Que se passe-t-il donc aux frontières entre le Mali et le Niger ?

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Que se passe-t-il donc aux frontières entre le Mali et le Niger ?
Que se passe-t-il donc aux frontières entre le Mali et le Niger ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Niger. Une intensification de la violence entre les communautés locales dans les régions frontalières du Niger avec le Mali, vient d’être constatée ces derniers jours, faisant d’importants dégâts.

Cette violence n’est pas rare dans la région, surtout à cette période de l’année, en raison des fluctuations climatiques qui rendent difficile la sécurisation de l’eau et des pâturages.

Néanmoins, il importe de noter que les violences en zone rurale se sont aggravées à la frontière entre le Mali et le Niger, ont augmenté au cours des deux dernières décennies, et les deux gouvernements, malien et nigérien, n’ont pas été en mesure d’atténuer la rivalité croissante entre les différents groupes ethniques le long de la frontière, et l’accès aux armes de guerre a changé la nature de ces violences et l’a rendue beaucoup plus meurtrière, suite à des rébellions touaregs entre les années 1990 et les années 2000, avec l’émergence d’une génération de jeunes issue des régions frontalières s’appropriant d’armes pour leur subsistance et rejoignant des groupes violents pour obtenir encore plus d’armes afin de protéger leurs communautés des autres.

Divers affrontements violents ont été enregistrés le long de la frontière entre les deux pays, qui, en quelques mois seulement en 2018, ont coûté la vie à des dizaines d’habitants, sachant que les groupes terroristes ont profité du mécontentement local et de la faible présence et performance du gouvernement dans le nord du Mali.

La région frontalière a été plus instable bien avant en raison du conflit au Mali, où l’enrôlement au sein de ces groupes armés, parmi les populations les plus vulnérables, a accéléré la prolifération des armes et permis aux « terroristes » de prendre pied et de lancer des attaques transfrontalières contre l’armée nigérienne.

On se rappelle déjà qu’au lendemain de l’opération militaire française « Serval » au début de 2013, les groupes armés ont réussi à se réinstaller dans les zones rurales du Mali, puis du Niger.

A cette période, selon certaines informations, des politiciens auraient exploité la milice peule dans le nord de Tillabri, la région frontalière violente du sud-ouest du Niger, pour créer des milices communales dans les régions voisines du Mali et du Niger.

Toutefois, et malgré les critiques adressées à ces milices pour avoir adopté un comportement prédateur et violent afin de faire pression sur le gouvernement pour obtenir un certain nombre d’avantages, les chefs de ces milices et ceux qui en sont affiliés ont joué sur le prétexte de « défendre les droits des tribus marginalisées par le gouvernement ».

Efforts déployés et solutions proposées

Les efforts peuvent être classés en deux parties :
• la première concerne la résolution du différend frontalier
• et la seconde concerne les activités transfrontalières violentes.

S’agissant du premier volet, l’Union africaine a présenté depuis 2007 un programme frontalier ambitieux pour définir les frontières internationales terrestres et maritimes à travers l’Afrique et fixer les cadres de règlement du différend frontalier. Le défi de cet effort reste qu’il reçoit une participation disproportionnée des gouvernements africains et qu’en 2015, il n’avait atteint qu’un quart de ses objectifs.

Ainsi, on peut dire que le manque de confiance des pays africains dans les mécanismes africains de résolution de leur différend frontalier a contribué au recours des pays africains à la Cour permanente d’arbitrage (CPA) et à la Cour internationale de justice (CIJ). Ceci, en dépit du fait que les deux tribunaux ont été critiqués, les accusant notamment de violer les intérêts des pays africains par l’application du droit international d’Europe centrale dans les différends frontaliers africains.

Une autre alternative en Afrique, que certains incitent à exploiter, et qui est la suivante :
• les Conseils des adultes
• ou le Groupe des Sages
• et l’utilisation de diverses plateformes fournies par différentes organisations régionales, telles que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Autorité intergouvernementale sur la Développement pour l’Afrique de l’Est (IGAD).

En ce qui concerne les activités violentes et les mouvements armés à travers les frontières, le système spécial d’alerte précoce de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et de l’Union africaine fait partie des systèmes innovants qui existent pour résoudre ces conflits, en plus des diverses forces régionales qui ont été constituées ces dernières années pour faire face aux crises de mouvements terroristes transfrontaliers dans les pays d’Afrique de l’Ouest et du Sahel et dans la région de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), entre autres.

Calmer la situation aux frontières malo-nigériennes

Certes, il existe différents modèles d’efforts de ces organisations régionales dans la lutte contre les activités transfrontalières violentes. En effet, les tentatives régionales et africaines étaient hautement symboliques pour calmer la situation.

Il convient donc de noter que parmi les propositions soumises par certains chercheurs africains, on distingue :
• la levée des obstacles politiques pour permettre la libre circulation des produits, des services et des forces de production en utilisant les ressources de manière équitable et efficace,
• doter les zones frontalières de marchés favorables, ce qui augmente l’attractivité des le commerce international et l’investissement,
• et l’élargissement de la participation de spécialistes des peuples et groupes autochtones, la société civile, et les référendums publics.

Cependant, la plupart des propositions avancées par les chercheurs se sont heurtées à plusieurs défis, dont le plus important est qu’un certain nombre de gouvernements africains ne sont pas prêts à ouvrir leurs frontières, du fait que tous soutiennent les frontières coloniales après avoir obtenu leur indépendance dans la mesure où l’Organisation de l’unité africaine (OUA) avait inclus une clause dans sa charte qui stipulait « le respect des frontières des États membres sur la base de l’accession à l’indépendance nationale », ce qui a laissé certains d’entre eux dire que « Les membres fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine ont raté l’occasion de poser la première pierre d’une véritable intégration africaine et de s’attaquer aux distorsions causées par les colonialistes ».

Il y a ceux qui croient que la solution fondamentale aux crises frontalières africaines réside dans le renforcement de la bonne gouvernance dans les pays qui souffrent de ces crises, car la bonne gouvernance facilite d’excellentes relations et promeut des moyens pacifiques de résoudre les problèmes entre voisins.

En plus, ceci est confirmé par le fait que la plupart des pays africains confrontés à des crises frontalières aujourd’hui sont ceux qui obtiennent de mauvais résultats dans le classement de l’indice de démocratie, ou sont classés entre régimes hybrides et régimes autoritaires.

En d’autres termes, les interactions entre pays sont souvent faciles lorsque les principes de gouvernance locale sont démocratiques et institutionnels qui soutiennent l’intégration et la cohésion nationales, et aident les pays voisins à adopter la voie de la coopération dans des conditions liées à leurs frontières, permettant ainsi l’intégration régionale.

Suite à ce qui précède, nous nous devons de préciser que la frontière qui sépare le Niger du Mali se divise en deux parties :

• La première forme une ligne quasi horizontale de plus de 400 kilomètres qui s’étend de la zone des trois frontières (Burkina Faso, Mali, et Niger) à l’Ouest jusqu’à la petite ville d’Andéramboukane (région de Ménaka au Mali) à l’Est.

• La seconde, peu peuplée, dessine une ligne verticale de longueur équivalente qui remonte vers le Sahara et l’Algérie. Sa section horizontale sépare des espaces à dominante agricole au Sud, peuplés par des populations haoussa, djerma et peul, d’espaces plus centrés sur le pastoralisme au Nord et peuplés par des groupes nomades (Touareg, Dossaak et Peul).

De ce fait :

• Le foyer extrémiste qui s’est développé à la frontière ne constitue cependant pas un mouvement unifié. Plusieurs groupes y coopèrent de manière pragmatique même si certains sont affiliés à des organisations plus structurées et concurrentes.

• Le manque d’activités professionnelles alternatives, de sécurité et de justice à la frontière Niger-Mali expliquent en partie l’attrait pour les armes (utilisation et trafic).

• Les forces de sécurité nigériennes soulignent l’extrême faiblesse voire l’absence de l’Etat malien de l’autre côté de la frontière, où les éléments des groupes armés auraient leurs principales bases arrière.

Pour endiguer l’expansion de la violence, le gouvernement nigérien et ses partenaires devraient :

A- Aller au-delà du contre-terrorisme

Le gouvernement devrait se distancer de la priorisation actuelle de l’action militaire, souvent conduite par ses partenaires internationaux. Elle devrait développer son propre modèle de gestion des conflits dans les zones frontalières, basé sur un meilleur équilibre entre le dialogue et l’usage de la force. Les partenaires occidentaux devraient être plus ouverts à revoir leur stratégie actuelle avec les dirigeants régionaux. Ils devraient adopter une approche qui inclut des opérations militaires, qui restent évidemment une composante essentielle de la réponse, mais les subordonne mieux à une stratégie politique qui inclut des efforts pour calmer les conflits intercommunautaires et engager des militants, est définie par les sociétés sahéliennes elles-mêmes et est plus en phase avec leurs besoins.

B- Poursuivre les efforts pour engager les groupes armés

Le gouvernement nigérien a établi des contacts avec des groupes armés, mais les tentatives de dialogue se sont avérées difficiles. Elle devrait accompagner ces efforts d’une politique de pardon des insurgés à l’exception de ceux qui ont commis des crimes graves, tels que le meurtre de civils. Parallèlement aux initiatives gouvernementales, des rencontres entre communautés, soutenues par des organisations non gouvernementales et/ou la société civile, pourraient également réduire les tensions. Un projet de réorganisation administrative de la chefferie de Tillabéri Nord en partenariat avec toutes les communautés qui y vivent et visant à améliorer la représentativité des communautés nomades minoritaires, pourrait faciliter le dialogue.

C- Suspendre l’utilisation des milices communautaires dans les opérations antiterroristes et les intégrer dans des patrouilles conjointes temporaires

Les groupes armés non étatiques, dont le rôle dans les opérations anti-terroristes, aggrave les tensions et les violences intercommunautaires, devraient être intégrés dans des patrouilles de sécurité conjointes temporaires, aux côtés des forces régulières si possible. Les patrouilles qui font partie des dispositifs de sécurité locale à Ménaka, une ville du nord du Mali près de la frontière nigérienne, et ses environs, offrent un modèle qui devrait être renforcé et appliqué ailleurs. Pour attirer le soutien le plus large possible, ces initiatives devraient inclure des représentants de toutes les communautés locales, en particulier les nomades peuls qui ne sont pas bien intégrés dans les dispositifs de sécurité.

D- Fournir un soutien humanitaire et promouvoir le développement économique dans les régions frontalières

Le gouvernement nigérien et ses partenaires internationaux devraient de toute urgence faciliter l’accès humanitaire au nord de Tillabéri pour à la fois fournir une aide et évaluer de manière indépendante les besoins de la population locale. À moyen terme, le développement économique pourrait passer par des projets à petite échelle, la construction et l’entretien de « puits de paix », par exemple, même si de tels projets, qui peuvent provoquer des envies et des tensions, doivent être menés avec prudence et viser à promouvoir la paix entre les communautés. Le gouvernement doit améliorer les services, y compris l’éducation, la santé et la justice, dans les zones marginalisées et les adapter aux besoins des communautés nomades, notamment en les rendant plus mobiles. Globalement, il doit mieux assurer la sécurité des communautés dans les zones frontalières.

Sans cela, ces communautés penseront à leur sécurité en cherchant à se protéger avec des armes à feu.

Pour conclure au sujet de ces violences qui sévissent sur la ligne frontalière malo-nigérienne, on peut dire qu’il est souvent difficile de distinguer entre :
• les actes de banditisme,
• les vendettas locales
• et les attaques perpétrées par des groupes armés.

Reconnaissons que le Niger a montré par le passé sa capacité à apaiser des conflits très graves en alliant réponses politiques et sécuritaires. Plus récemment, les autorités nigériennes ont réussi à trouver un équilibre similaire pour limiter l’avance de Boko Haram dans la région de Diffa, dans le Sud-Est du pays. Le Niger a tout à gagner à rester sur cette voie et à explorer son propre modèle de gestion des conflits armés comme alternative aux limites actuelles de la militarisation à outrance.

Les autorités nigériennes semblent également soutenir des actions militaires visant à repousser et contenir l’essentiel des violences armées du côté malien de la frontière.

Pourvu que cette situation trouve rapidement une solution et ne prenne pas encore plus d’ampleur !

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