » avant de demander officiellement le renouvellement du mandat de la mission onusienne, « cheville ouvrière de la mise en œuvre du processus de paix ». Sans succès : le 30 juin, le Conseil de sécurité prenait acte de la demande de Bamako et adoptait une résolution donnant six mois – soit jusqu’au 31 décembre – aux plus de 12 000 Casques bleus pour quitter le Mali.

Plus de médiateur

Pour Mohamed Elmaouloud Ramadane, ce retrait de la Minusma est un nouveau coup dur pour l’accord de paix. « Il est clair que les autorités de Bamako n’ont pas de volonté réelle pour sa mise en œuvre. C’est inquiétant », indique-t-il. D’autant plus pessimistes depuis le départ annoncé des Casques bleus, les mouvements indépendantistes attendent toujours « des propositions concrètes » des autorités de la transition. Dans le cas contraire, « le pire est à craindre », poursuit-il.

La Minusma partie, qui pourrait faire office de médiateur dans le nord du Mali ? Une nouvelle mission politique de l’ONU dédiée disent certains, l’armée malienne reconstituée avancent d’autres. « Il y aura forcément des changements d’ici la fin de l’année, lesquels pourraient susciter de très fortes tensions », prédit Andrew Lebovich, chercheur au programme Sahel du Clingendael Institute.

Comme le prévoit l’accord d’Alger, certains combattants des groupes armés signataires ont déjà intégré des contingents de l’armée. Ce processus de reconstitution des Fama était sous la responsabilité de la Minusma. Avec son départ, que va-t-il devenir ? La question reste pour l’instant sans réponse.

Wagner en embuscade ?

Par ailleurs, quid des 1 400 mercenaires de Wagner, les supplétifs russes de l’armée malienne ? Déjà présents dans quelques localités du Nord (Tombouctou, Hombori, Gao, Ménaka…), ils pourraient bien succéder aux Casques bleus dans leurs bases avancées du septentrion, telles Tessalit ou Aguelhok. « Si les forces russes s’y implantent, ça va encore faire monter la température », s’inquiète Andrew Lebovich. D’après le chercheur, les mouvements armés signataires « craignent notamment que Wagner soit la pointe de l’épée pour une opération contre Kidal ».

Preuve de leur défiance, une délégation du CSP-PSD a rencontré le 3 juillet l’ambassadeur de Russie au Mali pour lui faire part de « certaines inquiétudes et craintes quant au soutien de la Russie à l’armée malienne contre les Azawadis », ont-ils indiqué sur Twitter.

Lors de sa visite à Bamako, en février, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, avait rappelé à Bamako son attachement à l’accord de paix d’Alger. « Même si le gouvernement malien essaie de reprendre le Nord militairement, on ne sait pas à quel niveau la Russie pourrait le tolérer », explique Andrew Lebovich. Dans ce cas, Moscou pourrait fixer certaines « lignes rouges », selon le chercheur qui estime qu’une telle opération serait de toute façon « difficile et coûteuse » pour Bamako.

Comme avec la Russie, les mouvements du Nord appellent au dialogue avec tous les partenaires. Algérie, Turquie, Royaume-Uni… Ces derniers jours, les rencontres s’enchaînent. « Tout le monde doit jouer son rôle pour pousser les autorités de la transition à respecter l’accord d’Alger », explique Mohamed Elmaouloud Ramadane. La stratégie s’est-elle avérée payante ? Le 16 juillet, le colonel Modibo Koné, patron de la puissante sécurité d’État (SE, les services de renseignement maliens) et figure de la junte au pouvoir, s’est discrètement rendu à Kidal pour y rencontrer les responsables de la CMA.

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