Guinée, Mali, Burkina Faso… Le Mauritanien Yacoub Sidya, discret convoyeur de l’or des miniers

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Guinée, Mali, Burkina Faso… Le Mauritanien Yacoub Sidya, discret convoyeur de l’or des miniers
Guinée, Mali, Burkina Faso… Le Mauritanien Yacoub Sidya, discret convoyeur de l’or des miniers

Justine Spiegel

Africa-Press – Mali. Partenaire des miniers et des pétroliers actifs au Sahel, le patron de MSS Security et de Global Aviation fait fructifier ses affaires dans la région en dépit des coups d’État successifs. Qui est cet homme qui fuit la presse et quels sont ses liens avec les juntes ? Rencontre à Nouakchott.

LE PORTRAIT ÉCO DE LA SEMAINE – Le week-end, Yacoub Sidya apprécie le calme de sa vaste demeure de Nouakchott, loin de l’agitation des salons où l’élite de la capitale aime à se retrouver. Durant la semaine, il voyage de Bamako à Conakry, en passant par Dakar, Niamey et Ouagadougou, où il a implanté le cœur de son business.

À 46 ans, il fait partie de ces discrets hommes d’affaires mauritaniens, à l’instar d’Abderrahmane Ndiaye, qui, tout en restant à distance des pouvoirs successifs dans leur pays, ont réussi à s’implanter dans la sous-région… et à y faire fortune. « Le pouvoir est comme le feu, il ne faut pas trop s’en approcher, ni s’en éloigner », sourit-il. Pour se préserver, l’entrepreneur, acteur important du secteur de la sécurité, fuit la presse et ne participe même pas aux réunions de l’Union nationale du patronat, qui réunit l’establishment du pays. « C’est pourquoi la majorité des gens spéculent à mon sujet », constate-t-il.

Yacoub Sidya travaille avec la quasi-totalité des miniers actifs en Afrique de l’Ouest comme le canadien Kinross, le sud-africain Anglogold Ashanti, le marocain Managem ou encore le russe Nordgold, jusqu’à sa mise sous sanctions par Washington en 2022 (« j’ai respecté le préavis de 30 jours »). Pour eux, il transporte des valeurs et du personnel à destination ou depuis des zones reculées, et parfois réputées dangereuses.

Il est également sous-traitant pour des compagnies pétrolières, à l’instar de BP et Shell, dont il sécurise les sites offshore et pour qui il effectue des rotations quotidiennes afin d’acheminer hommes et matériel. Implantées dans sept pays, ses entreprises, également actives dans le domaine de l’évacuation sanitaire, emploient plus de 4 000 salariés.

Introduit chez Mamadi Doumbouya

L’homme d’affaires est particulièrement bien introduit depuis plus d’une dizaine d’années à Conakry, où il connaît personnellement le général Mamadi Doumbouya. Selon ses dires, leur connexion est ancienne, et il n’aurait vu le chef de la junte que trois ou quatre fois depuis sa prise de pouvoir.

Cela paraît toutefois suffisant pour envisager d’y lancer une compagnie domestique privée avec le soutien de l’État, sans que ce dernier entre toutefois au capital. « Le projet est en discussion, mais d’autres privés sont positionnés » – comme Fady Wazny, patron d’UMS – explique Yacoub Sidya, qui a obtenu la nationalité guinéenne l’an dernier. En revanche, il assure n’avoir jamais rencontré le Malien Assimi Goïta, le Burkinabè Ibrahim Traoré ou encore le Nigérien Abdourahamane Tiani.

Il projette également d’ouvrir des liaisons aériennes pour transporter les pèlerins ouest-africains vers La Mecque, comme l’a fait Air Afrique, et donc d’acheter quatre ou cinq Boeing 777-200. Il exploite déjà, via la société Global Aviation fondée en 2015, 18 avions – ATR et Beechcraft – capables d’atterrir sur des pistes en latérite et trois hélicoptères.

Premier contrat avec Kinross

C’est en 2005, à l’arrivée de Kinross en Mauritanie, que Yacoub Sidya crée son entreprise, MSS Security. Auparavant, ce fils d’un ex-ministre du président Moktar Ould Daddah, qui a également été ambassadeur à Moscou avant de se lancer dans les affaires (construction, quincaillerie) a obtenu un diplôme en business management à l’université du Kentucky. Abandonnant ses ambitions dans le football, ce fan de Messi et de Maradona a ensuite investi aux États-Unis dans un complexe multisports, dont il est toujours propriétaire, puis il a travaillé pour la compagnie télécom DiscoveryTel.

Rapidement après son premier contrat avec Kinross, en 2009, dont il fut le premier sous-traitant, MSS a décroché la sécurisation de nombreux sites extractifs en Mauritanie, jusqu’à ce que Mohamed Ould Abdelaziz, alors au pouvoir et dont l’entourage détient une société concurrente, ne retire aux civils la possibilité de gérer ce type de contrats.

Il perd alors ses clients (il ne retravaillera avec Kinross qu’en 2019), ses comptes sont bloqués et il est contraint de continuer ses activités au Sénégal, où des miniers le recommandent et lui permettent de redémarrer, mais cette fois au niveau régional.

C’est à cette période qu’il choisit de déplacer les bureaux de ses entreprises à Dubaï, où il lance, en 2015, une société de négoce d’or, Phoenix Precious Metals. Devenu sous-traitant du groupe américain Brink’s, il va alors transporter à cette époque plus de 3 milliards d’or par an hors d’Afrique de l’Ouest.

Avec Ghazouani au pouvoir, le vent a tourné

Avec la réussite vient aussi le temps des scandales. En 2014, l’un de ses avions en escale à Dakar, après être parti de Conakry pour rejoindre Dubaï, est intercepté par la douane sénégalaise avec plusieurs millions d’euros à bord. Alors qu’il assure transporter des fonds pour le compte de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG, il avait remporté l’appel d’offres en 2012), il est accusé de participer à un système de blanchiment d’argent au profit du président Alpha Condé.

Après deux jours d’intenses négociations, il est autorisé à quitter le pays. « Cela a laissé des traces, les clients posent beaucoup de questions par rapport à cela », relate Yacoub Sidya, qui a porté plainte dans la foulée contre plusieurs titres de presse sénégalais.

Autre polémique: en 2018, il est accusé d’avoir détourné près de 21 millions de dollars de la BCRG, avant d’être cette fois convoqué par Alpha Condé. Il assure avoir été blanchi après un audit mené par le cabinet KPMG, ayant conclu, selon lui, que l’argent manquant était dû à des difficultés de transport.

« Cela m’a causé également beaucoup de tort, il y a des pays où il m’est désormais impossible de travailler, comme la RDC », déplore-t-il. S’il transporte aujourd’hui l’équivalent de sept milliards de dollars pour ses clients, le patron doit constamment se justifier, notamment auprès de ses banques.

« L’an dernier, Citibank a limité mes transactions pendant une semaine. J’ai répondu à leurs questions et désormais tout est résolu. Mais à la fin de l’année dernière, j’ai dû gérer plusieurs audits de partenaires pour lesquels il a fallu embaucher quatre personnes à temps plein », reconnaît-il.

En Mauritanie, le vent a semble-t-il tourné en sa faveur. En paix depuis l’arrivée de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani au pouvoir, en 2019, il recommence à se développer sur ses terres. Après avoir inauguré une base de maintenance pour ses avions à l’aéroport de Nouakchott en 2021, Yacoub Sidya envisage désormais de se diversifier. Le fondateur de MSS Clinic vient d’engager un médecin indien expérimenté avec l’ambition de créer une clinique moderne dans la capitale.

Source: jeuneafrique

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