Aurélie M’Bida
Africa-Press – Niger. Dans un monde en pleine recomposition, il est des silences assourdissants mais aussi des polyphonies inaudibles. Tandis que les États-Unis se replient sur eux-mêmes, que la Chine consolide ses positions et que les économies émergentes rebattent les cartes, l’Europe donne l’impression d’hésiter. Ni puissance militaire assumée ni modèle politique envié, et sans soft power unifié, elle avance en ordre dispersé, spectatrice de la confrontation sino-américaine et marginalisée dans les débats de fond sur la gouvernance mondiale.
Faute d’un cap diplomatique et économique clair, elle risque de sortir de l’histoire qui s’écrit – notamment en Afrique où elle prétend encore jouer le rôle de partenaire principal, mais où les valeurs qu’elle promeut perdent de leur consistance face à celles de concurrents aux intentions plus lisibles.
« Travel ban » de Trump
L’Afrique, elle, n’attend plus. Elle choisit. Refoule. Renégocie. Et constate que les États-Unis de Donald Trump, dans leur second virage protectionniste, referment un à un les canaux de coopération. Derniers exemples en date: la promesse d’un « travel ban » élargi, y compris à des pays d’Afrique subsaharienne, l’annonce d’un désengagement programmé de certaines aides économiques, ou encore la volonté d’appliquer aux exportations africaines des droits de douane fortement pénalisants.
À l’inverse, la Chine continue à investir. Silencieusement. Avec constance. Routes, barrages, ports, contrats miniers ou agricoles… Projet après projet, elle consolide son influence sur le continent. Elle commerce, aussi, en promettant d’exonérer de taxes douanières les produits africains. Selon le Boston University Global Development Policy Center, la Chine a accordé 1 306 prêts d’une valeur supérieure à 180 milliards de dollars à 49 pays africains, entre 2000 et 2023.
Et l’Europe dans tout cela? Elle parle de « reset », de « redesign », de « partenariats entre égaux ». Elle multiplie les sommets, les forums, les initiatives. Mais ses signaux restent faibles, comme englués dans l’image coloniale qui lui colle encore trop souvent à la peau: celle d’une Europe qui n’a pas su – ou pas voulu – refonder sa relation avec le continent.
L’Afrique ne demande pas de nouvelles conférences, mais du concret.
Ainsi, le Global Gateway, doté de 300 milliards d’euros pour contrer l’influence de la Chine et des États-Unis dans les pays du Sud, prévoit de flécher 150 milliards vers l’Afrique d’ici à 2027. Or la Banque européenne d’investissement ne décaisse ces sommes qu’avec lenteur. À la fin de 2023, à peine 20 % de ces engagements s’étaient concrétisés en projets signés. Seul un câble (Medusa) a été tiré entre l’Union européenne et l’Afrique du Nord…
L’UE a les cartes en main
Pourtant, l’Afrique ne demande pas de nouvelles conférences, mais des contrats, des co-investissements, des transferts de savoir-faire. Elle cherche des partenaires pour combler ses besoins dans les domaines de l’industrialisation, de l’autonomie énergétique, de la digitalisation, de la santé. Elle veut imposer ses conditions: accès aux chaînes de valeur mondiales, création d’emplois locaux, instauration d’une fiscalité plus juste et d’une gouvernance co-construite. Pour rappel, le déficit annuel en investissements dans les infrastructures africaines dépasse 150 milliards de dollars.
Le paradoxe, c’est que l’Europe, grâce à son ancrage historique et culturel, a toutes les cartes en main. Elle reste le premier bailleur d’aides publiques au développement (plus de 40 % de l’aide mondiale) et, grâce à un stock de plus de 200 milliards d’euros, le premier investisseur direct étranger sur le continent.
Le Vieux continent ne peut plus se contenter de « vendre » sa proximité historique ou ses valeurs. Il doit « acheter » sa place dans la nouvelle architecture économique mondiale. S’il ne s’adapte pas, il se fera doubler sur le terrain économique. Déjà, les Émirats, la Turquie, l’Inde ou la Russie occupent les espaces laissés vacants.
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