Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Niger. Le président tchadien, le Maréchal Mahamat Idriss Deby, a achevé le jeudi 7 août 2025 la visite de 48 heures entamée deux jours avant au Niger, dans le cadre d’une visite d’amitié et de travail dont l’objectif était de renforcer la coopération entre N’Djamena et Niamey, un partenariat que les deux pays frères et voisins considèrent comme stratégique, marquant ainsi un moment fort dans les relations bilatérales entre les deux Etats membres de l’AES.
Au cours de son séjour, le président Deby a eu un tête-à-tête avec son homologue nigérien, Abdourahamane Tiani, ainsi qu’une séance de travail élargie aux deux délégations respectives, lors desquels le Chef de l’Etat tchadien a réaffirmé la solidarité indéfectible de son pays envers le Niger, insistant sur les liens historiques, géographiques et culturels qui unissent les deux peuples.
Evoquant les mutations survenant dans le monde, Mahamat Idriss Deby a plaidé pour une coopération renforcée et adaptée aux réalités actuelles, face aux menaces communes, à savoir:
• le terrorisme,
• la criminalité transfrontalière,
• le changement climatique ou encore la précarité.
Par ailleurs, conscient des défis que traverse son voisin le Niger dans les domaines politique, sécuritaire et socio-économiques, le président tchadien a exprimé son soutien sans réserve: « Le Tchad ne vient pas juger, mais écouter, échanger et tendre la main, car dans les épreuves, le soutien des frères est essentiel », saluant en cette occasion la maturité politique du peuple nigérien.
Il a souligné également: « Nous partageons une frontière vivante de 1.175 km, non pas comme une ligne de séparation, mais comme une veine commune où circulent peuples, cultures, espoirs et défis ».
• Retour sur le « tête à tête » Mahamat Deby / Abdourahamane Tiani
La visite du président tchadien au Niger peut être interprétée sous plusieurs angles, notamment à la lumière des évolutions politiques et sécuritaires dans la région et du rôle de médiateur du Tchad dans de nombreuses crises régionales.
L’analyse de cette visite prend en compte plusieurs facteurs.
1. Renforcement de la coopération bilatérale qui reste l’option la plus probable:
-/- Contexte régional d’instabilité
Le Niger et le Tchad sont tous deux confrontés à des menaces sécurités majeures de la part de groupes armés extrémistes, c’est pourquoi une coopération militaire et sécuritaire renforcée est une nécessité vitale pour la survie des deux nations.
La visite a très certainement porté en priorité sur la coordination des efforts contre le terrorisme, surtout après le retrait des troupes françaises et américaines du Niger.
-/- Solidarité de régimes militaires
Il faut l’avouer, le maréchal Mahamat Idriss Deby et le général Abdourahamane Tiani dirigent tous deux des régimes nés de coups d’État et font face à une pression internationale similaire, et les deux partagent une méfiance croissante envers les partenaires traditionnels (en particulier la France) et une volonté affichée de souveraineté.
Cette visite consolide réellement un axe « des régimes de transition » qui cherchent une nouvelle voie à leur avenir politique.
-/- Dynamique de leadership régional
Dans ce contexte, on relève que le Tchad, avec sa puissante armée, aspire à un rôle de leader et de stabilisateur dans la région, et Mahamat Idriss Deby cherche à établir son pays comme une « puissance pivot incontournable », capable de mener une diplomatie indépendante, agir en médiateur ou en tant que facilitateur entre ses voisins.
-/- Économie et corridors commerciaux
Avec la fermeture des frontières du Niger avec le Bénin et le Nigeria (tous deux membres de la CEDEAO), le Tchad devient un partenaire commercial et logistique encore plus crucial pour le Niger. Les discussions ont certainement porté sur la facilitation des échanges et la sécurisation des routes.
2. L’option la moins probable dans l’immédiat pour le Tchad, c’est d’être « Parrain de la normalisation avec la France »
En effet, selon les observateurs et les experts des affaires africaines, cette hypothèse est moins crédible pour plusieurs raisons:
-/- Pour le Niger
Le régime nigérien a ancré son discours et sa légitimité populaire sur le rejet de l’influence française et le souverainisme. Toute ouverture vers la France à ce stade serait perçue comme une trahison et affaiblirait considérablement le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).
-/- Position de la France
Le pays de l’Hexagone avait officiellement reconnu la fin de son partenariat militaire avec le Niger et retiré ses troupes. Elle n’affiche pas, pour le moment, une volonté de renouer des liens avec un régime qu’elle ne reconnaît pas pleinement.
-/- Les risques pour Mahamat Deby
S’il apparaissait comme un « ambassadeur » de la France, Mahamat Deby perdrait sa crédibilité auprès des autres juntes sahéliennes du Mali et du Burkina Faso, et auprès d’une partie de sa population.
C’est pourquoi « son intérêt est de jouer sa propre carte, et non pas celle de la France », car le président tchadien se positionne moins comme le « parrain » d’une normalisation avec la France que comme le pilier d’une nouvelle architecture régionale où les pays sahéliens tentent de trouver des solutions par eux-mêmes, avec de nouveaux partenaires (comme la Russie ou la Turquie) et en priorisant leurs intérêts immédiats.
3. Une tendance nette vers le renforcement bilatéral
La visite du président tchadien reflète avant tout une tendance au renforcement de la coopération bilatérale, loin des influences extérieures.
L’objectif principal est donc de créer un axe de stabilité et de coopération sécuritaire entre deux pays confrontés aux mêmes défis, et qui ne peuvent plus compter sur le même niveau de soutien occidental.
Cependant, il faut reconnaître que la diplomatie est plutôt un jeu d’échelles. À long terme, le Tchad, qui entretient encore des relations avec la France, pourrait finalement jouer un rôle de canal de communication discret si les positions devaient un jour s’assouplir.
Néanmoins, ce n’est clairement pas l’objectif affiché ou prioritaire de cette visite spécifique.
• Entre Président et Diaspora
Il importe de noter entre-autres, qu’au dernier jour de sa visite au Niger, Mahamat Idriss Deby a pu rencontrer, dans la matinée du jeudi 7 août, la communauté tchadienne au Niger, quelques instants avant de quitter Niamey, évoquant plusieurs sujets relatifs à la vie de la Nation, notamment la paix, la santé et la sécurité, tout en leur rappelant que leur pays a traversé des moments difficiles, connus de tous, et que « grâce à Dieu, après la disparition d’Idriss Deby Itno, un Dialogue National Inclusif avait été organisé, suivi d’élections libres et transparentes ».
« C’est une communauté courageuse, exemplaire et pleinement engagée dans votre vision d’un Etat uni et solidaire, que je constate avec fierté », a-t-il indiqué, « Ce qui témoigne de notre volonté commune de faire avancer le pays, et de l’engagement fort de la diaspora tchadienne », a-t-il ajouté, exprimant sa détermination de travailler pour l’intérêt supérieur de la Nation.
« Nous sommes nés Tchadiens et nous le resterons. Pour faire avancer notre pays, nous devons rester toujours unis et solidaires », a-t-il déclaré, en soulignant que les Tchadiens rejettent, désormais, toute forme d’imposition ou de manipulation venant de l’extérieur.
« C’est pourquoi, je vous appelle à respecter les lois et règlements de votre pays d’accueil, tout en restant des ambassadeurs dignes de notre patrie », a insisté le Maréchal Deby.
• Contexte et importance de la visite de Deby
Cette visite d’État, survenue un an après la mise en place des nouvelles institutions au Niger suite à la transition, a revêtu une importance stratégique majeure pour la stabilité et l’intégration régionale dans l’espace Sahelo-Sahélien lui-même.
Trois facteurs majeurs ont été au-dessus de tous les sujets abordés entre les deux Chefs d’Etat et les deux délégations qui ont tenu des séances de travail bilatéral:
a) Renforcement des liens historiques
Il importe de rappeler que le Tchad et le Niger partagent une longue frontière, des populations ethniques communes (notamment Toubou, Zaghawa, Kanuri) et des défis sécuritaires similaires.
b) Solidarité régionale post-transition
A noter que le Tchad, lui-même en transition, a maintenu des relations pragmatiques avec son voisin le Niger, notamment après la prise de pouvoir par le CNSP en juillet 2023. On peut donc dire que la visite effectuée au mois d’août 2025 visait à consolider cette relation bilatérale en dehors des cadres institutionnels régionaux, tels que la CEDEAO et l’Union Africaine qui avaient initialement condamné le changement de pouvoir dans ces deux pays.
c) Environnement géopolitique volatile
Toutefois, Niamey et N’Djamena ont cherché à définir une position commune et à renforcer leur autonomie sécuritaire, notamment à la suite du retrait des forces françaises et occidentales de la région et à la montée en puissance de l’influence russe à travers son groupe Africa Corps / ex-Wagner, et de l’influence turque.
• Une rencontre au Sommet entre Deby et Tiani
Les échanges en tête à tête, entre le président Mahamat Deby et son homologue nigérien, Abdourahamane Tiani, ou entre les délégations des deux pays, ont été décrits comme « fraternels », « francs » et « orientés vers des solutions concrètes ».
Les deux dirigeants ont insisté sur la souveraineté partagée et la nécessité de solutions africaines aux problèmes africains, et leurs discussions ont porté principalement sur:
-/- La coopération sécuritaire et la lutte contre le terrorisme,
-/- Le renforcement des économies face aux sanctions économiques (pour le Niger) et aux défis structurels,
-/- Les questions frontalières et la libre circulation des personnes et des biens,
-/- La position commune sur les scènes régionales (Alliance des États du Sahel – AES, CEEAC, ou encore la rupture avec la CEDEAO).
• Décisions prises et accords conclus
Plusieurs protocoles d’accord et décisions concrètes ont émergé de cette visite, touchant à plusieurs domaines clés, comme suite:
a) Sécuritaire et Défense
Accord pour lancer une nouvelle opération militaire conjointe bilatérale le long de la frontière commune, considérée comme étant une zone refuge pour les groupes armés liés à Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, et à Daech dans le Grand Sahara à l’ouest.
b) Partage de renseignements
Un accord a été signé pour la mise en place d’un mécanisme permanent et intégré de partage de renseignements « en temps réel » entre les armées et les services de renseignement des deux pays.
c) Formation et équipement
Engagement bilatéral à mutualiser certaines formations et à coordonner les demandes d’équipement auprès de partenaires communs.
• Au niveau économique et commercial
A ce niveau important pour les deux pays, un accord a été conclu pour faciliter et sécuriser le corridor commercial N’Djamena (Tchad) – Diffa – Zinder – Niamey (Niger), noyau vital pour les approvisionnements du Tchad qui dépend en partie du port de Cotonou (Bénin) via le Niger.
Par ailleurs, de solides discussions ont été tenues sur la possibilité pour le Niger d’exporter son pétrole brut via le pipeline Tchad-Cameroun, une alternative stratégique face à la fermeture de la frontière avec le Bénin. Des études de faisabilité ont été recommandées.
De même, une décision a été prise pour formaliser et fiscaliser le commerce transfrontalier informel dans l’objectif de booster les revenus des deux États.
• Du point de vue social et culturel
Un accord de coopération a été signé pour renforcer les capacités des centres de santé frontaliers et faciliter l’accès des populations à l’éducation, y compris les échanges universitaires, et les bourses d’études.
Entre-autres, un engagement a été pris pour simplifier les procédures aux postes frontières pour les citoyens des deux pays, en travaillant vers la mise en place d’une carte d’identité biométrique reconnue mutuellement pour la circulation.
• A l’échelle continentale et internationale
Un message clair a été adressé aux anciens partenaires (France/Europe/États-Unis): « les États sahéliens s’organisent entre eux pour assurer leur propre sécurité et leur propre développement, avec ou sans l’Occident.
Un autre message a été adressé quant à lui aux nouveaux partenaires (Russie, Turquie): « La coopération bilatérale TCHAD – NIGER renforcée permet aux deux pays d’aborder ces partenaires à partir d’une position de force et de coordination légèrement supérieure, plutôt que comme des acteurs isolés.
Nous terminons ce dossier avec une idée sur les défis et perspectives visant les deux pays.
A propos des défis financiers, il n’échappe pas aux observateurs et experts des affaires africaines qu’une mise en œuvre des accords (opérations militaires, infrastructures) nécessite bien des fonds que « ni le Tchad et ni le Niger ne possèdent en abondance ».
C’est pourquoi les deux pays devront trouver des financements internes ou auprès de nouveaux partenaires.
Il faut rappeler également que les deux pays sont en période de transition, et que la pérennité de ces accords pourrait dépendre de l’évolution de la situation politique interne à moyen terme, sans oublier que la menace terroriste est profondément enracinée et ne sera pas réglée par une seule opération militaire, aussi conjointe soit-elle.
Une approche inclusive combinant développement et sécurité reste nécessaire.
La visite du président Mahamat Idriss Deby au Niger en août 2025, n’a pas été une simple formalité diplomatique, bien au contraire, elle a acté la naissance d’un partenariat stratégique approfondi entre les deux pays, destiné à faire face ensemble aux immenses défis sécuritaires, économiques et géopolitiques de la région.
C’est un pas significatif vers une intégration régionale concrète, pilotée localement, qui pourrait redéfinir la carte des alliances dans le Sahel pour les années à venir.
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