Tiani, Souverainiste au Sahel, Échec au Niger

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Tiani, Souverainiste au Sahel, Échec au Niger
Tiani, Souverainiste au Sahel, Échec au Niger

Mathieu Olivier

Africa-Press – Niger. Alors que les attaques jihadistes s’intensifient au Niger, le général Abdourahamane Tiani, qui a obtenu, à la fin de mars, un premier mandat de président, tente de maintenir l’illusion d’une reprise en main. Mais ses promesses sécuritaires s’effritent, minées par la défiance d’une partie de l’armée.

Une scintillante pluie d’étoiles s’abat sur le Niger. Rien à voir avec les habituels météores incandescents des Quadrantides, Perséides et Léonides observés chaque année en janvier, août et novembre. Ce 30 mai, c’est un général d’armée, lui-même quintuple étoilé depuis la fin de mars, qui fait pleuvoir les décorations en plein jour.

Par décret d’Abdourahamane Tiani, Salifou Mody, ministre de la Défense, devient à son tour général d’armée ; Mohamed Toumba et Moussa Salaou Barmou accèdent au rang de général de division ; Sani Mamane Kiaou et Amadou Bacharou Ibroh sont, eux, promus généraux de brigade.

Tous font partie du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), la junte qui a pris le pouvoir en juillet 2023 en déposant le président élu Mohamed Bazoum, toujours détenu à ce jour malgré de timides tentatives de médiation.

Les fragilités de Tiani

La date du 30 mai n’est pas anodine. Cinq jours plus tôt, une centaine de membres de l’État islamique ont pris d’assaut le camp d’Eknewan, dans la région de Tahoua, près du Mali. Bilan: au moins 58 soldats tués. Le 29 mai, une brigade a été visée par des combattants d’Al-Qaïda dans le district de Falmey, proche des frontières du Bénin et du Burkina Faso. Une quarantaine de militaires auraient trouvé la mort. Des hécatombes qui ont laissé des traces. Y compris pour Abdourahamane Tiani.

Le chef de l’État le sait: un militaire au pouvoir n’est jamais aussi fragile que lorsqu’il échoue à assurer la sécurité de son pays. Depuis son putsch, celui qui dirigea la Garde présidentielle de Mahamadou Issoufou puis celle de Mohamed Bazoum a multiplié les promesses. Il a dénoncé le rôle de tous ceux – les hommes politiques nigériens, les Occidentaux, la France, leurs complices… –, qui, selon lui, ont empêché les Forces armées nigériennes d’anéantir les jihadistes. Mais, sur le terrain, la progression des terroristes n’a pas été enrayée. Et le général est inquiet.

L’armée était en deuil, et ils se sont distribué des étoiles… »

Après l’attaque d’Eknewan, Moussa Salaou Barmou, le chef d’état-major des armées, a tapé du poing sur la table. Venu assister aux funérailles des soldats, il a été pris à partie par un jeune lieutenant, qui a fustigé le manque de moyens de l’armée. Barmou a quitté les lieux marqué par ces propos. Selon plusieurs sources, il n’avait pas décoléré à son retour à Niamey, et a même menacé de démissionner pour signifier son désaccord avec la politique de Salifou Mody et d’Abdourahamane Tiani.

Le coup de semonce n’a rien d’officiel. Non seulement Barmou n’est pas passé à l’acte, mais il a accepté d’être promu le 30 mai. Les scissions n’en sont pas moins réelles entre le chef d’état-major et Salifou Mody. « C’est Mody qui est censé être le véritable patron de l’armée. Mais il est complètement coupé de la base. Il n’a pas de stratégie », assure un ancien ministre. Ses déclarations du début de l’année, dans lesquelles il soutenait que le CNSP avait mis fin au « désordre sécuritaire » qui prévalait avant le putsch, sont restées dans toutes les mémoires.

« D’un côté, Mody dit que tout va mieux. De l’autre, il n’y a jamais eu autant de morts. Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas un sentiment d’incompréhension dans les casernes? », s’interroge une source diplomatique ouest-africaine.

Ces derniers mois, Moussa Salaou Barmou avait déjà brillé par son absence lors de plusieurs réunions du CNSP, tandis que Salifou Mody devenait la cible de la sourde colère de certains officiers. La séance de décorations du 30 mai n’a rien arrangé. « L’armée était en deuil, et ils se sont distribué des étoiles », déplore l’ancien ministre précité.

Abdourahamane Tiani n’est pas à l’abri des critiques. En janvier 2020, c’est lui qui avait discrètement plaidé auprès de Mahamadou Issoufou pour que Salifou Mody soit nommé chef d’état-major. À l’époque, le patron de la Garde présidentielle avait mis en avant l’expérience de ce général, qu’il jugeait le mieux à même de remplacer Ahmed Mohamed, limogé après les attaques jihadistes de Chinégodar et d’Inatès (au moins 160 morts). Depuis, les destins des deux hommes sont en quelque sorte liés.

Balla-Arabé et les dossiers « secrets »

À Niamey, Abdourahamane Tiani n’a pas déménagé. Il a nommé son successeur à la tête de la Garde présidentielle, Habibou Assoumane, mais n’a pas quitté son ancienne villa de fonction, située dans l’enceinte de la présidence, où Mohamed Bazoum est encore détenu. Le général y vit avec son épouse, Sabira Issa. Entouré d’un cercle restreint, il reçoit peu. Deux hommes – par ailleurs proches de Mahamadou Issoufou – ont eux aussi accès à sa tour d’ivoire: le colonel Boubacar Maidagi, son aide de camp, et Souleymane Balla-Arabé, placé à la tête de la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE) quelques jours après le coup d’État.

Ce fils d’un ancien chef d’état-major est la boussole du président. Si les services de renseignement nigériens ont perdu de leurs capacités techniques depuis que Niamey a rompu avec certains alliés occidentaux, ils peuvent encore, pour prendre le pouls du pays et identifier les menaces, compter sur des sources humaines infiltrées.

Passé par l’École de guerre de Paris et formé en Chine, Balla-Arabé informe quotidiennement Abdourahamane Tiani. Il fournit à ce dernier une rhétorique qui flatte ses oreilles: un complot ourdi par la France vise le Niger.

Ainsi, le 31 mai, au lendemain de la cérémonie de décoration des généraux, c’est sur la base de ses rapports que le chef de l’État se livre à une nouvelle charge télévisuelle contre Paris. Accusant la DGSE française de vouloir le renverser, il affirme détenir, grâce au « travail acharné de Balla-Arabé », des informations corroborant ses craintes.

Sous la pression du Niger, poursuit Abdourahamane Tiani, la DGSE s’apprête à déménager à Vincennes, à quelques kilomètres de son quartier général actuel – une information pourtant publique, qu’Emmanuel Macron avait annoncée en… 2021.

Face à lui, le journaliste de Télé Sahel ne bronche pas. Ce n’est pas son rôle: Abdoulaye Tiemogo a été nommé, au lendemain du coup d’État, conseiller spécial du patron du CNSP, chargé de la communication. Devenu l’homme des grands entretiens, il est à l’avant-garde de la stratégie souverainiste du général, autour duquel gravitent des figures telles que Kemi Seba – à qui l’on a offert un passeport nigérien et un poste de conseiller spécial en août 2024 – ou Nathalie Yamb, faite chevalière de l’Ordre des Palmes académiques en décembre 2023.

« La créature a pris son envol »

Avec des relais locaux tels que l’ancien candidat à la présidentielle Abdourahamane Oumarou, ces pourfendeurs de la France en Afrique alimentent la rhétorique de l’homme fort de Niamey. Celle-ci est pourtant relativement nouvelle chez lui. « Quand il était en poste, sous la présidence d’Issoufou ou celle de Bazoum, il ne tenait pas ce genre de discours », se souvient une source qui le côtoyait beaucoup à l’époque. « C’est plutôt Salifou Mody qui était dans cette posture. Il s’était rapproché des Maliens, et notamment de leur ministre de la Défense, Sadio Camara. C’est d’ailleurs pour cela qu’il avait été limogé quelques mois avant le putsch », précise un autre interlocuteur.

Tiani a vu le souverainisme comme une réponse à la condamnation du putsch par la France.

Abdourahamane Tiani a saisi la balle souverainiste au bond, influencé par la mobilisation citoyenne à Niamey, organisée par une partie de la société civile et de l’opposition, ainsi que par les membres les plus virulents du CNSP: Ibroh Amadou Bacharou, devenu chef d’état-major particulier, et Amadou Abdramane, porte-parole de la junte.

« Le discours de Mody a trouvé un écho chez Hama Amadou, qui était très influent à Niamey. Tiani a suivi. Il y a vu une réponse à la condamnation du putsch par la France », explique l’ancien ministre précité.

L’opposant et ex-Premier ministre Hama Amadou étant décédé en octobre 2024, et les partis politiques ayant été dissous en mars suivant, Tiani mène désormais seul, ou presque, son pays sur la voie qu’il partage avec ses voisins malien et burkinabè. Il n’a pas coupé les ponts avec l’ex-président Issoufou (proche d’Ibroh Amadou Bacharou, de Boubacar Maidagi ou encore de l’influent homme d’affaires Aboubacar Charfo), mais ne le consulte plus que rarement. « La créature a pris son envol », résume un ancien du palais.

Plaque tournante du panafricanisme

Tiani s’est récemment timidement rapproché des Américains et de l’Union européenne (UE). Mais, pour ses admirateurs, il est devenu le plus crédible des souverainistes sahéliens qui, comme lui, se maintiennent à Bamako et à Ouagadougou. « Il a fait plus vite qu’Assimi Goïta au Mali sans ouvrir complètement la porte à la Russie, et plus fort qu’Ibrahim Traoré au Burkina Faso, notamment dans la rupture avec la France ou la nationalisation de la filiale d’Orano [ex-Areva] », explique l’un de ses soutiens, qui assure que « Niamey devient la plaque tournante du panafricanisme ».

Outre Balla-Arabé, un homme murmure en ce sens à l’oreille d’Abdourahamane Tiani: Moumouni Farmo. Longtemps installé au Canada, de retour à Niamey où il a d’abord été nommé conseiller de l’actuel Premier ministre, Lamine Zeine, ce petit-fils du poète Boubou Hama est devenu ministre de l’Enseignement en avril. Professeur de philosophie dans les années 1980, comme Mohamed Bazoum, il a écrit plusieurs essais tels que Repenser la démocratie en Afrique. « Quand Tiani parle de l’histoire du Niger dans ses discours, c’est lui qui est derrière », explique un ancien proche de la présidence.

« Tiani n’est pas l’initiateur du virage souverainiste, mais il l’a endossé, ce qui lui permet d’avoir le soutien d’une partie de la société civile. Par opportunisme ou par conviction? Sans doute les deux », analyse notre diplomate ouest-africain. « La rhétorique et la dynamique de l’Alliance des États du Sahel [AES] avec le Mali et le Burkina Faso lui permettent de maintenir la tête hors de l’eau. Mais la junte est asphyxiée économiquement, en raison de la fermeture de la frontière avec le Bénin et de l’envenimement de sa relation avec la Chine. Or on ne peut pas demander indéfiniment à une population de se sacrifier », alerte une autre source diplomatique.

Cela fait deux ans qu’ils ont pris le pouvoir. Tout ça pour ça? »

Le 23 février 2025, Abdourahamane Tiani n’en arborait pas moins un rare sourire. Face à lui, paumes tournées vers le ciel, des habitants de Samira, dans la région de Tillabéri, prient pour la réussite de leurs projets. La junte ambitionne de relancer l’activité aurifère grâce aux activités de la Société des mines du Liptako. Mais dans cette zone « des trois frontières », non loin du Burkina Faso et du Mali, l’insécurité règne. Les jihadistes ont récemment attaqué le village tout proche de Libiri. Alors Tiani, accompagné de Mody et de Ibroh Amadou Bacharou, promet: la reconstruction, la sécurité, la prospérité.

Quelques semaines plus tôt, l’AES n’avait-elle pas annoncé le déploiement d’une force de 5 000 hommes dans cette zone? De retour à Niamey, Salifou Mody présente à la télévision les innovations de l’armée – des véhicules légers aux gilets pare-balles –, tandis que Mohamed Toumba, ministre de l’Intérieur, est chargé de trouver de nouvelles filières d’achat d’armes. « Tout ça pour ça? Il y a déjà deux ans qu’ils ont pris le pouvoir en expliquant qu’ils renversaient Bazoum pour donner à l’armée les moyens de réussir », déplore un ancien opposant.

De nouvelles attaques sont venues rappeler la gravité de la situation aux étoilés de Niamey. Le 19 juin, 34 soldats ont été tués lors d’une offensive jihadiste contre Banibangou. Le lendemain, vers 20 heures, des membres de l’État islamique ont attaqué Manda, dans la même région de Tillabéri. Au moins 71 civils ont été assassinés alors qu’ils priaient à la mosquée.

Quatre jours plus tard, non loin de là, 28 personnes vivant dans les environs de Bankilaré étaient à leur tour assassinées. À quelques dizaines de kilomètres de Samira et de ses espoirs aurifères, les promesses d’Abdourahamane Tiani appartiennent peut-être déjà au passé.

Source: JeuneAfrique

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