Africa-Press – Niger. Dans un entretien à Sputnik, le Pr Naoufel Brahimi El Mili, politologue à Sciences Po Paris, analyse le contexte dans lequel interviennent les derniers événements au Burkina Faso. Selon lui, une nouvelle configuration géopolitique de la région du Sahel est en marche, créant les conditions pour de nouvelles alliances régionales et internationales.
Après le Soudan, le Tchad, le Mali et la Guinée-Conakry, le Burkina Faso est le cinquième pays d’Afrique où les militaires ont tenté de prendre le contrôle du pouvoir par un coup d’État. Mardi 18 janvier, huit militaires ont été arrêtés, informe le procureur militaire d’Ouagadougou dans un communiqué. Selon le document, le parquet militaire a été saisi le 15 janvier pour « allégation de projet de déstabilisation des institutions de la République que projetait un groupe de militaires », dénoncés par un « membre de la bande ».
À l’instar du reste des pays du Sahel, le Burkina Faso connaît une crise économique et sociale, aggravée par le contexte de la pandémie de Covid-19 et les activités terroristes qui frappent toute la région depuis près de dix ans. En effet, pas moins de 2.000 morts et 1,4 million de déplacés ont été provoqués à cause des activités de groupes djihadistes ayant prêté allégeance à al-Qaïda* et Daech*. Cette situation est en phase de complication avec l’arrivée de terroristes de Syrie et d’Irak.
Comment expliquer la résurgence des coups d’État au Sahel et en Afrique de l’Est et de l’Ouest? Ces mouvements émanent-ils de dynamiques politiques et sociales internes à ces pays, cherchant l’épanouissement de leur population? À quelles alliances s’attendre entre ces pays et les grandes puissances mondiales? Sommes-nous à la veille d’une reconfiguration complète du paysage géopolitique au Sahel et en Afrique?
« L’émergence d’une nouvelle géopolitique mondiale »
« Le coup d’État militaire de mai 2021 au Mali, mené par un groupe de jeunes colonels dirigés par Assimi Goïta, soutenu à ce jour par la majorité écrasante des Maliens, a créé une vague de solidarité avec ce pays et sa nouvelle direction dans plusieurs pays d’Afrique », affirme le Pr Brahimi El Mili, soulignant que « cette lame de fond est allée crescendo avec les pressions exercées par les puissances occidentales, notamment la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. Ces derniers voulaient obliger Bamako à organiser rapidement des élections pour rendre, selon eux, +rapidement le pouvoir à des civils élus démocratiquement+ ».
Et d’ajouter que « les sanctions, qui se sont abattues sur le Mali, décidées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), une organisation sous contrôle français, ont renforcé le ressentiment des populations africaines à l’égard de la France, qui a par ailleurs adoubé sans sourciller le pouvoir militaire au Tchad, dirigé par le général Mahamat Idriss Déby Itno, fils de feu l’ex-chef d’État. Le même comportement envers les Tchadiens a été observé à l’égard de la junte militaire qui gouverne la Guinée-Conakry, toujours membre de la CEDEAO au moment où le Mali est suspendu, depuis le renversement du Président Alpha Condé en septembre 2021 ».
Ainsi, pour l’interlocuteur de Sputnik, « l’échec de la tentative de changement de régime au Kazakhstan a acté la mort des révolutions de couleurs, après l’intervention des armées de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), dont l’armée russe, qui ont rétabli l’ordre en moins d’une semaine, dans un contexte de structuration et de montée en puissance de l’axe de la résistance eurasien Chine-Russie-Iran, comme dans le cas de la crise ukrainienne, augure l’émergence d’une nouvelle géopolitique mondiale ».
Quels impacts sur l’Afrique?
Dans ce nouveau contexte géopolitique mondial, analyse Naoufel Brahimi El Mili, « le soutien apporté par la Russie et la Chine au Mali, notamment sur le plan militaire, qui s’est révélé dans toute son ampleur au Conseil de sécurité quand Moscou et Pékin ont fait échouer un projet de résolution français qui visait à soutenir les sanctions de la CEDEAO contre Bamako, a un impact certain et déterminant sur la situation au Sahel. Sans oublier l’aide économique et sécuritaire annoncée par l’Iran au profit du Mali ».
À ce titre, « ce qui s’est passé au Burkina Faso ne sort pas de la dynamique politique et sociale qui traverse toute la région du Sahel, où les populations appellent les militaires à intervenir pour chasser du pouvoir des dirigeants identifiés comme agents de l’Occident et de surcroît corrompus ».
Vers une nouvelle configuration du Sahel?
Alors que l’onde de choc populaire contre la présence française, mais aussi occidentale en général, en Afrique ne cesse de prendre de l’ampleur, « il n’est pas exclu que ce qui s’est passé au Burkina Faso puisse se répéter à nouveau et même dans d’autres pays, notamment ceux qui abritent des bases militaires étrangères », avance le Pr Brahimi El Mali. « Surtout qu’actuellement la France passe par un moment de flottement en raison de l’élection présidentielle d’avril. »
Et de conclure: « La tâche ne sera pas facile. Elle nécessite une lecture juste de ce qui se passe sur le plan régional et international, pour pouvoir tirer le plus de profit de ce jeu de lutte d’influence entre les grandes puissances régionales et internationales », conclut-il.
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