Groupes armés au Sahel : le Mali va-t-il redevenir une base arrière pour ces groupes ?

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Groupes armés au Sahel : le Mali va-t-il redevenir une base arrière pour ces groupes ?
Eléments du groupe extrémiste armé AQMI

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Mali. Alors que la guerre d’Ukraine marque un tournant fondamental pour la sécurité européenne, la France et ses partenaires s’emploient à retirer les ressources militaires du Mali, soulevant des questions sur la meilleure façon de faire face aux menaces terroristes persistantes et à l’empreinte russe croissante dans les régions environnantes.

D’ailleurs, sautant l’occasion, les attaques attribuées aux groupes djihadistes ne cessent de se multiplier au Mali depuis plusieurs semaines, et dans ce contexte, nous croyons savoir que le lundi 7 mars 2022, au cours de la matinée, la base de N’Tahaka, un verrou stratégique situé à 50 km de Gao (dans le nord du Mali) tenu par les forces de l’armée malienne (FAMa), a été prise d’assaut par des groupes armés.

Il s’agissait en fait, selon des sources maliennes, d’une opération qualifiée de très violente. L’état-major des armées à Bamako avait annoncé avoir perdu seulement deux soldats et éliminé neuf « assaillants ». Un bilan impossible à vérifier. Dans la même journée, un convoi logistique de la mission des Nations unies (Minusma) a sauté sur une mine au nord de Mopti (centre), tuant deux casques bleus égyptiens.

Tout laisse à croire que la recrudescence, ces derniers jours, des attaques djihadistes, est en train de sonner comme un cinglant démenti aux communiqués triomphalistes de Bamako, notamment le communiqué publié le 22 février, dans lequel les FAMa ont affirmé avoir consolidé leurs « acquis opérationnels face à des terroristes de plus en plus fébriles, en débandade ».

C’est ce qui a été d’ailleurs confirmé dans une note de l’Ifri, publiée début février dernier par Mathieu Pellerin (chercheur associé au sein du programme Afrique subasaharienne de l’Ifri), qui a ainsi décrit leur progression vers le sud du pays, à Koulikoro, Sikasso et Kayes : « La pression exercée sur ces trois régions augure d’une menace nouvelle pour le Mali, celle d’un encerclement progressif de Bamako ».

En réalité, jamais le Mali n’a été dans une situation aussi périlleuse pour son intégralité territoriale.

Augmentation possible du niveau de menace terroriste en Afrique du Nord

Carte – Daesh : la cible africaine

Le redéploiement des forces européennes constituerait un changement stratégique majeur pour le Sahel africain et le Maghreb. Il est hautement irréaliste de supposer que quelques centaines de « mercenaires wagnériens » et des éléments des forces armées maliennes ont la capacité d’imposer la sécurité dans une zone de 900.000 kilomètres carrés de territoire nord, vulnérable, et de mettre en œuvre des efforts efficaces de lutte contre le terrorisme dans ces territoires, et ce, pour trois raisons :

• Premièrement, ils manquent d’une chaîne de commandement efficace et de capacités adéquates de renseignement, de surveillance et de reconnaissance.
• Deuxièmement, ils peuvent manquer de volonté politique, car la junte militaire semble se concentrer sur la consolidation de son pouvoir à Bamako plutôt que sur la projection de son influence dans des zones marginales.
• Troisièmement, des observateurs ont rapporté qu’une partie des mercenaires de Wagner au Mali pourraient être syriens et libyens plutôt que d’anciens agents russes, et qu’ils sont plus enclins à se concentrer sur la sécurisation de leurs sources de revenus plutôt que de combattre activement les djihadistes.

Le risque est grand que le Mali redevienne une base arrière pour des groupes terroristes

Des terroristes sur le territoire malien

Ce scénario annulerait les acquis substantiels réalisés ces dernières années et exposerait de nombreux États arabes à une plus grande menace djihadiste. En effet, la plupart des chefs opérationnels et des « émirs extrémistes » supposés avoir été éliminés par la France, viennent des pays du Maghreb comme l’Algérie, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie. On compte parmi eux les deux dirigeants éminents d’Al-Qaïda et de Daech, Abdelmalek Droukdel et Adnan Abu Walid al-Sahraoui.

Cette situation a été motivée par l’évolution de la menace elle-même, du fait que les leaders terroristes se sont déplacés du nord vers le « triangle frontalier » situé entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, appelé “Les Trois frontières”.

De plus, la Libye pourrait également se trouver en danger. La région la plus méridionale du Fezzan était autrefois une base arrière importante pour les terroristes. Aujourd’hui, il y a peu de forces locales, voire aucune, disponibles pour surveiller les itinéraires de contrebande ou le mouvement des combattants à travers ces frontières poreuses.

Ainsi, le départ des forces alliées du Mali aurait certainement des répercussions à l’étranger, facilitant la reconfiguration des voies d’approvisionnement et des sources de financement pour de nombreux groupes terroristes opérant à travers le Sahara.

Ce que l’on peut conclure de tout ce qui précède

La question la plus urgente qui se pose aujourd’hui est de trouver la meilleure façon de reconfigurer l’appareil militaire occidental au Sahel. Les États-Unis, en tant que principal partenaire de sécurité de l’Europe dans la région, pourraient avoir un intérêt à suivre le rythme de l’évolution de la présence militaire de la France et de ses alliés afin de contrer les groupes armés dans la région des « Trois frontières » et le Sahara. Les pays voisins comme le Niger et le Burkina Faso sont particulièrement vulnérables à ces groupes et sont donc disposés à continuer de coopérer avec les forces occidentales. Des éléments terroristes tentent également de s’étendre dans les pays sahéliens du golfe de Guinée.

En Afrique du Nord, le fait d’engager d’autres gouvernements (comme le Maroc et l’Égypte) sur ces questions à moyen terme, pourrait aider à atténuer les menaces potentielles et limiter leurs répercussions sur les États du Maghreb.

De leur côté, les acteurs occidentaux devraient maintenir la pression politique et économique sur la junte militaire malienne en encourageant le processus démocratique et en limitant l’influence de Moscou. Dans le contexte de la guerre contre l’Ukraine, toute avance potentielle sur les actifs russes doit être surveillée avec prudence. Il est particulièrement important de se concentrer sur la communication stratégique afin de contrer les divers récits russes et djihadistes.

Enfin, engager l’Algérie pour aider à apaiser les tensions entre les Touareg et le gouvernement malien pourrait être une option diplomatique appropriée. Outre les efforts renouvelés pour mettre en œuvre l’accord de paix de 2015, l’Algérie pourrait être un allié dans le maintien du rôle de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali « MINUSMA », qui pourrait être menacée par la junte militaire et les « mercenaires du groupe Wagner ».

Cette mission est formellement chargée du contrôle de la mise en œuvre de l’accord d’Alger, et est également chargée du contrôle du respect des droits de l’homme, ce qui peut lui donner la liberté d’œuvrer pour aider au contrôle des activités de Wagner.

Il est également important de maintenir le bon fonctionnement de cette mission onusienne afin de limiter les conséquences négatives pour l’Algérie et le Maghreb élargi.

A retenir

Il importe de retenir de facto que le djihadisme au Sahel n’est pas seulement le fruit d’insatisfactions sociales, économiques ou communautaires, il est le produit de l’évolution des doctrines du djihadisme.

Depuis 2015, la renaissance du califat véhiculée par les djihadistes de Daech ont pris la relève aux djihads médiévaux, notamment almoravide, les djihads noirs du XIXe siècle contre les ethnies animistes et le colonisateur, à l’expérience du terrorisme islamiste algérien dans les années 1990, et enfin à l’ambition d’un djihad mondial initiée par al-Qaïda dans les années 2000.

Néanmoins, bien que chaque mouvement agissant dans le Sahel ait sa propre histoire et ses objectifs, tous sont plus ou moins rattachés à ces différents paradigmes et doivent prendre en compte l’évolution globale du djihadisme dans le monde afin de trouver des alliés, des financements et des stratégies mobilisatrices.

 

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