Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Mali. Décidément, la crise entre le Mali et l’Algérie connaît un nouveau tournant qui menace d’aggraver les relations entre les deux pays voisins, qui partagent une longue frontière. Les avertissements lancés par Bamako à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies ont été un signal d’alarme pour les autorités algériennes.
En effet, la tribune de la 79ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, tenue à New York, du 22 au 27 septembre 2024, s’était transformée en une arène de débats et d’échanges d’accusations et de termes étrangers au discours diplomatique entre l’Algérie et le Mali, ce qui reflète la profondeur de la crise que les relations bilatérales ont atteinte.
• La tension préoccupante entre le Mali et l’Algérie à ses débuts
Bamako a accusé l’Algérie d’abriter des terroristes, en référence aux factions armées de l’Azawad, que l’Algérie a qualifiées de « viles », « impolies » et « nuisibles à la réputation des Nations unies », et par conséquent elle n’y répondra pas.
A noter que le porte-parole du gouvernement malien, Abdoulaye Maiga, avait déclaré dans un discours prononcé lors de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, que l’Algérie abritait des terroristes et leur fournissait un soutien logistique et matériel, ce qui en fait un voisin indésirable en raison de son rôle dans la menace à l’unité et à la stabilité du Mali.
C’est ainsi que, dans un langage inédit, le porte-parole malien a lancé un avertissement à l’Algérie comme suite: « Nous mettons en garde les Algériens contre le rôle qu’ils jouent en menaçant et en semant le chaos et l’instabilité au Mali. Et comme on le dit souvent ‘Quiconque met en garde est excusé (من انذر فقد اعذر)’ » Cette position, qui comporte des réactions potentielles, est considérée comme inédite dans le cours des relations entre les deux pays et reflète une crise qui grandit progressivement comme une boule de neige, augmentant les troubles de la région qui vit au son des sables mouvants.
Selon Abdoulaye Maiga: « L’Algérie fournit des logements et de la bonne nourriture aux terroristes et aux rebelles qui vivent dans le chaos. Leur rôle de passeurs confus ne contribue pas au renforcement des relations de bon voisinage ».
Il existe une croyance répandue parmi les élites politiques et médiatiques fidèles au conseil militaire au pouvoir dans le pays selon laquelle l’Algérie soutient financièrement et logistiquement les factions armées de l’Azawad, et que l’attaque lancée ces dernières semaines contre l’armée malienne et les unités du groupe Wagner a été menée avec l’aide de l’Algérie et de l’Ukraine.
Les maliens n’ont pas hésité non plus à accuser l’Algérie d’avoir insinué que l’organisation affiliée à Al-Qaïda, « Nosrat al-Islam wal-Muslimin », avait mené la récente attaque visant le quartier général, les bâtiments et les infrastructures militaires de la capitale, Bamako, qui a causé des pertes humaines et matérielles « considérables ».
« L’Algérie joue le rôle d’un fauteur de troubles et ne respecte pas le bon voisinage. Elle n’a pas respecté le Mali parce qu’elle l’a soutenu dans la guerre de libération, elle n’a pas respecté le bon voisinage et la géographie commune entre les peuples. Elle doit savoir que le Mali n’est pas un État algérien », a déclaré entre-autres Maiga, qui a ajouté que « l’accueil de l’opposant religieux malien, l’Imam Mahmoud Dicko, par le président algérien Abdelmadjid Tebboune, ainsi que ses apparitions à plusieurs reprises avec plusieurs hauts responsables algériens, ont suscité une polémique au cours de laquelle le Mali a accusé les autorités algériennes d’avoir reçu une figure terroriste recherchée par la justice.
• Réaction des autorités algériennes
Dans le même contexte, une question a été posée tant de fois, laissant derrière elle beaucoup de suppositions: Que se passe-t-il à proximité de la frontière commune entre l’Algérie et le Mali ?
Il importe de noter que le représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations Unies, Amar Bendjama, avait appelé à poursuivre juridiquement et internationalement les parties qui avaient mené une attaque dans un village du nord du Mali, près de la frontière avec l’Algérie.
A ce propos, des militants touaregs ont déclaré qu’au moins 20 personnes, dont des enfants, ont été tuées dans des attaques perpétrées par des drones, dimanche 25 août 2024, dans la région de Tin Zaouatine au Mali, à quelques mètres de la frontière algérienne, selon des agences de la presse internationale, tandis que les médias fidèles à la junte militaire malienne ont rapporté que l’armée avait mené des frappes aériennes visant des « cibles rebelles et terroristes », annonçant également l’assassinat d’un chef du groupe islamiste radical « Ansar Eddine ».
Quelques jours avant, soit le 27 juillet 2024, des militants touaregs avaient annoncé avoir tué et blessé des dizaines de combattants de l’armée gouvernementale et du groupe russe Wagner (devenu aujourd’hui Africa Corps). Et là, il s’agirait de l’une des plus grosses pertes subies par le groupe russe sur le Continent africain.
• Quand la tension entre l’Algérie et le Mali atteint son paroxysme
Les relations entre l’Algérie et son voisin du sud, le Mali, sont extrêmement tendues depuis que Bamako a annulé unilatéralement l’« Accord de réconciliation et de paix » qu’il avait signé avec l’opposition en 2015, accusant l’Algérie, parrain de l’accord, d’« interférer dans les affaires intérieures du Mali ».
-/- Querelles et échanges d’accusations depuis l’entrée de Wagner dans la crise
Les tensions se sont intensifiées au début du mois d’octobre 2024, à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, lorsque le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, et le porte-parole du gouvernement malien, le colonel Abdoulaye Maiga, ont échangé des déclarations extrêmement cinglantes, sur fond de l’utilisation par l’autorité militaire de groupes russes de Wagner dans ses attaques contre les positions de l’opposition touarègue « Azawad » à la frontière nord, en novembre 2023, et qui furent renouvelées en août dernier, se déroulant même à l’intérieur du territoire algérien, et qui ont fait 21 morts parmi les civils, selon l’opposition, qui réclame l’indépendance du nord du Mali.
La goutte qui a fait déborder le verre, c’est lorsque Abdoulaye Maiga s’était adressé directement au Ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, en lui lançant: « M. le Ministre, l’accord est déjà mort. Vos sorts ne le ramèneront pas à la vie. Pour chaque balle tirée contre nous, nous répondrons de la même manière, et pour chaque mot utilisé de manière inappropriée, nous répondrons de la même manière. Quant aux représentants permanents algériens, outre le fait de fournir abri et nourriture, certes avec des plats délicieux, aux terroristes et aux renégats, leur rôle de messager en difficulté ne contribue pas au renforcement des relations de bon voisinage ».
Pour sa part, le ministre algérien a répondu à ces accusations dans un discours qu’il avait prononcé au même endroit, dans lequel il avait déclaré: « Le représentant d’un pays de cet espace a pris la parole, et a osé s’adresser à mon pays avec des mots ignobles qui ne sont pas du tout dignes de la dignité d’un tel poste. Il n’est absolument pas correct de le suivre dans ses éclats verbaux frivoles et vils.
« Mon pays ne répondra à ce langage dégradant et grossier que par un langage poli et raffiné qui reflète sincèrement sa loyauté et son dévouement aux liens profonds qui l’unissent aux pays et aux peuples de la région, qui ne sont ni affectés ni ébranlés par des facteurs conjoncturels passagers, aussi mauvais soient-ils, et par la bassesse de ceux qui les incitent ».
Cet échange virulent intervient dans le contexte d’un échange verbal, non moins virulent, qui a réuni au début du mois dernier les représentants des deux pays au siège des Nations unies à Genève, sur fond de demande de l’Algérie au Conseil de sécurité d’imposer des sanctions au Mali, à la suite d’une attaque lancée par l’armée, avec l’appui de « Wagner », contre des sites de l’opposition dans la ville frontalière de Tin Zaouatine, le 25 août 2024, avec un drone ayant fait 21 morts civils, dont 11 enfants, selon les données mêmes de l’opposition malienne.
-/- Nouvelles accusations formulées par le côté malien envers l’Algérie
Le Mali a de nouveau accusé l’Algérie, le mercredi 1er janvier 2025, de « soutenir des groupes terroristes » dans sa partie nord, où sévit une rébellion touarègue, l’appelant à « cesser de faire du Mali un levier de son positionnement international ».
Le ministère malien des Affaires étrangères a indiqué dans un communiqué rendu public à l’aube du nouvel an, avoir été informé « par voie de presse » des déclarations du ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf « dans lesquelles il a commenté la stratégie malienne de lutte contre le terrorisme », condamnant fermement « cette nouvelle ingérence de l’Algérie dans les affaires intérieures du Mali ».
La même source a ajouté avoir condamné précédemment « la proximité et la complicité de l’Algérie avec les groupes terroristes qui déstabilisent le Mali », ajoutant également que « les options stratégiques pour lutter contre les groupes armés terroristes soutenus par des pays étrangers ne s’inscrivent que dans le cadre de la souveraineté du Mali » et de ses voisins le Burkina Faso et le Niger, avec lesquels il a formé une confédération (l’AES) après le retrait des trois pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
• Manifestation de maliens devant l’ambassade d’Algérie à Bamako
L’escalade de la colère est allée jusqu’à l’encerclement du siège de l’ambassade d’Algérie, à Bamako, en signe de protestation contre l’ingérence du régime algérien dans les affaires du pays.
En effet, des centaines de citoyens de la capitale malienne, Bamako, ont manifesté le jeudi 9 janvier 2025 devant l’ambassade d’Algérie, et beaucoup d’entre eux ont déployé des banderoles portant l’effigie de Tebboune surchargée d’un X de couleur rouge, exprimant à l’occasion leur rejet de la déstabilisation des pays du Sahel.
A noter que lors de leur rassemblement devant l’ambassade d’Algérie, les manifestants ont exprimé leur mécontentement face à ce qu’ils considèrent comme une « ingérence algérienne excessive » dans les affaires politiques, militaires et maliennes, estimant que ces mesures menacent la souveraineté et la stabilité de leur pays.
Selon les organisateurs de la manifestation, l’Algérie tente d’influencer de manière inacceptable les décisions internes au Mali, ce qu’ils considèrent comme une violation flagrante de l’indépendance du pays. Les manifestants ont affirmé leur soutien aux autorités maliennes actuelles, exigeant la fin de toute ingérence étrangère dans leurs affaires intérieures.
En réponse à cette manifestation, les autorités maliennes ont renforcé les mesures de sécurité autour du périmètre de l’ambassade d’Algérie dans le quartier de Daoudabougou, où d’importantes forces de sécurité ont été déployées pour empêcher toute escalade ou tout acte de violence. Un cordon de sécurité a également été imposé autour du quartier et les contrôles à l’entrée et à la sortie ont été renforcés.
Les autorités maliennes ont également appelé les citoyens au calme et à la retenue, tout en soulignant leur respect du droit de manifester pacifiquement, et ont annoncé qu’elles prendraient toutes les mesures nécessaires pour que la situation ne se gangrène pas.
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