L’échec de l’accord de 2015 risque d’embraser le Maghreb

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L’échec de l’accord de 2015 risque d’embraser le Maghreb
L’échec de l’accord de 2015 risque d’embraser le Maghreb

Mustapha Ouarab

Africa-Press – Mali. Le nord du Mali, alias “Azawad”, est un immense territoire aride d’une surface équivalente à celle de la France et de la Belgique réunies (822.000km2). Situé au nord du fleuve Niger, il comprend les trois régions administratives de Kidal, Tombouctou et Gao.

Cette zone de haute tension politique et armée qui occupe les deux tiers de la superficie du pays, ne contient pourtant que seulement 10 % de sa population (quelques 1,3 millions âmes). Elle a pourtant été auto proclamée “État indépendant de l’Azawad”, par les groupes armés Touaregs en 2012.

Sous un angle géostratégique, l’Azawad fait figure de large corridor qui jouxte à la fois l’Afrique subsaharienne et le Maghreb. Notamment via la très longue frontière entre le (Nord du) Mali et l’Algérie (1 329 km). Face à ces contraintes de terrain, l’armée Malienne souffrante d’un grave sous-effectif (seulement 21.000 hommes) et sous-armement accru, semble perdre le contrôle de cette région pourtant très stratégique. Et par conséquent, tout éventuel embrasement généralisé de l’Azawad risque d’étendre le brasier à tout le pourtour Maghrébin, voire même à l’Europe !

Le seul espoir —parait-il—pour éviter ce scénario catastrophe, réside dans la difficile médiation de dernière chance, que mène l’Algérie actuellement et depuis quelques semaines, pour ressusciter l’”accord d’Alger” de 2015.


L’accord d’Alger ou l’”ultime chance”

Le Mali qui est en proie à l’instabilité depuis 2012, suite à la propagation djihadiste intense, traverse une grave crise à la fois sécuritaire, politique et humanitaire. Et au fil des 11 années passées, c’est son intégrité territoriale même qui se trouve menacée à présent.

En 2015, un accord minimal a été obtenu entre Bamako et les groupes armés Touaregs du Nord, alors que le pays glissait inéluctablement à nouveau vers la guerre civile. L’accord obtenu en partie grâce à l’implication de la diplomatie et des services secrets Algériens, prévoyait plus d’autonomie locale aux Touaregs, et l’intégration des combattants dans une armée dite “reconstituée”, sous l’autorité de l’État Malien.

Le texte intitulé “Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali”, n’a pas été formellement signé, mais tout juste “paraphé” à Alger le 1er Mars 2015, par le gouvernement malien et certains groupes du nord du Mali. Le document ne sera formellement “signé” au Mali que dans les semaines qui ont suivi. Geste à symbolique claire, attestant du désir de dépasser les lacunes des précédents “accords de paix”, qui n’ont jamais abouti.

Plus important, toutefois l’accord d’Alger prévoyait un schéma de création d’assemblées régionales élues au suffrage universel direct, dans un délai de dix-huit mois. Ainsi qu’une “plus grande représentation des populations du Nord au sein des institutions nationales”. Une refonte de l’armée malienne aussi devait avoir lieu, pour intégrer des combattants des mouvements armés du Nord.

Cette dernière recette a déjà montré ses limites par le passé. C’était en effet le socle des accords destinés à éteindre les rébellions précédentes, de 1992 et de 2006. Mais les nouvelles institutions locales promises par “l’accord” promettaient de faire la différence, si elles n’étaient pas gangrenées par la corruption.

Au vu de la dérive du pays vers la guerre civile, et malgré ses imperfections, l’accord d’Alger faisait (et fait toujours) figure de mesure de dernière chance.

Or, l’opérationnalisation de l’accord était mal partie, ou a été plutôt mal calculée. Aujourd’hui huit ans après sa signature, force est de constater la véracité du point de vue de l’”International Crisis Group”, qui avertissait du fait que “la résolution du conflit au Mali passe par l’articulation complexe d’intérêts divergents qui touchent à la fois à la sécurité de l’ensemble du Sahara Africain, à la nature de l’Etat malien et aux équilibres locaux entre des communautés divisées. Face aux affrontements armés, la tentation est grande d’aller vite et de signer un accord minimal garantissant la sécurité à court terme. Mais la précipitation est mauvaise conseillère. Il faut se donner les moyens et le temps de construire les fondements d’une paix durable”, avertissait la fondation internationale pour les recherches de paix.


Le pays au seuil de l’implosion

Il est vrai que l’accord de paix et de réconciliation a permis de cesser (relativement) les hostilités, et de désamorcer la tension dans le Nord Mali. Mais la conséquence en a été que les djihadistes, qui avaient d’abord combattu avec les rebelles Touaregs avant de se retourner contre eux, ont depuis étendu leurs actions armées au centre du Mali, ainsi qu’aux pays voisins (Niger, Burkina Faso) rendant la situation encore plus grave et complexe.

Pour nous limiter aux derniers revirements survenus, rappelons qu’en décembre dernier, le pouvoir Malien avait annoncé suspendre sa participation à la mise en œuvre de l’accord de 2015 signé à Alger. La Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), a pour sa part tout comme la quasi-totalité des groupes armés signataires de l’accord de paix d’Alger, suspendu sa participation aux mécanismes de mise en œuvre de l’accord, arguant de “l’absence persistante de volonté politique” de la junte militaire au pouvoir.

Et pour cause, les principales dispositions politiques, comme la démobilisation et la réintégration des groupes armés, n’ont pas eu lieu comme prévu. La décentralisation et le développement économique du nord du Mali (zone que les Touaregs appellent l’Azawad), se font également attendre. C’est principalement pour ces raisons que la CMA dresse un bilan très négatif. L’ex-rébellion du Nord fait porter la responsabilité de ces “résultats non satisfaisants” aux précédents dirigeants maliens, renversés par les deux coups d’Etats successifs d’aout 2020 et mai 2021.

Au tout début de l’année en cours, trois groupes armés du nord du Mali ayant combattu l’Etat central par le passé, ont fusionné mercredi 8 janvier, en pleine période de grave crispation avec Bamako. Il s’agit d’un mouvement indépendantiste, le “Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA)”, et deux autres autonomistes, le “Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA)” et le “Mouvement arabe de l’Azawad (MAA)”, qui ont combattu l’État malien avant de signer avec lui l’accord de paix dit d’Alger en 2015.

Les trois mouvements jusqu’alors regroupés dans la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), une alliance de groupes à dominante Touareg avec une composante arabe, ont signé le document de fusion lors d’une cérémonie à Kidal, ville du nord sous leur contrôle.

Par conséquent, les leaders de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), l’un des principaux groupes signataires de l’accord, ne se cachent pas pour prévenir que leur formation “ne sera jamais comptable ni complice d’une mise en œuvre sélective des dispositions de l’accord prônée par certains et encouragée par le silence complice de la médiation (Algérienne)”.


Menace sur le Sud de l’Algérie

Dans un étonnant appel aux armes, Un général de l’armée Malienne a appelé, en Novembre dernier, les Touaregs à combattre les djihadistes dans le nord de son pays. Via la messagerie Whatsapp, “l’appel” du général El Hadj Ag Gamou, lui-même un Touareg, a été diffusé parmi les communautés Touaregs de plusieurs pays, dont l’Algérie et la Libye.

Dans son message en Tamashek – le dialecte berbère des Touaregs, il avait appelés “tous les jeunes Touaregs d’Algérie, de Libye et d’ailleurs, à rejoindre Gao”, la plus grande ville du nord du Mali, qui est proie de la violence djihadiste.

Cet “appel aux armes” passé presque inaperçu, a de quoi inquiéter. Les Touaregs se répartissent en dizaines de sous-communautés nomades dans une grande partie du Grand Sahara, de la Libye au Burkina Faso, en passant par le Niger, l’Algérie et le Mali.

Et il y a quelques jours seulement, des informations très inquiétantes ont circulé, selon lesquelles l’armée algérienne serait sur le qui-vive le long de la frontière avec le Mali. Selon un papier publié il y a quelques jours, la plateforme d’information “sahel-intelligence”, réputée bien renseignée d’habitude, “le Mouvement de Libération du Sud algérien déclare mener une série d’opérations militaires contre certaines positions de l’armée algérienne au long de la frontière malienne “.

Suite à quoi, suivant des sources locales citées par Sahel-intelligence, le général Saïd Chengriha, l’homme fort d’Alger, “a ordonné aux services du renseignement et au Groupe d’Intervention Spéciale (GIS) de procéder à une réorganisation et une mobilisation de leurs effectifs” dans le sud de l’Algérie.

Le même média affirme même que “plusieurs militaires algériens ont été tués ou blessés dans cette zone, selon un bilan provisoire de sources locales à Timiaouine et à Bordj Badji Mokhtar (Sud de l’Algérie)”.

Si aucune source officielle n’a pas encore confirmé ni démenti ces allégations, est-il de rappeler qu’il y a un an le ministère de la Défense Nationale (MDN) Algérien avait reconnu, dans un communiqué, que trois militaires algériens avaient été tués dimanche 20 mars 2022, près de Timiaouine dans le département de Borj Badji Mokhtar (extrême sud) près de la frontière malienne, lors de combats contre des “terroristes”.

Il est vrai que l’armée et les services secrets Algériens ont, jusqu’ici, réussi à contenir l’impact du brasier Malien, à l’intérieur de leurs frontières. Mais les observateurs craignent les répercussions de l’échec de l’”accord d’Alger” à l’avenir.

“L’appel” du général El Hadj Ag Gamou, qui concerne aussi les Touaregs Algériens, et qui n’a suscité aucune réaction ni chez l’armée Malienne ni Algérienne, a pourtant de quoi inquiéter. Il intervient dans un contexte assez compliqué pour les deux pays, et risque de brouiller davantage le problème.


Ressusciter l’accord de paix, mais…

Selon un précédent communiqué du (MDN) Algérien, l’armée Algérienne affronte “des groupes terroristes en provenance du Mali” voisin, “qui cherchent à déstabiliser l’Algérie en frappant la 6ème division militaire, située à 2 500 km au sud de la capitale (Alger).”

Si le MDN algérien ne donne pas de précisions sur l’identité du groupe armé à l’origine des attaques, certains observateurs Algériens quant à eux y voient la main d’Aqmi, (al-Qaïda au Maghreb islamique), qui avait renforcé ses rangs par d’anciens membres du GIA (Groupe Islamique Armé) algérien, qui auraient fui l’Algérie pour le Mali à partir du début des années 2000.

La poudrière Azawad au Mali risque donc d’enflammer les autres communautés Touaregs de tout le pourtour Maghrébin, et éveiller chez les plus hésitantes parmi elles le rêve d’autodétermination. Sinon, pis encore, il est à craindre aussi que le désespoir ne pousse les plus extrémistes parmi les groupes armés Touaregs (bien entrainés et déjà armés), à s’allier aux groupes armés djihadistes sur place.

Alger semble très consciente de ces dangers, et c’est pourquoi les autorités —le président Tebboune et le chef d’état-major Chengriha en tête— tentent depuis des mois déjà, de ressusciter l’accord d’Alger signé en 2015 en cause.

Dans cet esprit, Le Mali et l’Algérie ont affirmé 26 avril dernier dans un communiqué, leur volonté de relancer l’accord de paix signé en 2015 entre l’ex-rébellion touareg du nord du Mali et le gouvernement malien et aujourd’hui mal en point, faisant craindre une reprise très inquiétante des hostilités. Cette déclaration, quoi que un peu tardive, avait fait suite à la visite à Bamako d’Ahmed Attaf, nouveau chef de la diplomatie algérienne.

Un brin d’espoir sur fond de pessimisme sévère affiché, et pour cause. Certains dirigeants “civils” actuellement en poste à Bamako, sont connus pour être farouchement hostiles aux ex-rebelles Touaregs, et à leur É”tat Azawad” autoproclamé il y a 11 ans déjà.

Autre point de discorde majeur, qui risque de corrompre la tentative de médiation Algérienne, Le repositionnement stratégique de la junte militaire au pouvoir au Mali sur la Russie suite à l’étonnante rupture avec la France. Ce point crucial a également soulevé des inquiétudes du côté des mouvements signataires de l’Accord de paix de 2015. Pour rappel, dans un communiqué du 16 septembre 2021 déjà, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), principale coalition d’anciens groupes rebelles, avait considéré que “cette décision (de repositionnement) met en péril la mise en œuvre de l’accord de 2015, notamment dans son volet sécuritaire”. Beaucoup craignent que les officiers à la tête de l’Etat malien, dont certains ont vécu sur le terrain les défaites militaires contre les rebelles, ne tentent avec l’appui Russe de reprendre militairement Kidal. Ce qui relancerait potentiellement le conflit avec les anciens groupes rebelles dans le Nord Mali.

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