Africa-Press – Niger. Il est de la plus grande évidence que le territoire qui porte le nom de Niger est antérieur à sa dénomination. Ce territoire a une histoire géologique: il a été façonné par des ères, des périodes et des époques. Il a une histoire hydrographique: les cours d’eau qui le parcouraient il y a plusieurs millions d’années y ont favorisé l’éclosion de la vie. Le territoire abritait une faune abondante, comme en témoignent les squelettes du Sarcosuchus Imperator (crocodile de 12 m de long pour une masse de 8 tonnes) et du Jobaria Tiguidensis (dinosaure herbivore de 24 m pour une masse de 24 tonnes) exposés au Musée national Boubou Hama de Niamey. Le territoire était couvert d’une végétation luxuriante, en attestent les restes de l’arbre du Ténéré (un acacia tortilis mort en 1973, après avoir vécu plus de 300 ans), conservés dans le même musée.
Les outils de pierre: pointes de flèches, mortiers, haches, meules, poteries, etc., les peintures rupestres représentant des animaux: antilopes, éléphants, hippopotames, girafes, etc., et les activités pratiquées: chasse et élevage, témoignent ensemble d’une présence humaine très ancienne. Ce territoire a une histoire climatique: en ce domaine, le phénomène le plus marquant a été l’assèchement du Sahara, aux environs du quatrième millénaire avant J.-C., qui a sans doute entraîné des migrations de populations, la formation d’organisations sociales, culturelles, économiques et politiques: clans, tribus, ethnies, royaumes, empires, civilisations, dont nous sommes les descendants et héritiers.
Sarcosuchus impérator a vécu il y a 110 millions d’années, Jobaria tiguidensis a vécu il y a 135 millions d’années, l’acacia tortilis a vécu il y a 300 ans, les trois sont nigériens et font partie du patrimoine national parce qu’ils ont été découverts sur notre territoire. Il en est de même de l’art rupestre dont l’âge est compris entre 10000 et 1000 ans avant J.-C., et de leurs auteurs qui sont nos ancêtres.
La dénomination du territoire s’inscrit elle-même dans un processus historique d’exploration du monde. A son propos, les versions divergent. La plus probable est celle qui prête à Juba II, roi de Numidie et de Maurétanie (1er siècle avant J.-C.), la première utilisation du mot latin niger (noir), pour désigner le fleuve qui parcourt le territoire. Quoiqu’il en soit, à partir de la fin du 19e siècle, date à laquelle les puissances occidentales avaient conquis la presque totalité des terres émergées, de la Conférence de Berlin (1884-1885) qui entérine le partage du continent africain, des conventions franco-anglaises (5 août 1890, 14 juin 1898 et 29 mai 1906), pour sa possession effective, le territoire sera tour à tour, selon les intérêts du vainqueur, transformé en territoire militaire (20 décembre 1900), en territoire civil (4 décembre 1920), en colonie (13 octobre 1922), en République au sein de la Communauté (18 décembre 1958), et en Etat indépendant (3 août 1960).
En dépit de ce qui précède, des Nigériens – j’ignore pour quelles raisons – s’acharnent à montrer l’incapacité ou l’impossibilité du projet d’écriture d’une histoire générale – donc national et collectif – du Niger. Le Niger n’a pas d’histoire, disent les uns. L’histoire du Niger ne commence qu’avec la colonisation, affirment les autres. Pourtant, avant, pendant et après la colonisation, au cours de l’Antiquité, du Moyen Age, des époques moderne et contemporaine, des étrangers et des autochtones (voyageurs et explorateurs arabes et occidentaux, administrateurs coloniaux, savants et érudits africains, Nigériens diplômés ou non en histoire) ont écrit l’histoire du territoire qui allait prendre le nom de Niger, l’histoire du territoire devenu Niger ou encore l’histoire des régions qui le composent. Toutes ces incitatives sont personnelles.
Comment expliquer que jusqu’ici personne n’ait eu rien à redire, et qu’au moment où, dans un élan d’indépendance, de souveraineté et d’appropriation de notre passé, nous décidons de restaurer notre mémoire collective par l’écriture d’une histoire générale du Niger, des voix s’élèvent pour en nier le bien-fondé?
Comment entendre de tels propos, lorsqu’ils sortent de la bouche des Nigériens?
Faut-il croire que la vocation de leurs auteurs est d’appartenir à un peuple sans histoire? Sont-ils animés de mauvaise foi? Pèchent-ils par ignorance? Que font-ils, du nihilisme ou de l’autoflagellation?
Propagateurs de ces arguments saugrenus, ils se constituent aussi comme relais des idéologies racistes des XVIIIe et XIXe siècles.
Excepté la couleur noire de leur peau, quelle différence existe-t-il entre Gobineau, auteur de l’Essai sur l’inégalité des races, les idéologues occidentaux qui affirment que l’Afrique n’a pas d’histoire et le maître philosophe Hegel qui soutient que « L’Afrique n’est pas une partie historique du monde »?
Le Niger n’est pas un pays ahistorique. Les Nigériens sont responsables de leur histoire, ils l’ont faite bon an mal an, même sous la domination coloniale. Il leur appartient encore de la faire, car nous ne pouvons laisser aux autres le monopole de la représentation du passé, du présent et de l’avenir, parce que nous ne pouvons pas « vivre avec la mémoire d’autrui », au risque de reproduire l’aberration que rapporte Joseph Ki-Zerbo:
« Quand un général romain fait exécuter son fils pour des raisons de discipline pro patria, on met cela au compte de l’héroïsme patriotique. Quand Samori en fait autant, on crie à la barbarie. Le résultat, ce sont des phrases comme celle-ci que j’ai rencontrées dans les deux tiers des devoirs d’élèves africains en 1964: ‘’Samori était un homme sans foi ni loi, un sanguinaire. Heureusement, il a été éliminé par les Français’’. Où ont-ils appris tout cela? Dans les livres écrits par des gens qui considèrent l’histoire comme une science ».
Chez nous, lorsque la France détenait le monopole de l’écriture de notre histoire, n’a-t-elle pas présenté une affaire franco-française, une fusillade entre Français, sur notre territoire, à Dankori, comme un drame qu’elle a consigné dans les manuels scolaires, et que nos élèves profondément attristés, récitaient à tue-tête?
Assurément, les contempteurs de l’écriture générale de l’histoire du Niger ont une piètre vision de l’histoire. Somme toute, la vision de l’histoire ramène à son rôle et à ses fonctions. A quoi sert l’histoire, telle est la question dont la réponse livre l’intelligibilité de la vision historique.
La réponse appelle la position de deux préalables:
Ces préalables donnent au moins deux raisons de connaître l’histoire:
– L’appartenance à une communauté, le souci de partager les souvenirs, les événements, les expériences qui s’y rapportent et façonnent une identité commune ;
– La nécessité de comprendre le présent par le truchement du passé, pour mieux préparer l’avenir.
La connaissance de l’histoire n’appelle ni à la sublimation du versant faste du passé ni à la diabolisation de son versant néfaste, mais à une analyse globale qui permet de comprendre notre situation présente, d’identifier nos forces et faiblesses, de reconnaître nos actes positifs et nos actes négatifs, de prendre acte de nos erreurs. Il s’agit au demeurant de tirer des leçons, afin de prendre des décisions éclairées pour le présent et pour l’avenir.
La connaissance du passé assoit et alimente la mémoire collective qui nous unit autour d’événements et de souvenirs communs, de valeurs et de traditions partagées, d’une conscience historique et citoyenne, d’un sentiment identitaire et d’une appartenance nationale. La conscience collective doit être conservée et transmise aux générations montantes pour qui elle doit servir de source d’inspiration.
Au demeurant, avoir une saine vision de l’histoire, c’est restaurer la continuité entre le passé, le présent et l’avenir.
Les Nigériens, en particulier les plus jeunes, doivent connaître le pays, son sol, son sous-sol, son peuplement. Ils doivent savoir de qui ils sont les descendants et les héritiers, ce que leurs ancêtres ont réalisé de grand et de moins grand sur les plans social, économique, culturel, artistique, architectural, éthique, moral et militaire, mais aussi ce que leurs ancêtres n’ont pas fait et qu’il leur incombe de réaliser en vertu de la continuité générationnelle.
Nos enfants doivent, dans la lecture des manuels scolaires conçus à partir des volumes de l’histoire générale du Niger, entendre l’écho des premiers coups de feu tirés par l’envahisseur, sentir la stupeur de nos ancêtres, et après leur désarroi, l’organisation de la défense et de la résistance. Ils doivent être témoins – pour ne pas les reproduire – de nos querelles intestines, de nos guerres fratricides, de notre incapacité à présenter un front uni contre l’envahisseur et des raisons de notre défaite. De Sansané Haoussa, à Zinder, en passant par Karma, Boubon, Dioundjou, Matankari, Karakara, Maijirgui, Tessaoua, Kouran Kalgo, Birni N’Konni, à Agadez, ils doivent sentir, portés par l’harmattan, l’odeur de la poudre mêlée au sang des martyrs, le ricanement des hyènes dévorant les pendus, le croassement des corbeaux et le grognement des vautours se disputant des cadavres humains.
Les jeunes Nigériens ont besoin de savoir, ils ont besoin de repères. Il leur faut des valeurs et des modèles. On leur présentera les grandes figures de la résistance, mais aussi les hommes et les femmes de chez nous qui se sont illustrés dans le domaine des sciences, des Lettres, des Arts, et des Sports. Pétris de connaissances historiques, armés d’esprit critique, ils doivent examiner le passé, ce que nous avons hérité du passé: traditions, culture, us et coutumes, pour en expurger tout ce qui entrave le progrès.
Nous Nigériens: hommes, femmes et enfants, devons savoir d’où nous venons. Nous devons évaluer le chemin jusqu’ici parcouru. Et, sur le chantier du développement, nous devons, au moyen du travail, mesurer le trajet qui mène à l’indépendance et à la souveraineté.
Ainsi, nous nous conférerons la qualité d’incolonisables, vocable qui n’existe dans aucun dictionnaire français. Et pour cause ! Les dictionnaires français conçus au cours de l’expansion coloniale ne pouvaient introduire en leur sein ce terme iconoclaste.
Source: lesahel
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