Africa-Press – Niger. ÉDITORIAL – L’aberrant coup d’État dans le coup d’État survenu à Ouaga ce 2 octobre est édifiant à plus d’un titre. S’il ne peut que désespérer ceux qui connaissent et apprécient le Burkina, que nous avons désormais de plus en plus de mal à surnommer « le pays des hommes intègres », il illustre par ailleurs une tendance de fond à ne pas prendre à la légère et qui se propage comme une trainée de poudre : la quête éperdue de souveraineté, la soif inextinguible d’indépendance et le rejet viscéral de l’ancienne puissance coloniale, la France en l’occurrence.
Le nouvel homme fort du pays, le capitaine Ibrahim Traoré, l’a bien compris, qui a su habilement jouer de ce ressentiment pour arracher le pouvoir des mains du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Samedi 1er octobre, à la Radio-Télévision burkinabè (RTB), alors que le rapport de force penchait encore du côté de Damiba, Ibrahim Traoré a tenté un malicieux coup de poker en affirmant que son adversaire se serait réfugié à une trentaine de kilomètres de la capitale « au sein de la base française de Kamboinsin ». Et de préciser : « Il est en mesure de planifier une contre-offensive afin de semer le trouble au sein de nos forces de défense et de sécurité. Cela fait suite à notre ferme volonté d’aller vers d’autres partenaires prêts à nous aider dans notre lutte contre le terrorisme. » Une allusion à peine voilée à la Russie, déjà principal soutien des autorités de transition maliennes.
Slogans anti-français et drapeaux russes
Immédiatement, Paris dément « formellement toute implication dans les événements en cours au Burkina Faso. Le camp où se trouvent les forces françaises n’a jamais accueilli Paul-Henri Sandaogo Damiba, pas davantage que notre ambassade », répond le ministère des Affaires étrangères. Trop tard : la rumeur s’est répandue. Des dizaines d’individus s’en prennent à l’ambassade de France à Ouagadougou et à l’Institut français de Bobo-Dioulasso. Le lendemain, les slogans anti-français résonnaient encore dans les rues de la capitale, et des drapeaux russes étaient brandis. « La patrie ou la mort ! » hurlaient alors les manifestants. Et Damiba, finalement, démissionnait, lâché par les militaires qui lui étaient jusqu’ici fidèles.
L’exacerbation de la fierté nationale et la désignation de boucs émissaires, voilà en grande partie les clés de la popularité dont jouissent aujourd’hui les putschistes… Popularité qui dépasse désormais largement le cadre des seuls pays concernés (Mali, Burkina et Guinée), et se diffuse auprès d’une jeunesse déboussolée, notamment grâce à de nombreux « panafricanistes » 3.0 qui sévissent sur la Toile, serinant la même antienne : « Haro sur la France, vive l’indépendance du continent, tournons-nous vers nos bienveillants amis russes ! »
De nos jours, ces ersatz de Kwame Nkrumah – de Nathalie Yamb à Franklin Nyamsi, pour ne citer que les plus exposés –, hantent les réseaux sociaux. Leur « foi » est proportionnelle aux buzz qu’ils suscitent. Car le panafricanisme moderne, c’est désormais l’art de s’en prendre violemment à « l’impérialisme français » et à ses supposés suppôts à la tête de nos États. Mais aussi une propension pavlovienne à tresser chaque jour des lauriers à Vladimir Poutine, qui a les yeux de Chimène pour nous autres Africains, spoliés et opprimés, cela va sans dire. Bamako est devenue la Terre promise louée par nos thuriféraires pro-Moscou. Les terroristes sont armés par la France, mais Wagner nous en débarrassera sans contrepartie.
Chauvinisme racialiste
Fort de ce nouveau protecteur, le nouveau Premier ministre malien, le colonel Abdoulaye Maiga, s’est senti pousser des ailes. Et s’est permis de tirer du haut de la tribune des Nations unies sur tout ce qui bouge et ne fait pas suffisamment montre d’ardeur « panafricaniste » et souverainiste. En particulier sur le chef de l’État nigérien, Mohamed Bazoum, qualifié d’étranger à cause de la couleur de sa peau…
Triste époque, où la bêtise le dispute à la paresse intellectuelle ou au cynisme. Certains confondent le panafricanisme avec le nationalisme anticolonial de jadis. D’autres, comme Kémi Séba, l’utilisent surtout comme fondement d’un chauvinisme racialiste qu’ils tentent maladroitement de maquiller. Pour d’autres encore, tel Laurent Gbagbo en son temps, il s’agit d’un filon à exploiter quand, menacé en interne ou mis à l’index par la communauté internationale, il suffit de se proclamer chantre de l’anti-impérialisme et héraut de la souveraineté du continent pour, fort du statut de martyr qu’on s’est ainsi forgé, tenter de se maintenir au pouvoir.
Le vrai panafricanisme n’est pas une vulgaire vue de l’esprit et n’a nul besoin d’excès pour s’affirmer. Il ne cherche guère à imposer un dogme ou à vouer aux gémonies toute pensée dissidente. Ni à se construire sur la haine d’un ancien maître pour se jeter aveuglément dans les bras d’un autre. A fortiori à évoquer ad nauseam les mânes d’un passé mythifié, de Marcus Garvey et Cheikh Anta Diop à Mouammar Kadhafi en passant par Kwame Nkrumah ou Patrice Lumumba. Il doit avant tout se poser les bonnes questions, examiner objectivement la responsabilité des Africains eux-mêmes dans le chemin parcouru depuis plus de six décennies sans qu’il soit indispensable de se défausser en permanence. Et, surtout, construire sa propre voie.
Ni rejet ni copie de l’Occident
L’Afrique a besoin d’idées politiques nouvelles, de débats contradictoires, de solutions adaptées au monde de demain, et non héritées d’une époque révolue et qui n’ont par ailleurs jamais porté leurs fruits. La Chine, certes avec d’autres moyens et paramètres, démontre aujourd’hui qu’on peut y arriver sans en vouloir à l’humanité entière et sans reproduire les vieux schémas d’antan. Malgré un vécu colonial tout aussi brutal (avec l’Europe et le Japon).
L’urgence n’est pas au patriotisme aveugle ou à la désignation de supposés carcans ou bourreaux qui justifieraient à eux seuls nos échecs. Mais à l’union, à la réflexion et à son cadre idéal, à l’intégration réelle et donc à la facilitation des échanges en tous genres, au recours aux compétences existantes mais trop souvent sous-utilisées, à la recherche de l’efficacité ou à la culture du résultat.
Il y a d’autres alternatives que celle qui consiste à rejeter ou à copier l’Occident. Il faut retrouver une signification africaine aux évolutions que nos sociétés sont appelées à connaître, en se basant sur notre substrat et nos particularismes. Et se préoccuper avant tout de souveraineté économique, alimentaire, sécuritaire, énergétique et monétaire, ainsi que du contrôle des ressources naturelles du continent. Cela sonne comme une évidence, mais ça n’est hélas nulle part le cas sous nos latitudes, à l’exception peut-être du Rwanda, de l’Afrique du Sud et de quelques autres. Une chose est sûre : nous sommes les seuls responsables de cette triste réalité. Comme nous serons les seuls maîtres de notre salut.
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