Quand le Mali se trouve « pris en étau » entre Daech, al-Qaïda et l’Azawad

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Quand le Mali se trouve « pris en étau » entre Daech, al-Qaïda et l'Azawad
Quand le Mali se trouve « pris en étau » entre Daech, al-Qaïda et l'Azawad

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Mali. Pour arriver à comprendre ce qui se passe au Mali, notamment dans le nord de ce pays ouest-africain, il faut d’abord savoir que depuis le début des années 1990, le nord du Mali était devenu le théâtre de plusieurs insurrections menées par des groupes formés de touaregs, qui furent rejoints, au début des années 2000, par des groupes « djihadistes » algériens venus se réfugier clandestinement au Mali après leur défaite lors de la guerre civile algérienne.

Depuis, l’économie malienne est entrée en récession en 2020 sous les effets combinés de la pandémie de Covid-19, de la faible performance agricole ainsi que de la crise sociopolitique, sachant que son PIB réel avait légèrement rebondi en 2021, avec une croissance estimée à 3.1%, grâce à la reprise dans les secteurs clés de l’agriculture et des services.

C’est ainsi que, à vrai dire, la situation dans le nord du pays semble évoluer à un rythme accéléré en s’intensifiant vers un état de violence sanglante et d’instabilité, en raison des combats en cours dans la région de Tallatet dans l’État de Gawa au nord du Mali, notamment entre le Mouvement national de libération de l’Azawad et l’organisation de Daech dans le grand Sahara à l’est de la région, et un autre au sud entre Daech également et le groupe de «Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (JNIM) ».

Chacune de ces parties vise à contrôler la zone stratégique de Tallatet, qui a conduit le mouvement de libération de l’Azawad à reprendre le contrôle de Tallatet et à expulser les éléments de Daech en fournissant de facto le soutien et l’aide alimentaire aux habitants de la zone qui ont souffert de faim durant deux jours pour manque de nourriture.

Selon l’objectif de l’organisation de Daech dans le grand Sahara, ces vastes zones difficiles à contrôler au Nord du Mali qui sont devenues un foyer pour les terroristes, leur serviraient pour asseoir leur total contrôle sur la région et la déclarer par la suite « Emirat islamique ».

Les affrontements ont également entraîné la mort d’un grand nombre de civils et de combattants, dont un officier relevant du Mouvement de libération de l’Azawad, en plus des crimes d’incendie et de destruction qui ont été commis, ce qui nous incite à nous interroger :

• Sur les mobiles de ce conflit qui éclate dans le nord du Mali entre les trois parties ?

• Et sur l’importance du moment choisi pour son déclenchement ?

Sur la base de ce qui précède, notre analyse vise à lever le voile sur les tactiques adoptées par les trois parties en conflit dans les combats qui ont éclaté au nord du Mali, ainsi que la nature des motifs qui motivent leur déclenchement aussi bien que les objectifs des parties adverses à travers ces batailles.

Lutte entre « Daech – Al-Qaïda et Azawad » au Mali : Les tactiques de combat

Combattants tribaux de l’Azawad

On constate qu’au cours de ce conflit, chacune des trois parties s’est appuyée sur des tactiques de combat spécifiques qui indiquent l’approche de son exécuteur. Qu’il s’agisse de Daech dans le Grand Sahara, ou du groupe environ, ou encore de la démarche du Mouvement national pour la libération de l’Azawad – soutenu par l’armée malienne – en repoussant les tentatives d’expansion et de propagation de groupes terroristes, comme suit :

• Maîtrise des domaines stratégiques

Chacune des trois parties en conflit vise à contrôler des zones stratégiques qui pourraient leur permettre d’avoir plus d’influence et de resserrer leur emprise sur de vastes zones du pays, et de s’imposer ainsi comme une figure importante de l’équation politique de la transition, ou du moins de contrôler la piste politique et sécuritaire, qui contribue à atteindre l’objectif souhaité de chaque partie.

Considérant les combats qui se déroulent dans la région de Tallatet, dans l’Etat de Gawa, qui est constitué d’un groupe de villages avec une population de plusieurs milliers de personnes, situés dans la zone marginale hors du contrôle de l’Etat, nous constatons que cette région revêt une grande importance stratégique, ce qui a poussé les trois parties en conflit à chercher à la contrôler pour plusieurs raisons.

-/- La 1ère raison est qu’il s’agit d’un point de rencontre pour les zones d’influence des groupes terroristes et des combattants de l’Azawad, et le succès de l’une des trois parties dans le contrôle de la région renforcera évidemment sa portée et son influence.

-/- La 2ème raison est représentée par le fait que la région est le point de rencontre des principales routes reliant les régions du pays entre elles, et menant aux états de Menaka et Gawa.

-/- La 3ème raison est que la région est d’une importance capitale pour al-Qaïda et Daech, et sa proximité des routes menant aux frontières du Niger et du Burkina Faso, ce qui en fait un point de transit important, et une bouée de sauvetage pour les groupes armés pour transporter des combattants, des armes et des fonds et pour valoriser toutes les sources de financement de leurs groupes.

-/- Quant à la 4ème de ces raisons, c’est que la région représente un symbole d’une importance particulière pour le mouvement de l’Azawad, car il est considéré comme l’une des forteresses de sa résistance.

Ainsi, les combats qui éclatent dans la région de Tallatet font partie d’une série d’attaques terroristes qui ont ciblé plusieurs zones stratégiques, à l’intérieur et à l’extérieur de l’État de Gawa au cours des derniers mois, coïncidant avec un certain nombre d’attaques terroristes au Niger et au Burkina Faso, afin de disperser les forces maliennes, affaiblissant leurs capacités à repousser et à faire face aux attaques terroristes, en plus d’intimider les citoyens et de les forcer volontairement ou de force soit à rejoindre leurs rangs, soit à migrer vers ces zones, ce qui explique la propagation des accords entre habitants et groupes armés en l’absence de soutien gouvernemental au cours des derniers mois, dans le but de réduire la violence des groupes armés.

Conflits intenses entre forces maliennes et les terroristes au Nord

D’ailleurs, dans la région de Ménaka, située au nord du Mali à la frontière avec le Niger, le nombre d’attentats terroristes contre la région a augmenté depuis que la France ait annoncé son retrait du Mali, comme l’attaque terroriste perpétrée le 14 août 2022 par Daech, ayant entraîné la mort de sept civils et la saisie de leur bétail, dans une tentative des éléments de l’organisation de mettre à l’œuvre leur projet de « l’Emirat à Ménaka», ainsi que le massacre commis par ses éléments en mars 2022, qui a coûté la vie à environ 141 civils et le pillage de plus de 5 000 chameaux, 4 000 vaches environ, et prés de 20 000 moutons, en plus du vol d’un certain nombre de voitures, coïncidant avec une attaque terroriste commise contre le village de Tilia par des éléments daechistes dans la province de Tahoua au Niger, près de la frontière avec le Mali.

Au contraire, la menace terroriste a pris une ampleur sans précédent, révélant le développement des capacités des groupes terroristes, après la base militaire de Kati – qui représente le cœur de l’establishment militaire malien et le quartier général du gouverneur militaire de transition, Asimi Guetta, environ 15 kilomètres de Bamako, et est un bastion pour la mise en œuvre des deux coups d’État militaires.

Outre la mise en œuvre par Daech de plusieurs attentats terroristes qui ont imposé davantage de pression sur les forces maliennes, comme l’attaque menée contre la base militaire de Tissit le 7 août 2022 qui a tué 42 soldats et 10 civils, et s’est emparée d’un lot d’importants équipements militaires.

Selon le Centre d’études stratégiques de l’Afrique à Washington, les attaques de Daech au Mali en 2022 ont tué plus d’un millier de personnes, tandis que jusqu’en août 2022, Al-Qaïda a lancé une cinquantaine d’attaques contre la mission de maintien de la paix des Nations unies (MINUSMA), tuant 20 de ses les forces.

• Les Maliens entre polarisation douce et intimidation

Malgré l’unité de l’objectif des deux groupes terroristes et du Mouvement national pour la libération de l’Azawad dans les combats qui éclatent dans le nord du Mali, qui est d’imposer une influence et de resserrer le contrôle sur les zones en conflit, les moyens sur lesquels les groupes terroristes s’appuient pour atteindre leur objectif diffèrent de ce dont dépend le mouvement de l’Azawad et des mécanismes par lesquels il les utilise pour repousser et affronter les groupes terroristes, et pour apporter un soutien à la population.

Le groupe «Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (JNIM) »se concentre sur la réalisation d’attaques terroristes visant les forces maliennes, les forces du groupe russe Wagner et les forces de la MINUSMA, tandis que des éléments de Daech ciblent les citoyens par la pyromanie, la famine et la destruction, afin de semer la terreur dans le cœur de la population, et la forcer à les rejoindre ou à déguerpir de ces zones.

Dans la mise en œuvre de la « stratégie de terreur » appliquée par l’organisation Daech en Syrie et en Irak, qui contribue à renforcer et à donner une image positive du groupe « Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn » comme l’aile modérée et le refuge idéal pour les habitants de ces zones compte tenu du déclin du rôle de l’État et de l’absence de son autorité, et de la volonté d’Al-Qaïda de créer une entité parallèle à l’État lui-même capable d’attirer la population malienne, et de créer ainsi un incubateur populaire pour le groupe, profitant des griefs multidimensionnels dans lesquels tombe le peuple malien.

Motifs du déclenchement du conflit tripartite dans le nord du Mali

Un ensemble de motifs sous-tendent le déclenchement du conflit tripartite entre les branches régionales de l’organisation Daech, Al-Qaïda et les combattants de l’Azawad.

Les plus importants de ces motifs sont les trois suivants :

1- Renforcement de l’influence régionale des parties en conflit

2- Le vide sécuritaire au Mali suite au retrait des forces françaises et européennes

3- Le blocage de l’accord de paix et de réconciliation et de la « fatwa » sur le meurtre des Azawads.

Pour terminer avec ce dossier (qui perdure d’ailleurs), il importe de noter que le Mali traverse l’une des phases les plus complexes et les plus sombres que le pays ait connue depuis 2012, qui est un véritable test de l’efficience et de l’efficacité du leadership militaire malien dans la gestion de la phase de transition, à la lumière du conflit sanglant dans le nord du Mali entre Daech, Al-Qaïda et les Azawads, ainsi qu’un test sur la capacité des militaires maliens à gérer la phase de transition.

Mouvement pour le Salut de l’Azawad

Certes, le gouvernement malien a gagné la confiance de la société et de ses dirigeants politiques, notamment les tribus Azawad qui participent aux côtés du gouvernement dans la lutte contre les groupes terroristes.

Mais cette situation révèle également le danger de l’avenir malien à court et moyen terme si le gouvernement malien et ses partenaires ne parviennent pas à renforcer leur contrôle sur la situation dans le pays et à rétablir une certaine stabilité politique et sécuritaire.

Une mesure de stabilité politique et sécuritaire dit-on !

Bien que la signature de l’Accord de paix et de réconciliation, connu sous le nom d’« Accord d’Algérie 2015 » signé entre le gouvernement malien de l’époque et les six mouvements de l’Azawad :

• le Mouvement national pour la libération de l’Azawad,

• le Conseil suprême pour l’unité de l’Azawad ,

• le Mouvement arabe de l’Azawad

• le Mouvement dissident arabe de l’Azawad,

• la Coordination du peuple de l’Azawad,

• la Coordination des Mouvements et Fronts Nationaux de Résistance,

est une étape très importante vers la réalisation de la stabilité politique et la solidarité sécuritaire pour unifier les rangs maliens face aux groupes terroristes, cependant, ces derniers semblent plutôt œuvrer à creuser le fossé et à affaiblir la confiance entre le gouvernement malien et les mouvements de l’Azawad en exploitant l’état de faiblesse et de dispersion sécuritaire dont souffre le gouvernement malien et le retard dans la mise en œuvre des termes dudit accord, notamment concernant la restructuration des forces armées maliennes et l’intégration des combattants de l’Azawad au sein de celles-ci.

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