Moustapha Gano et Stéphane Ballong
Africa-Press – Mali. Bamako n’a toujours pas accès à ses avoirs financiers gelés, en dépit de la décision en sa faveur de la Cour de justice de l’UEMOA. Le bras de fer qui oppose le pays aux instances ouest-africaines menace de virer à l’imbroglio politico-juridique.
Rien n’a changé. Cela fait pourtant près de trois semaines que la Cour de justice de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a ordonné, le 24 mars, la suspension des sanctions de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui frappent le Mali depuis janvier. Alors que l’application de cette décision aurait dû être immédiate, le pays n’a toujours pas accès à ses avoirs à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et dans les banques commerciales. Les transactions commerciales et financières avec les autres pays de la région restent impossibles, et toute assistance et transactions provenant d’institutions régionales ou internationales demeurent suspendues.
D’après plusieurs indiscrétions, la mise en application de cette décision de l’UEMOA est en effet suspendue à l’appréciation de la conférence des chefs d’État de la zone. À Bamako, l’incompréhension est totale. Dans un communiqué daté du 6 avril, le gouvernement de la transition dénonce ainsi un « flagrant déni de justice » et « prend à témoin la communauté nationale et internationale face au non-respect par l’UEMOA de ses propres textes et aux dangers que cela constitue pour la crédibilité et la fiabilité » de l’organisation. Le bras de fer qui oppose le Mali et les instances ouest-africaines menace de virer à l’imbroglio politico-juridique.
Une décision qui ne fait pas l’unanimité
À Ouagadougou, siège de l’UEMOA, la cause malienne divise. La décision de la Cour de justice de suspendre les sanctions en raison de leurs conséquences sur le peuple malien, en attendant de se prononcer sur leur légalité, ne fait pas l’unanimité. Selon nos informations, une partie des juges de cet organe, dont l’Ivoirienne Suzanne Ebah-Touré, pointe la présence toujours en poste de l’actuel président de la Cour, le Malien Daniel A. Tessougué, malgré les sanctions à l’encontre de son pays.
Certes, l’ordonnance du 24 mars a été émise par le juge burkinabè Salifou Sampinbogo, qui assure l’intérim de Tessougué, mais certains des confrères du président de la Cour lui reprochent de ne pas avoir annoncé publiquement qu’il se « déportait » du dossier, lequel a été transféré à un autre juge. Les mêmes ne manquent pas de signaler au passage la bonne entente entre le Mali et le Burkina Faso, l’un des rares pays, avec notamment la Guinée, à n’avoir pas fermé ses frontières avec son voisin (seule la frontière aérienne est fermée). « Le lobbying de ces juges qui s’opposent à la suspension des sanctions a été intense auprès de certains chefs d’État de la zone », nous confie l’une de nos sources.
Sorties « suspectes » de fonds
Certains ministres des Finances de la sous-région craignent aussi qu’une suspension des sanctions, notamment celles portant sur le gel des avoirs du Mali à la BCEAO, ouvre à nouveau la voie à des sorties « suspectes » de fonds. Selon nos informations, anticipant l’embargo qui allait les frapper, les autorités maliennes avaient effectué d’importants retraits à la Banque centrale et dans des banques commerciales. Une partie de cet argent, dont l’utilisation n’a pu être retracée, aurait été déposée à la Banque de développement du Mali (BDM), détenue à quelque 20 % par l’État malien. « Il s’agit là de pratiques qui pourraient sérieusement mettre en difficultés les finances publiques du pays et déstabiliser les équilibres financiers de la communauté », soutient une autre de nos sources.
Il n’empêche que de Lomé à Dakar en passant par Ouagadougou, de nombreuses voix réclament la suspension effective des sanctions, voire leur levée pure et simple. L’on se souvient ainsi du tweet de l’économiste togolais Kako Nubukpo, seul commissaire de l’UEMOA à avoir pris publiquement position contre une utilisation des outils de la BCEAO visant à sanctionner le Mali, lequel avait dit craindre un affaiblissement irréversible des instruments ouest-africains d’intégration économique.
Défauts de paiement et forte inflation
Dans leur ensemble, les opposants aux sanctions redoutent que celles-ci ne fragilisent durablement le Mali (troisième économie de l’UEMOA après la Côte d’Ivoire et le Sénégal) et impactent négativement toute l’économie de la sous-région.
Au 31 mars, le cumul des engagements non honorés de Bamako auprès de ses créanciers était estimé à 205 milliards de F CFA (312 millions d’euros) – des chiffres dévoilés par le ministre malien de l’Économie et des Finances dans une interview au journal L’Essor. La fermeture des frontières prive en outre le Mali d’une grande partie de ses ressources douanières (32 % des recettes de l’État). À Bamako, même s’il n’y a pas eu de mouvement populaire pour dénoncer le renchérissement de la vie, les effets des sanctions se font sentir. L’inflation y dépasse largement celle des voisins de l’UEMOA, qui affichent une moyenne de 6,5 % selon la BCEAO.
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