Le retrait par le Niger de la loi contre le trafic de migrants provoque une rupture diplomatique avec l’UE et menace ses voisins

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Le retrait par le Niger de la loi contre le trafic de migrants provoque une rupture diplomatique avec l’UE et menace ses voisins
Le retrait par le Niger de la loi contre le trafic de migrants provoque une rupture diplomatique avec l’UE et menace ses voisins

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Niger. Il s’agit là d’une décision prise par la junte militaire au Niger par laquelle elle a aboli une loi antérieure criminalisant le trafic de migrants, une mesure qui devrait ouvrir la porte à l’afflux de vagues de citoyens d’Afrique subsaharienne vers l’Europe, cela constituera le début d’une crise pour des pays comme la Libye et la Tunisie, considérés comme des voies de transit majeures pour les migrants africains se dirigeant vers l’Europe.

Selon le porte-parole du Premier ministre nigérien Ali Lamine Zein, le chef de la junte militaire, Abderrahmane Tchiani, a abrogé la loi, en réponse à l’Union européenne, qui imposait des sanctions à son pays, sans réfléchir aux réactions choquantes qui pourraient émaner du Niger envers les Européens.

Il importe de rappeler que le Niger est l’un des pays de transit les plus importants pour les migrants en provenance d’Afrique subsaharienne qui tentent d’atteindre la Libye et la Tunisie, et le point de départ de la traversée de la Méditerranée vers l’Europe, ainsi que pour ceux qui rentrent chez eux avec l’aide des Nations Unies.

A noter qu’en 2015, le Parlement nigérien avait voté une loi criminalisant le trafic de migrants et approuvé une peine pouvant aller jusqu’à 30 ans de prison, tout en prenant des mesures de sécurité strictes dans la région d’Agadez, qui constitue la principale route de passage des migrants vers la Libye voisine, et de là vers l’Europe.

Ceci dit, l’application de cette loi a fini par inclure toute la chaîne des acteurs impliqués dans l’économie migratoire, où toute personne bénéficiant d’un avantage économique ou financier est reconnue comme « passeur », ce qui constitue une autre forme d’assistance aux migrants. La loi s’appuie sur un texte fondateur, notamment « le Protocole de Palerme contre le trafic illégal de migrants par voie terrestre, aérienne et maritime ».

Les observateurs s’accordent sur le fait que la décision du Niger d’abroger la loi de 2015 ouvre la voie à des réseaux de trafic d’êtres humains et de trafic de migrants à grande échelle, avec les dangers réels que cela représente pour les autres pays de transit.

Dans ce contexte, l’Organisation internationale pour les migrations a publié au début novembre dernier, un communiqué, dans lequel elle estimait le nombre total de migrants irréguliers en Libye à environ 704 369 personnes, dont 79 pour cent d’hommes, 11 pour cent de femmes et 10 pour cent d’enfants. De leurs côtés, les milieux tunisiens estiment le nombre de migrants subsahariens en Tunisie à environ 100 000 migrants, dont la plupart sont présents illégalement et utilisent le pays comme point de transit pour tenter de rejoindre les côtes européennes.

Toujours dans la même optique, on note qu’en 2022, les Européens ont célébré le partenariat avec le Niger dans le programme de limitation des migrations, en fortifiant les frontières extérieures et en ouvrant le champ de coopération entre l’Agence européenne des gardes-frontières et le Niger. En moins d’un an, le Niger a annulé ce partenariat, qui exprime le désespoir de ses dirigeants quant à la faisabilité de poursuivre ce programme, tenant l’Union européenne pour responsable des conséquences et soulignant l’importance du rôle du Niger dans la mise en œuvre des politiques de contrôle migratoire, mais le retrait de l’Union de ses engagements a détruit l’accord.

• Quelles sont les raisons de cette décision ?

Après le coup d’État de juillet dernier, dirigé par le général Abderrahmane Tchiani, l’Union européenne a interrompu son aide au Niger, qui comprenait des projets hébergeant un nombre important de passeurs, en plus de la responsabilité du Niger d’accueillir ceux qui souhaitent rentrer dans leur pays. Plusieurs rapports indiquent que plus de 7 000 migrants de retour attendaient sur des sites au Niger.

Face aux pressions économiques que le Niger a subies après le coup d’État, du fait de l’arrêt des soutiens extérieurs, les autorités de transition n’ont eu d’autre choix que de transmettre la carte des migrants, de faire pression sur l’Union européenne et peut-être de se venger d’elle, en lançant et en ouvrant toutes les routes migratoires que le Niger avait précédemment fermées.

• Quelles sont les implications de la décision au niveau politique ?

L’indication la plus importante au niveau local est que les autorités nigériennes libéreront toutes les personnes reconnues coupables de trafic de migrants et fermeront les yeux sur ceux qui traversent du sud vers le nord du continent à la recherche de ports de passage vers l’Europe, en plus du fait que la décision est considérée comme un pas vers la fin des relations avec le camp occidental, surtout si cela est lu avec l’annulation du partenariat militaire avec l’Union européenne.

Les autorités ont également annulé leur accord avec l’Union européenne visant à renforcer les capacités civiles pour aider les forces de sécurité à lutter contre les extrémistes et les menaces associées, selon des sources de la presse française, et ont confirmé que le conseil militaire avait commencé à discuter des relations avec la Russie.

En outre, l’abolition de la décision de « criminaliser le trafic illicite » est considérée comme une punition pour l’Europe, qui parle de l’arrivée de plus de 100 000 migrants sur les côtes italiennes au cours de l’année qui vient de s’écouler (2023), ce qui constitue pour elle une réelle menace en ce qui concerne les migrants africains.

En outre, les observateurs s’attendraient à ce que les répercussions des résultats de la décision du Niger d’abolir la loi sur l’immigration se fassent sentir sur les pays voisins, Libye en tête, d’ici 4 à 6 semaines, et ils ont indiqué que les conséquences européennes deviendraient plus apparentes sur la France et l’Italie.

• Comment l’Union européenne a-t-elle réagi à cette décision ?

Ylva Johansson, responsable des affaires intérieures de l’Union européenne, a critiqué la décision du conseil militaire nigérien, estimant que cette décision signifie l’augmentation du flux de migrants à travers la Libye, soulignant le succès de la loi dans la réduction significative du nombre de migrants irréguliers.

Elle a déclaré également: « Je regrette beaucoup cette décision et je me sens très préoccupée par les conséquences, car on craint qu’elle n’entraîne de nouveaux décès dans le désert, alors que les gangs de trafiquants d’êtres humains redeviennent actifs. »

• Quelles sont les répercussions de la décision du Niger aux niveaux régional et européen ?

À la lumière des revers rencontrés par les économies des pays africains, en raison des effets de la pandémie de Covid-19, de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, des graves changements climatiques et de l’état de sécurité fluide dans un certain nombre de pays africains, et en particulier dans la région d’Afrique de l’ouest, le champ sera grand ouvert aux vagues migratoires du sud vers l’Union européenne, et cela affectera certainement deux régions:

1 – L’Afrique du Nord

Les pays d’Afrique du Nord sont considérés comme l’une des régions touchées par les vagues de migrants, car ils sont des pays de transit et des sites d’attente et de préparation. Selon les médias, les pays du Maghreb ont exprimé leur mécontentement face à la décision du Niger, et l’ancien député Tunisien, Slim Ben Abdessalam, responsable de l’organisation « Fraternité française », a déclaré que cette décision compliquera la mission de surveillance, demandant à l’occasion s’il existe des législations et des sanctions alternatives.

Quant au ministre libyen chargé de l’Intérieur, il a également qualifié la décision d’irréfléchie et aura des répercussions sur tous.

2 – L’Union européenne

L’Europe est considérée comme la destination que les immigrants africains rêvent d’atteindre et d’y vivre dans le luxe, comme ils l’imaginent. Les organisations internationales rapportent que l’Europe a accueilli plus de 440 000 immigrants d’Afrique entre 2000 et 2005. Des organisations similaires rapportent également que l’immigration n’a jamais cessé.

Mais les chiffres diminuent selon les politiques suivies, et les pays européens seront donc confrontés à des vagues massives de nouvelles migrations, qui leur imposeront de lourdes charges économiques et les menaceront, suite à la montée du populisme et de l’extrême droite, qui rejette les politiques européennes d’absorption des immigrés.

• Restreindre les voies d’immigration légales et sûres !

« L’obsession de l’Union européenne pour la question migratoire est très connue », a déclaré à Migrant News, la Directrice du Centre euro-africain pour les politiques migratoires (FEASO) à Paris, Yera Dembélé.

Ces dernières années, l’Europe s’est éloignée de sa politique d’immigration post-Seconde Guerre mondiale, qui visait à attirer la main-d’œuvre migrante dont elle avait désespérément besoin pour la reconstruction. Ces dernières années également, l’Union européenne a eu recours à un renforcement des contrôles aux frontières terrestres et maritimes pour empêcher l’entrée d’immigrants illégaux.

Selon Dembélé, une seule chose est restée inchangée: « Quand on regarde l’évolution de la migration au cours de ces différentes étapes, on se rend compte que les politiques plus strictes n’ont quasiment eu aucun effet, si ce n’est une augmentation du nombre de migrants noyés en mer ».

Elle a critiqué les politiques de migration et de développement dans les pays d’origine en Afrique, car elles recoupent les politiques des pays d’accueil, affirmant à ce juste titre: « Il y a un manque de réelle volonté politique pour répondre aux besoins des jeunes, ce qui les pousse à migrer, au risque de leurs vies ».

• La stratégie de l’Union européenne reflète négativement !

Les experts dans ce domaine estiment que les politiques d’immigration, formulées pour la plupart d’un point de vue européen pour limiter les migrations, ont échoué et continueront à échouer parce qu’elles ne prennent pas en compte la nature des mouvements à l’intérieur de l’Afrique, qui est influencée par des facteurs culturels.

D’autres analystes estiment quant à eux qu’il est trop tôt et trop difficile de déterminer « comment la nouvelle situation au Niger affectera la dynamique migratoire régionale ».

Selon la chercheuse en migration et analyste politique Alia Fakhry, « la perte du partenariat avec le Niger pourrait pousser l’Union européenne à établir une coopération similaire avec d’autres pays africains voisins » en rappelons entre-autres que « l’Union européenne a déjà finalisé de tels accords avec la Tunisie et la Libye ».

Fakhry a ajouté: « L’Union européenne continue de renforcer sa stratégie migratoire, et l’accord avec la Tunisie cet été est un exemple de ce que nous pouvons décrire comme une stratégie de ‘domino’, et avec la chute du ‘domino’ au Niger, l’Union européenne a hâte de recourir à d’autres partenariats ».

Elle a ajouté: « Avec la fin de la coopération avec le Niger, il sera important que les Européens tirent une leçon importante: une stratégie migratoire qui s’appuie excessivement sur la coopération avec des partenaires, rend les Européens en proie aux sautes d’humeur et aux changements de régime ».

• Le Niger considéré comme centre de trafic de migrants d’Afrique vers l’Europe

L’Europe a exprimé ses inquiétudes face à la décision d’abrogation de la loi contre le trafic de migrants, car la junte militaire du Niger, comme d’autres juntes militaires de la région, a commencé à abandonner radicalement ses anciens alliés dès qu’elle a pris le pouvoir, en premier lieu Paris, à qui il a été demandé de retirer ses forces armées.

En réponse, Bruxelles, qui avait alloué 503 millions d’euros au Niger pour la seule période de 2021-2024, a annoncé en juillet dernier le gel de tous ses fonds de coopération « pour une durée indéterminée et avec effet immédiat ». Ces fonds ont été conservés au seul bénéfice de la population.

Il importe de noter d’ailleurs que les taux de chômage élevés parmi les jeunes augmentent l’anxiété et constituent une incitation à la migration et, dans ce contexte, les Nations Unies estiment qu’environ 64% de la population de la région du Sahel a moins de 25 ans.

Et depuis l’annonce de cette mesure, les jeunes l’ont accueillie favorablement et se sont dit prêts à reprendre les activités qu’ils ont été contraints d’abandonner il y a 8 ans. Les autorités locales elles-mêmes s’en réjouissent puisque le conseil régional d’Agadez n’a pas caché sa satisfaction envers la décision, tout en la saluant comme étant « une initiative extrêmement bénéfique pour la région ».

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que ces jeunes aspirent à un avenir meilleur, et ce dont ils ont besoin, ce sont plutôt des politiques de développement qui peuvent leur permettre cela.

Il n’empêche aussi qu’ils poursuivront le mouvement migratoire, et l’instabilité politique les rendra encore plus désespérés et les motivera à récidiver.

• Le mot de la fin

Pour clore ce dossier épineux, on peut affirmer qu’il semble très clair que les pays africains du Sahel disposent de plus d’options pour faire face aux pressions de la France en particulier et de l’Europe en général car, outre l’expulsion des forces françaises du Mali, du Niger et du Burkina Faso, la question de la migration irrégulière apparaît comme une carte de pression importante entre les mains des dirigeants de ces pays..

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