Africa-Press – Niger. Depuis près d’une décennie, le slogan « Consommons nigérien ! » résonne dans les discours officiels, les campagnes de sensibilisation et les initiatives citoyennes. Il incarne l’aspiration d’un pays à reconquérir sa souveraineté économique et à valoriser son potentiel productif. Pourtant, malgré la ferveur affichée, la concrétisation de cette ambition a longtemps été entravée par une série d’obstacles structurels, institutionnels et comportementaux. Dans ce contexte, le mercredi 22 octobre 2025 restera sans doute une date mémorable. Ce jour-là, le gouvernement du Niger a pris deux décisions majeures susceptibles de marquer un tournant décisif dans la dynamique du “consommer local”: l’institution de quotas d’enlèvement à l’importation des produits similaires à ceux fabriqués localement, et l’obligation d’achat de produits locaux par les administrations et entreprises publiques. Ces mesures, si elles sont effectivement appliquées, pourraient enfin permettre au Niger de passer du discours à l’action.
Les enjeux du “consommer local” au Niger
La promotion du consommer local dépasse la simple préférence patriotique. Elle s’inscrit dans une logique de développement endogène, de création de valeur ajoutée et de consolidation de la souveraineté économique. Dans un pays comme le Niger, dont l’économie demeure largement dépendante des importations, consommer les produits fabriqués localement est un acte de développement.
Sur le plan économique, le consommer local favorise la croissance de l’appareil productif, soutient les unités de transformation locales et stimule l’investissement privé. Chaque achat de produit nigérien constitue un soutien direct à l’emploi, à l’entrepreneuriat et à la circulation de la richesse à l’intérieur du pays. Sur le plan social et culturel, il renforce le sentiment d’appartenance nationale et valorise le savoir-faire local. Enfin, sur le plan environnemental, privilégier les circuits courts limite les coûts énergétiques et l’empreinte carbone liés aux importations massives.
Ainsi, la consommation locale n’est pas un simple choix de consommation: elle est un instrument stratégique de développement. Elle incarne la volonté de bâtir une économie résiliente, capable de répondre aux besoins du pays à partir de ses propres ressources.
Pourquoi le Niger peine-t-il à passer du discours à l’acte?
Malgré ces avantages évidents, la mise en pratique du consommer local demeure limitée au Niger. Plusieurs facteurs expliquent cette inertie.
D’abord, les faiblesses structurelles du tissu industriel nigérien rendent difficile la satisfaction de la demande nationale. De nombreuses unités industrielles, confrontées à des coûts de production élevés, à des difficultés d’accès à l’énergie et au financement, peinent à produire à des prix compétitifs. En face, les produits importés, souvent subventionnés ou issus de filières hautement industrialisées, inondent le marché nigérien à des prix défiant toute concurrence.
Ensuite, sur le plan institutionnel, l’absence de politiques publiques cohérentes et durables en matière de régulation du marché a longtemps freiné la consolidation du secteur local. Les mesures d’encouragement ont souvent été ponctuelles, mal appliquées ou dépourvues de mécanismes de suivi.
Sur le plan socioculturel, une préférence marquée pour les produits importés persiste, alimentée par une perception erronée selon laquelle ce qui vient de l’extérieur est nécessairement de meilleure qualité. Cette mentalité, héritée d’une longue histoire coloniale et de dépendance économique, constitue un frein psychologique à la valorisation du made in Niger.
Les conséquences de cet immobilisme sont multiples: fermeture d’entreprises locales, chômage massif, fuite des capitaux et affaiblissement de la souveraineté économique. Le pays se retrouve piégé dans une dépendance structurelle qui compromet sa capacité à se développer durablement.
Le 22 octobre 2025: un tournant politique et économique
Face à cette situation, les décisions adoptées lors du Conseil des ministres du mercredi 22 octobre 2025 apparaissent comme un signal fort de la volonté politique de redresser la trajectoire.
La première mesure, portant sur l’institution de quotas d’enlèvement à l’importation, vise à réguler la concurrence entre produits locaux et produits importés. Concrètement, il s’agit de limiter la quantité de produits étrangers similaires à ceux fabriqués sur le territoire national pouvant entrer sur le marché nigérien. Cette politique de contingentement n’a pas pour but de fermer le marché, mais d’instaurer une protection intelligente et temporaire pour permettre aux industries locales de se consolider. Ce mécanisme de régulation commerciale favorisera ainsi la restructuration du tissu industriel, tout en garantissant un approvisionnement suffisant du marché intérieur. Des sanctions sont d’ailleurs prévues en cas de non-respect de cette législation, ce qui témoigne d’une volonté de mise en œuvre effective.
La seconde mesure, tout aussi importante, institue l’obligation d’achat de produits locaux par les administrations et entreprises publiques, ainsi que par tout organisme bénéficiant de subventions de l’État. Ce dispositif s’inscrit dans le cadre de l’axe 3 de la Vision du Président de la République, intitulé « Développement des bases de production pour la souveraineté économique ». L’objectif est clair: stimuler la demande publique pour les produits locaux, afin d’encourager leur production, transformation et commercialisation.
Ces deux décisions traduisent un acte politique courageux et inédit. Elles répondent à un appel lancé depuis plusieurs années par de nombreux acteurs nationaux, dont nous — Habou Bassirou, Abdoul Kader Lamine, Rabiatou Arzika et Ibrahim Adamou Louché — aux côtés d’autres défenseurs du consommer local. Il s’agit d’un signal de rupture: désormais, l’État nigérien reconnaît officiellement que la consommation locale est un levier stratégique du développement économique.
Des mesures prometteuses, mais un défi de mise en œuvre
Toutefois, le succès de ces décisions dépendra largement de leur application rigoureuse. L’histoire économique du Niger regorge de réformes ambitieuses restées sans effet faute de suivi. Pour éviter que ces mesures ne soient perçues comme un simple effet d’annonce, plusieurs actions complémentaires doivent être entreprises.
D’abord, il est indispensable de créer un Observatoire de la consommation des produits locaux, une idée chère à Rabiatou Arzika. Cet organe aurait pour mission d’assurer le suivi, l’évaluation et la transparence de la mise en œuvre des deux mesures. Il pourrait publier régulièrement des rapports sur les taux de respect des quotas d’importation, sur le niveau des achats publics de produits locaux, et sur les impacts économiques observés. Cet observatoire servirait également de cadre de concertation entre les producteurs, les consommateurs et les pouvoirs publics.
Ensuite, compte tenu de la porosité des frontières nigériennes, le renforcement des capacités de la Douane s’impose comme une priorité. Sans un contrôle rigoureux des flux commerciaux, le risque de contournement des quotas d’importation est réel. Les autorités devront investir dans la digitalisation des procédures douanières, la formation des agents et la coopération régionale pour une surveillance plus efficace.
Par ailleurs, une campagne nationale de sensibilisation doit être relancée pour encourager les citoyens à privilégier les produits nigériens. Le changement de comportement des consommateurs est une condition essentielle de la réussite du consommer local. L’école, les médias, les influenceurs et les organisations de la société civile doivent être mobilisés pour valoriser les marques locales et déconstruire les préjugés sur la qualité.
Enfin, il convient d’impliquer pleinement le secteur privé et les collectivités locales. Les entreprises nigériennes doivent être accompagnées dans l’amélioration de la qualité, du design, du packaging et de la distribution de leurs produits. Les collectivités peuvent, quant à elles, jouer un rôle moteur en intégrant des clauses de “préférence locale” dans leurs marchés publics.
Vers une souveraineté économique inclusive et durable
L’adoption des mesures du 22 octobre 2025 marque une étape décisive dans la quête de souveraineté économique du Niger. En instituant à la fois des quotas d’importation et une obligation d’achat local, le gouvernement établit les bases d’un nouveau paradigme économique fondé sur la valorisation du potentiel national.
Mais la réussite de cette politique exigera une coordination intersectorielle, une gouvernance exemplaire et une implication citoyenne constante. Le consommer local ne doit pas être perçu comme un repli économique, mais comme une stratégie d’émancipation collective. C’est une manière de redonner confiance aux producteurs, de stimuler l’innovation, de créer de la richesse et d’affirmer la dignité économique du Niger.
En définitive, la date du 22 octobre 2025 ne restera mémorable que si elle marque le début d’un mouvement national cohérent et durable, soutenu par des institutions solides, des citoyens engagés et des entreprises compétitives. Comme le disait l’historien et philosophe burkinabé, le Professeur Joseph Ki-Zerbo: « On ne développe pas, on se développe. » Le Niger vient peut-être, en ce 22 octobre, d’en faire le pari.
Ibrahim Adamou Louché, Economiste
Source: lesahel
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