La MINUSMA contrainte de précipiter son départ et de saboter le matériel qu’elle laisse derrière elle au Mali

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La MINUSMA contrainte de précipiter son départ et de saboter le matériel qu'elle laisse derrière elle au Mali
La MINUSMA contrainte de précipiter son départ et de saboter le matériel qu'elle laisse derrière elle au Mali

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Mali. Les décisions prises par la junte militaire au pouvoir au Mali auraient contraint la mission des Nations Unies à accélérer son départ de ce pays du Sahel africain.

Témoin d’attaques et de tensions entre maliens et séparatistes touaregs, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a été obligée d’entamer son retrait après qu’en juin dernier, la junte militaire au pouvoir depuis 2020 ait exigé son départ, déclarant « l’échec » de la mission et dénonçant la supposée « exploitation » de la question des droits de l’homme.

Comment s’effectuait ce retrait

Il importe de noter que ce retrait à grande échelle et risqué, met fin à 10 ans d’efforts pour tenter de stabiliser un pays ravagé par des attaques armées et une crise profonde et multidimensionnelle.

La Mission MINUSMA au Mali, constituée de prés de 15.000 soldats et sécuritaires, dont plus de 180 membres y laissèrent leur vie dans des attaques, devrait se retirer d’ici le 31 décembre prochain, selon le calendrier qu’elle s’est fixée.

Les différents groupes armés en compétition pour le contrôle des territoires du nord Mali cherchent à profiter de l’évacuation des bases de la mission onusienne, tandis que l’armée malienne s’empresse de les reconquérir.

Les groupes séparatistes touaregs opposés à la prise de ces bases par l’armée ont repris les hostilités contre le gouvernement central. De son côté, le « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans – جماعة نصرة الإسلام والمسلمين », affilié à Al-Qaïda, n’a pas hésité à intensifier ses attaques contre des sites militaires.

Ceci-dit, la MINUSMA a attribué l’accélération de son retrait à l’escalade armée qui menace ses membres en plus de risquer leur vie, en raison de non obtention de permis pour voyager par avion, accusant de facto les autorités maliennes de compliquer le processus de sa sortie du pays en entravant ses déplacements.

Néanmoins, après avoir déjà évacué cinq camps militaires au cours du mois d’août dernier, la mission onusienne a annoncé, le dimanche 22 octobre passé, avoir « achevé un jour avant son retrait accéléré de sa base de Tessalit (nord), au vu des tensions qui mettaient ses unités en danger », soulignant, dans ce contexte, qu’avant ce retrait, ses éléments « ont dû se cacher à plusieurs reprises dans des abris pour éviter des tirs ».

Pour rappel, le jeudi 19 octobre, l’aile d’un C-130 (avion cargo tunisien affrété par la MINUSMA) aurait été endommagée lors de son atterrissage à Tessalit, selon la confirmation de la mission onusienne, qui a assuré qu’il n’y a eu « aucun blessé ni dommage grave à l’avion » en question.

La même source indique qu’une partie des nombreux réfugiés, pour la plupart des Tchadiens, sont partis dans un avion, tandis que le reste est parti « dans un convoi terrestre » vers Gao, la plus grande ville du nord du Mali, pour un voyage s’étendant sur plus de 500 kilomètres dans le désert, sous les menaces constantes des groupes armées.

Cette scène s’est répétée le lendemain, avec le retrait des membres de la mission onusienne de la base d’Aguelhok et leur déplacement par voie terrestre faute d’avoir obtenu d’autorisations pour voyager par voie aérienne.

Tirs d’obus et explosifs

Malheureusement, ces convois ont fait l’objet d’attaques à l’engin explosif, faisant des blessés, selon la mission « MINUSMA », et le groupe « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans -جماعة نصرة الإسلام والمسلمين » a revendiqué la responsabilité de ces attaques. La mission a indiqué qu’un chauffeur de camion a été grièvement blessé et deux autres légèrement, lorsque des hommes armés ont ouvert le feu sur un convoi logistique parti d’Ansongo, un autre camp qui sera également évacué.

Pourquoi avoir détruit du matériel militaire ?

MINUSMA a confirmé avoir pris « la décision difficile et amère de détruire, désactiver ou retirer du service des équipements de valeur, tels que des véhicules, des munitions, des générateurs électriques et d’autres matériels », ce qui constitue un « dernier recours » selon les règles des Nations Unies.

Elle a expliqué que ces équipements « ne peuvent pas être restitués aux pays contributeurs de troupes ni même redéployés vers d’autres missions de maintien de la paix », soulignant que « de telles pertes auraient pu être évitées » si 200 camions n’avaient pas été bloqués à Gao depuis le 24 septembre 2023, en raison des restrictions de déplacement imposées par la junte militaire malienne.

D’autant plus que la mission ne pouvait pas les transporter avec elle, surtout que des camions-citernes destinés à ravitailler les convois sont restés également bloqués à Gao, sachant que, sur ce point précis, un responsable de la mission a déclaré que : « Les agents des douanes ont prétendu que les quantités de carburant sont injustifiées », alors qu’un policier malien à Gao a expliqué cela autrement, indiquant que « les inquiétudes des autorités à cet égard proviennent de la crainte que la MINUSMA puisse fournir du carburant aux indépendantistes ».

Que craignait la mission onusienne quant à ce matériel abandonné ?

En abandonnant une quantité importante de matériel de guerre et d’équipements après les avoir mis « hors de serve », à son retrait, la MINUSMA a vu utile et nécessaire même de s’en débarrasser vu l’impossibilité de les transporter, de crainte pour trois raisons principales :
• Que le matériel de guerre tombe entre les mains des groupes terroristes,
• Ou qu’il soit récupéré par les groupes séparatistes du nord Mali,
• Ou encore qu’il devienne une source de commerce aux contrebandiers dans le Sahel africain.

Absence de confiance entre la MINUSMA et la Junte militaire

Cette affirmation, qui ne repose sur aucune preuve, reflète effectivement le manque de confiance entre la mission onusienne et la Junte militaire.

On note par ailleurs qu’un mémorandum secret adressé au Conseil de sécurité de l’ONU par le Département des opérations de maintien de la paix énumère les défis auxquels est confrontée la mission de l’ONU au Mali lors de son retrait, notamment :
• L’incapacité des autorités à accorder des permis de vol ou de voyage,
• L’interdiction des importations concernées,
• Ou leur incapacité à d’envoyer des patrouilles pour surveiller leurs camps privés.

La MINUSMA a élaboré un plan de retrait alternatif qui comprend des mesures à utiliser en dernier recours.

Le porte-parole du gouvernement central malien, le colonel Abdoulaye Maïga, a accusé l’ancien allié français de ne fournir « aucun effort pour accélérer le départ de la mission onusienne ».

En accélérant son processus de retrait, la mission onusienne perturbe ainsi les plans de l’armée, qui refuse de laisser le champ libre aux indépendantistes.

A ce propos, l’expert en affaires internationales et stratégiques à l’Institut Montaigne, Jonathan Guevara, estime que la junte militaire « a pris la décision d’expulser la MINUSMA, mais elle veut aussi contrôler le rythme du retrait ».

Une situation qui risque fort de s’aggraver

Les tensions risquent effectivement de s’aggraver avec le départ des unités de la mission des Nations Unies de la ville de Kidal, fief des « séparatistes touaregs », car le départ de cette base était initialement prévu pour la seconde quinzaine de ce mois de novembre, mais il pourrait bien être précipité pour s’achever plus tôt, peut-être d’ici quelques jours, selon un responsable de la mission, qui a indiqué que le personnel non essentiel avait commencé déjà à quitter les lieux.

« Certes, nous ne resterons pas les bras croisés et nous n’exposerons pas nos forces au danger », a déclaré à son tour un officier de l’armée tchadienne.

Kidal est sous le contrôle de groupes séparatistes armés dominés par les Touareg, sachant que ces groupes, qui avaient signé un accord de paix avec le gouvernement en 2014 et 2015, avaient repris leurs opérations militaires contre les forces de ces derniers avec l’annonce du retrait imminent de la mission des Nations Unies.

En plus, ces groupes s’opposent à ce que la MINUSMA remette ses camps aux forces gouvernementales.

Des obstacles sécuritaires menacent quand même le retrait des forces de la mission

Le départ de la MINUSMA des camps qu’elle occupait aurait donné lieu à une course au contrôle des régions entre les groupes armés du nord, notant que les groupes séparatistes majoritairement affiliés aux Touareg ont repris leurs opérations militaires contre l’État central, autant que le « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans – جماعة نصرة الإسلام والمسلمين », qui a intensifié également ses opérations contre des sites militaires, et l’affrontement risque de s’aggraver dans les prochains jours.

D’ailleurs, un communiqué diffusé par la MINUSMA indique que l’organisation des Nations Unies « est profondément préoccupées par l’escalade des tensions et la présence armée croissante dans le nord du Mali », mettant l’accent sur le fait que ces conditions « menacent de perturber le calendrier de départ des forces de la mission », censées quitter le pays d’ici le 31 décembre 2023.

La même source indique entre-autres que cela menace également « de compromettre la sécurité du transport du personnel et des biens des Nations Unies des pays contribuant à la force de maintien de la paix et aux Nations Unies ».

Par ailleurs, les Nations Unies ont noté avec « une profonde inquiétude que leurs convois logistiques n’étaient pas autorisés à quitter Gao pour récupérer du matériel et que cela pourrait avoir un impact significatif sur la capacité de la mission à respecter le calendrier prévu ».

Les Nations Unies affirment que toutes les parties sont tenues de s’abstenir de toute action ou déclaration susceptible de compromettre le retrait sûr et opportun de la mission intégrée, et son service de presse a indiqué que les Nations Unies se réfèrent également à la résolution n°2690 du Conseil de sécurité, qui appelle le gouvernement de transition au Mali à coopérer pleinement avec les Nations Unies lors de la réduction des effectifs de la mission MINUSMA, de son retrait et la fin des travaux de la mission, pour assurer son retrait de manière ordonnée et sûre, et demande au gouvernement de transition au Mali à ce que toutes les dispositions de l’Accord sur le statut des forces soient pleinement respectées jusqu’au départ du dernier membre de la MINUSMA du Mali .

L’Afrique peut-elle se passer des missions onusiennes ?

Il est d’une grande importance de chercher à connaître le lien entre le départ des missions de l’ONU de nombreuses régions d’ici la fin de l’année 2023, comme la Somalie et le Congo.

« MONUSCO » pour la République démocratique du Congo, « MINUSMA » pour le Mali, « ATMIS » pour la Somalie, on peut dire que derrière ces acronymes se cachent des missions d’interposition, de stabilisation ou de paix déployées par l’Organisation des Nations unies sur le Continent africain.


Toutefois, comme par solidarité à ce qui se passe chez leurs voisins, certains États africains ont réclamé dernièrement leur retrait pur et simple, au risque de créer un vide sécuritaire dangereux chez-eux et dans toute la région. Ce qui n’a pas empêché plusieurs forces onusiennes d’interposition de plier bagage l’une après l’autre, laissant derrière elles une situation sécuritaire loin d’être apaisée.

Le départ de la Minusma d’Afrique est-il une nouvelle tentative américaine d’impliquer le continent dans des conflits et des guerres internes et régionales ?

Probablement pas. Nous pouvons dire plutôt que le dilemme américain en Afrique pourrait s’exprimer ainsi : « comment concilier la défense des intérêts stratégiques américains avec la volonté de mettre l’accent sur la promotion des libertés et du développement au sens large, éléments-clés à la fois dans la stratégie pour l’Afrique subsaharienne et dans la stratégie anti-terroriste ».

Dans ce contexte, il va de soi que la stratégie américaine privilégie en conséquence, dans les textes, une approche intégrée, dans laquelle l’assistance militaire soit accompagnée d’un soutien:
• aux institutions démocratiques,
• à la société civile,
• au développement,
• et à la croissance économique.

Mais, en réalité, les intérêts américains s’accroissent sur les enjeux sécuritaires. Outre la gestion des conflits, la lutte contre les menaces transnationales (terrorisme, drogues en Afrique de l’Ouest, piraterie dans les Golfes d’Aden et de Guinée, prolifération nucléaire à partir des stocks d’uranium africain en RDC) constitue un impératif.

Quant à la menace terroriste, dont l’Afrique est devenue un terreau fécond (Sahel, Afrique du Nord, Nigéria, Somalie, Kenya) en raison de la pauvreté et de la corruption, elle a été notoirement réévaluée dans la stratégie américaine.

Néanmoins, la politique de défense américaine semble plutôt viser à long terme la stabilité du continent, et à court terme, elle reste centrée sur la lutte contre les groupes terroristes extrémistes et les trafics divers qui les alimentent et contribuent à l’instabilité régionale, sans toutefois, si notre analyse s’avère « plausible », que les Etats-Unis puissent avoir en tête de mettre en marche une nouvelle tentative d’impliquer le continent dans des conflits et des guerres internes et régionales.

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