Concurrence russo-européenne en Afrique : rivalité extrême au Sahel et au Sahara !

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Concurrence russo-européenne en Afrique : rivalité extrême au Sahel et au Sahara !
Concurrence russo-européenne en Afrique : rivalité extrême au Sahel et au Sahara !

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Niger. Si le Sahel est vulnérable, il l’est d’abord du fait de sa géographie qui crée un contexte favorable aux revendications de tous ordres. Le désir pour les populations d’échapper à cette nature hostile se manifeste par un sentiment de révolte ne demandant qu’à s’exprimer et qui est souvent instrumentalisé par des puissances étrangères.

C’est pour cette raison que la région du Sahel et du Sahara constitue une nouvelle arène de compétition entre la Russie et les puissances européennes, car l’intérêt russe dans la région représente un défi stratégique et une menace claire pour les intérêts européens, notamment français, car il s’agit de l’un des principaux pôles géopolitiques, sur lesquels s’appuient ces puissances pour accroître leur influence aux niveaux régional et international, ce qui pose question sur l’avenir de cette compétition, et ses répercussions sur la sécurité et la stabilité de la région.

Domaines de concurrence
• Au niveau stratégique et politique

Les parties russe et européenne sont conscientes de l’importance géostratégique de la région du Sahel compte tenu de leur concurrence pour renforcer chacune ses positions dans le système international, et dans le contexte des dossiers et des problèmes cruciaux de la région tels que le terrorisme, la migration irrégulière et les investissements, ainsi que le positionnement stratégique de la région, qui offre la possibilité d’être proche des zones d’influence stratégique, telle que la Libye et les interactions en Méditerranée orientale et les voies navigables telle que la mer Rouge à l’est, et ce que cela représente comme importance d’avoir un pied sur terre dans ces régions. C’est d’ailleurs ce qui renforce la concurrence géopolitique entre les acteurs internationaux au Sahel.

Selon les observateurs, Moscou a élargi ses relations avec les pays du Sahel, au cours des dernières années, pesant son poids politique en République centrafricaine, au Mali et en Libye, dans une volonté de renforcer sa présence militaire et économique, et dans ses efforts pour se réaffirmer comme une grande puissance à travers la porte d’entrée du Continent africain. Cette escalade de la présence russe dans la région a soulevé les craintes de l’Europe, poussant Josep Borrel, le Vice-président de la Commission européenne et Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à exiger que Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, quitte l’Afrique, et que Moscou n’y travaille pas du tout, car c’est « notre place », aurait-il dit en référence à l’Union européenne, comme Lavrov l’a lui-même révélé en septembre dernier.

Alors que Moscou bloque la nomination de comités d’experts européens pour surveiller les violations des sanctions des Nations unies contre le Centrafrique, le Mali et le Soudan du Sud, ainsi que la République démocratique du Congo, en raison de son souhait que « davantage de Russes rejoignent ces comités qui prétendent subir la domination des représentants des puissances occidentales sur eux », afin d’équilibrer l’influence russe avec l’influence européenne, d’autant plus que le Groupe d’experts de l’ONU qui surveille les sanctions imposées au Centrafrique accuse les forces russes de Wagner et les forces gouvernementales d’être impliquées dans le ciblage des civils et le pillages à grande échelle, ce que Moscou a rejeté.

• Sur le plan économique et de développement

Dans ce contexte, la concurrence s’intensifie entre les deux parties dans le cadre de leurs efforts pour créer des alliances économiques et commerciales avec les pays du Sahel, afin d’ouvrir de nouveaux marchés pour la promotion des produits industriels et l’expansion de leurs ventes militaires aux pays de la région. Les pays de l’Union européenne, en particulier la France, sont conscients du danger des tentatives russes de s’emparer des ressources et des richesses dont jouissent les pays du Sahel, et d’aller vers l’établissement de partenariats économiques et commerciaux avec eux, dans le but d’élargir des opportunités qui se reflètent dans l’augmentation des investissements russes dans la région, en particulier dans les projets énergétiques et nucléaires, car certaines entreprises russes telles que « Nord Gold » et « Rosatom » se développant dans les secteurs de la richesse minérale, de l’énergie nucléaire, du pétrole et du gaz, en tant que point fort de l’influence économique russe au Sahel.

L’Europe considère cette expansion économique russe comme une menace pour ses intérêts stratégiques dans la région, ainsi qu’une menace pour la sécurité régionale dans la région, ce qui appelle à affronter les politiques russes au Sahel. Par conséquent, les pays d’Europe, menés par la France, tentent d’empêcher les pays de la région de se tourner du côté de la Russie, en élargissant les projets d’investissement dans les pays de la région et en s’appuyant sur l’approche de développement parallèlement à la sécurité afin de faire face aux crises dans la région du Sahel, même si elle n’a pas atteint les résultats escomptés, jusqu’à ce moment.

• Sur le plan sécuritaire et militaire

Dans ce « ring », la variable sécuritaire constitue quant à elle une base fondamentale de la politique russe dans le cadre des tentatives de Moscou d’influencer le littoral, en apportant un soutien sécuritaire aux pays de la région, à l’instar du rôle russe en Libye, dans l’Est de l’Ukraine et en Syrie, qui l’a incitée à signer un grand nombre d’accords de sécurité et de coopération militaire pour vendre des armes russes à un certain nombre de pays de la région tels que le Centrafrique, le Niger, le Burkina Faso et le Mali, où les exportations d’armes russes représentent 37,6% du marché africain des armes.

Et ce, en plus du renforcement du rôle du groupe militaire Wagner dans un certain nombre de pays de la région tels que l’Afrique centrale, la Libye et le Mali. Dans ce sens, Sergueï Lavrov a confirmé la demande du Gouvernement malien faite au groupe russe Wagner pour lui venir en aide dans la lutte contre le terrorisme dans le pays, ce qui a provoqué la colère les puissances européennes, notamment la France et l’Allemagne.

Il ne faut pas oublier que la région du Sahel sert de laboratoire de sécurité pour l’Union européenne quant à sa capacité à faire face à des crises complexes dans l’arrière-cour de l’Europe.

Répercussions de la concurrence russo-européenne sur la région

Forum Russo-africain


Sommet UE – UA à Bruxelles en 2022

Cette concurrence est une épée à double tranchant pour les pays du Sahel :

• d’une part, les bénéfices économiques qui leur reviendront de part et d’autre se multiplieront sous forme d’investissements et d’aides économiques et militaires,

• d’autre part, l’intensification de la rivalité liée au conflit d’intérêts entre les deux puissances peut conduire à une plus grande déstabilisation au Sahel, ce qui peut contraindre les pays de la région à s’aligner sur la Russie, compte tenu de l’état de mécontentement populaire dans la plupart des pays sahéliens contre les forces françaises et européennes qui n’ont pas réussi à éliminer les organisations terroristes au cours des 8 ou 9 dernières années,

• quant à la Russie, elle jouit d’une bonne réputation dans les milieux officiels et populaires du Sahel en matière de lutte contre le terrorisme, surtout au vu de la bonne relations que les Russes entretiennent avec certains pays du Sahel, comme le Centrafrique, le Mali, le Burkina Faso et le Niger.

La concurrence russo-européenne contribue également à créer un état de division et d’alignement international dans la région par certaines puissances internationales, notamment les États-Unis d’Amérique et la Chine.

Washington, de son côté, a annoncé un soutien à Paris et à l’Europe au Sahel pour tenter de freiner la nouvelle Tendance russe là-bas, ce qui signifie plus de militarisation dans le moyen d’acquérir de l’influence et de la domination dans la région. A moins que les parties internationales ne s’accordent sur la possibilité de conclure des accords internationaux et régionaux qui éviteraient des conflits d’intérêts au Sahel lors de la prochaine étape.

Quel avenir pour la concurrence russo-européenne ?

Il existe des scénarios possibles concernant l’avenir de la concurrence entre la Russie et l’Europe dans la région du Sahel et du Sahara, dont les plus importants sont les suivants :

• Scénario 1 : l’escalade du rôle russe dans la région du Sahel, qui est le scénario le plus probable, et ce à la lumière de la tendance de Moscou à étendre ses relations diplomatiques, militaires et économiques avec la plupart des pays de la région, et de sa volonté d’accroître son influence en activant ses outils officiels et non officiels, en plus du soutien populaire croissant pour la présence russe au Sahel, et le déclin relatif de la présence française au regard de la confusion et des hésitations dans sa stratégie, s’ajoutent au ralentissement européen du soutien militaire et financier à Paris au cours de la période récente.

Ce scénario est lié à un autre scénario possible centré sur les puissances européennes se précipitant vers le Sahel et y consolidant la position française comme un mur afin d’équilibrer l’influence russe, et d’empêcher un déploiement militaire plus large du groupe Wagner dans les pays de la région, et d’empêcher également les alliés de Paris en Afrique de l’Ouest et au Sahel de s’orienter vers un autre partenaire de sécurité, en référence à Moscou.

• Scénario 2 : ouvrir un dialogue global entre la Russie et l’Union européenne sur la côte, ce qui est un scénario possible, à la lumière du besoin de l’Europe d’une politique africaine cohérente en matière de sécurité, de migration et de changement climatique, en particulier avec le nouvel engagement russe au Sahel, ce qui renforce la possibilité d’ouvrir des canaux de communication entre l’Europe et la Russie aux fins d’un dialogue stratégique, car il y a des intérêts politiques, stratégiques et économiques communs entre les deux parties au Sahel par rapport à d’autres zones géostratégiques, comme le Moyen-Orient.

Il existe également des chevauchements entre les deux parties dans certains domaines importants pour la sécurité, notamment la sécurité maritime et la lutte contre le terrorisme.

• Scénario 3 : Un affrontement entre la Russie et l’Union européenne au Sahel, qui est un scénario peu probable, et ce à la lumière du souci des deux parties de ne pas nuire à leurs intérêts stratégiques dans la région, en plus des efforts des deux parties pour renforcer leur influence dans la région et obtenir des acquis plus stratégiques à tous les niveaux de la région, au lieu d’entrer dans un affrontement qui pourrait porter atteinte à leurs intérêts et renforcer l’instabilité régionale au Sahel.

Pour en finir, nous pouvons avancer que la concurrence russo-européenne dans la région du Sahel et du Sahara perdurera tant que chaque partie cherchera à maximiser ses intérêts stratégiques et à étendre son influence et sa domination sur les pays du Sahel, à moins que les deux parties ne s’orientent vers le lancement d’un dialogue stratégique global pour empêcher un conflit d’intérêts entre elles, ce qui peut conduire à une intensification du conflit et donc à la déstabilisation de la sécurité et de la stabilité de la région du Sahel à l’avenir.

De son côté, la stratégie européenne et française vis-à-vis du Sahel pourrait évoluer vers une plus grande implication dans leurs pays, dans le but d’y contrer la montée en puissance de l’influence russe.

Par ailleurs, la région du Sahel pourrait assister à un alignement de puissances internationales telles que les États-Unis, la France et les pays européens contre l’escalade de la présence russe au cours de la prochaine étape, et qui soit, en quelque sorte, une revanche de ce qui se passe en Ukraine.

Mais, dans ce contexte, les pays du Sahel peuvent trouver une plus grande marge de manœuvre parmi les acteurs internationaux de la région en jouant sur les contradictions entre eux et en bénéficiant de toutes les formes de soutien qui leur sont apportées. Cependant, il reste l’otage des politiques internationales pour trouver des solutions qui ne lui conviennent peut-être pas aux questions de sécurité, de terrorisme et de lutte contre les migrations tant que ses capacités économiques et militaires restent faibles, ce qui se traduit à son tour par l’échec des alliances régionales à faire face aux défis et les menaces dans la région, ce qui signifie finalement tourner dans un cercle vicieux.

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