Nick O’Donohue (BII) : « Nous investissons plus en Afrique que nos pairs »

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Nick O’Donohue (BII) : « Nous investissons plus en Afrique que nos pairs »
Nick O’Donohue (BII) : « Nous investissons plus en Afrique que nos pairs »

Africa-Press – Niger. Avec près de 7,5 milliards de livres sterling (8,5 milliards d’euros) d’actifs, investis en grande partie sur le continent, British International Investment (ex-CDC Group) est l’une des plus puissantes et des plus anciennes institutions de financement développement dévolues au secteur privé sur le continent.

Trois ans après notre dernière grande interview avec son directeur général, Nick O’Donohoe, aux premières semaines de la crise du Covid-19, l’environnement financier et économique international comme africain reste en émoi. La relance anticipée sur le continent après la crise sanitaire a été profondément compromise par les crises géopolitiques, inflationnistes, budgétaires et les tensions sur les principales devises africaines.

Plus largement, le rôle et les missions des institutions de développement sont l’objet de nouvelles interrogations, qu’il s’agisse de leurs priorités (énergie, climat, industrie), de l’efficacité de leurs interventions et de leur liberté d’action dans une configuration géopolitique particulièrement fracturée.

Sur l’ensemble de ces questions et un an après le changement de dénomination de l’institution, acté par Londres en avril 2022, le financier britannique aux commandes depuis 2017, a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Les marchés financiers internationaux connaissent de fortes perturbations. La hausse continue des taux d’intérêt met en difficulté les marchés obligataires, tandis que la volatilité accrue de la Bourse pèse sur la valorisation des investissements directs. Tout cela dans un contexte d’instabilité macroéconomique et d’inflation élevée dans de nombreux pays africains. Comment cela affecte-t-il les opérations de British International Investment ?

Nick O’Donohoe : Lorsque le risque augmente, les gens tendent naturellement à se détourner des endroits les plus éloignés, ceux qu’ils connaissent le moins. Ces retraits de fonds peuvent réellement pénaliser les pays africains, dont la plupart ne disposent pas de marchés de capitaux développés.

Mais le travail d’une institution de financement du développement consiste à investir tout au long des cycles, sans se laisser distraire par les bouleversements à court terme. Au cours des trois dernières années, nous avons maintenu un rythme d’investissement stable sur l’ensemble de nos marchés, soit environ 1,5 milliard de livres sterling par an en moyenne, ce qui correspond à nos prévisions. Notre boulot est d’aller de l’avant, même lorsque d’autres battent en retraite.

Il faut cependant être réaliste sur la situation à court terme de l’Afrique, qui demeure difficile. La question la plus urgente est l’instabilité macroéconomique, qui découle d’emprunts excessifs dans certains pays – motivés par des prévisions de croissance peut-être trop optimistes – et de la guerre en Ukraine. Cette dernière a causé beaucoup de pressions sur les prix de l’énergie et des denrées alimentaires, à un moment où les budgets publics se trouvent déjà sous pression.

En outre, presque tous nos principaux pays d’investissement en Afrique (Kenya, Nigeria, Éthiopie, Égypte, Ghana et Zambie) sont en négociation avec le FMI. Nombre d’entre eux sont confrontés à des taux de change artificiellement survalorisés, ce qui rend les investissements étrangers particulièrement difficiles.

Que pouvez-vous nous dire sur vos activités et vos résultats financiers en 2022 ?

Nous publierons nos résultats financiers le mois prochain. Je peux vous dire que, à certains égards, l’année a été difficile. Les changements d’évaluation dus à la hausse des taux d’intérêt et au reflux des marchés financiers vont affecter notre résultat. Mais dans notre cas, l’impact a été quelque peu compensé par l’appréciation du dollar américain [monnaie dans laquelle BII investit] par rapport à la livre sterling [dans laquelle ses résultats sont comptabilisés].

Quoi qu’il en soit, nous sommes très satisfaits de notre portefeuille d »investissements, car nous n’avons pas eu de problèmes significatifs en termes de défaillances.

Ces difficultés retarderont-elles la mise en œuvre de la stratégie 2022-2026 ?

Il est important de continuer à investir à travers les cycles économiques. Dans notre nouvelle stratégie, les domaines clés sont la finance climat et les infrastructures. En 2021, l’Afrique représentait environ 57 % de notre portefeuille d’investissements et 72 % de nos engagements se situent sur le continent. Et je ne vois pas cela changer.

Nous soutenons l’accès à l’énergie en Afrique, où 700 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité, tout en contribuant à la transition vers une économie verte.

Les défis budgétaires auxquels sont confrontés de nombreux gouvernements africains les inciteront à se tourner davantage vers le secteur privé, en multipliant les partenariats public-privé (PPP) par exemple. En tant qu’investisseur qui apporte son soutien et ses ressources au secteur privé, nous voyons-là des opportunités de nous impliquer davantage. Il y a également plus d’opportunités pour les PPP dans la distribution et le traitement de l’eau, comme l’illustre notre récente joint-venture avec Metito, au Rwanda, qui fournira 25 % de l’eau à Kigali.

La sécurité alimentaire représente un autre enjeu majeur. Une quinzaine des 36 pays qui importent plus de la moitié de leur blé de Russie ou d’Ukraine se trouvent en Afrique. Il faut davantage d’engrais, d’intrants agricoles et de transformation des aliments.

Nous sommes également en phase avec le programme de transformation numérique de l’Union africaine. Nous avons réalisé un très gros investissement dans Liquid Telecom, qui construit des réseaux de fibre optique dans toute l’Afrique. Nous faisons également partie du consortium de Safaricom qui a obtenu une licence de téléphonie mobile en Éthiopie. Il s’agit d’un engagement de 220 millions de dollars de notre part, qui est d’une importance vitale pour fournir un accès internet à des dizaines de millions de personnes en Éthiopie. Nous soutenons également les jeunes entrepreneurs et il est encourageant de voir l’écosystème du capital-risque et des investissements précoces se développer à Lagos et à Nairobi.

LES PROJETS AU CHARBON ET À L’ÉLECTRICITÉ AU FIOUL LOURD SONT CLAIREMENT BANNIS PAR NOTRE POLITIQUE D’INVESTISSEMENT

Nous essayons de soutenir l’entrepreneuriat féminin et les groupes marginalisés. Et grâce à notre nouvelle initiative BOLD Investment, nous encourageons à augmenter la représentation des entreprises détenues et dirigées par des Noirs africains dans notre portefeuille au sud du Sahara.

Il y a eu des controverses récemment sur le type de projets énergétiques que les institutions de développement devraient soutenir. Ainsi que sur la manière dont ils s’accordent avec les réalités et les priorités des pays africains. Quelle est votre position sur ces questions ?

Les projets au charbon et à l’électricité au fioul lourd sont clairement bannis par notre politique d’investissement.

Nous avons réalisé des investissements importants et continuerons à le faire pour soutenir le développement des énergies renouvelables (éolienne, solaire, géothermique ou hydraulique). Et ce afin de garantir la transition vers une économie plus verte et de progresser dans la fourniture d’électricité.

NOUS N’EXCLUONS PAS LES PROJETS GAZIERS EN TANT QUE COMBUSTIBLE DE TRANSITION

La question la plus controversée est celle du gaz, une ressource que de nombreux pays africains possèdent en abondance et qu’ils souhaitent utiliser pour améliorer l’accès à l’énergie. Notre position, qui est conforme à la politique du gouvernement britannique, est la suivante : nous n’excluons pas les projets gaziers, mais nous ne les soutiendrons que s’il participe d’un chemin clair vers la transition énergétique.

Certaines organisations internationales de développement ont-elles complètement renoncé aux projets gaziers ?

Et je le comprends. Nous soutenons le gaz uniquement en tant que combustible de transition. Le meilleur exemple est le projet gazier de Temane que nous secondons au Mozambique. Il s’agit d’une centrale de 400 MW dans un pays où 70 % de la population n’a pas accès à l’électricité.

Cela ne nous pose aucun problème, car nous pensons que le Mozambique s’est clairement engagé à atteindre l’objectif de « zéro émission nette ». Et ce projet a manifestement été réalisé de manière à favoriser la transition vers l’abandon du gaz. Parallèlement, nous soutenons par exemple le projet solaire de 20 MW à Cuamba, qui vise à fournir de l’énergie propre à 18 000 ménages au Mozambique.

Notre position consiste à examiner la situation globale en matière d’accès à l’électricité, en tenant compte des ressources et des besoins de ces pays. Par exemple, l’Afrique a un besoin énorme d’infrastructures de transmission d’électricité. Il faut suffisamment d’énergie pour soutenir le système de transmission, ce qui signifie une énergie de base [baseload] soutenue plutôt qu’intermittente. Nous essayons de trouver le bon équilibre.

Les projets d’infrastructures sont une chose, mais BII a investi environ 250 millions de dollars pour accompagner plusieurs groupes agro-industriels sur le continent (ETG, DAL Group et AgDevCo) afin, selon votre institution, de « soutenir l’approvisionnement alimentaire en Afrique ». La sécurité alimentaire est-elle vraiment un secteur pertinent pour des institutions de financement du développement (IFD) ?

Il y a clairement des choses que les IFD ne font pas, comme financer les industries extractives, parce qu’il n’y a pas de réel besoin de notre argent dans ce secteur.

Si la question pour les IFD est : soutenez-vous des projets qui ne se produiraient pas sans votre participation ? Il est plus facile de répondre à cette question en Afrique qu’en Asie du Sud ou en Inde. Les pays d’Afrique subsaharienne – à l’exception de l’Afrique du Sud – ne disposent pas de marchés de capitaux développés et ne possèdent pas des réserves d’épargne (fonds de pension, compagnies d’assurance…) que dans les pays développés nous tenons pour acquis comme source d’apports de capitaux.

La finance du développement est absolument essentielle pour combler cette lacune sur le continent. Nous avons l’obligation d’apporter de « l’additionnalité » dans chaque investissement que nous faisons. Mais ce n’est pas aussi simple que de dire : « Nous ne financerons que des projets que personne d’autre ne veut financer. »

Il faut se demander si d’autres personnes les financeraient avec la même maturité de financement ? En apportant un capital patient, de long terme, sous la forme d’investissements en fonds propres ? En respectant les mêmes normes environnementales, sociales et de gouvernance ? Et les exigences en matière d’intégrité ?

Tous ces facteurs doivent être pris en compte. Et c’est ce qui différencie les institutions occidentales de financement du développement non seulement des investisseurs commerciaux, mais aussi des financements proposés par des pays comme la Chine.

Vous avez mentionné l’« additionnalité » comme une composante essentielle de votre stratégie. Mais il y a aussi la question de la rentabilité. Comment ces éléments sont-ils pris en compte par BII, par rapport à des objectifs purement développementaux, par exemple ?

Notre gouvernement attend de nous que nous préservions le capital et nous sommes tenus de respecter un seuil de rendement historique de 2 %. Au cours des dix dernières années, ce retour sur investissement a probablement été plus proche de 5 %.

EN AFRIQUE, LES RENDEMENTS N’ONT PAS ÉTÉ SUFFISANTS POUR COMPENSER LES RISQUES.

Si vous tenez compte de la composition de notre portefeuille en Afrique [37 % d’investissements en actions, 24 % en fonds et 29 % en dette en décembre 2021], il est clair qu’ajusté au risque, ce taux de rendement n’est pas très élevé. C’est l’une des raisons pour lesquelles les investisseurs commerciaux continuent d’être réticents à investir en Afrique, parce que les rendements n’ont pas été suffisants pour compenser les risques. Surtout lorsqu’ils considèrent les rendements qu’ils pourraient obtenir sur les marchés américains ou britanniques.

Nous essayons donc de maximiser notre impact sur le développement tout en atteignant notre rendement minimum. Chaque décision d’investissement est basée sur un double processus : d’une part, sur la diligence financière et d’autre part, sur une perspective de développement.

EN GÉNÉRAL, NOUS N’INVESTISSONS PAS EN-DESSOUS D’UN SEUIL DE 20 MILLIONS DE DOLLARS

D’un côté, il faut se demander, quelles sont les perspectives de l’entreprise et celles du secteur ? Quelles sont les marges de croissance, la qualité des équipes de gestion et des plans financiers, etc. ?

D’un autre côté, il faut s’interroger sur le nombre de vies qui vont être changées, sur la profondeur de l’impact que cet investissement aura, et comment il s’accorde avec les objectifs de développement durable. Nous essayons de maximiser cet impact tout en atteignant nos objectifs de rendement.

Au vu de la crise du Covid-19, avec ses restrictions de déplacements, puis des bouleversements des marchés financiers et les questions macroéconomiques qui ont suivi, comment votre capacité à trouver et à sélectionner des projets en Afrique a-t-elle évolué ?

Si l’on considère notre « univers investissable », au cours des cinq dernières années, le nombre de projets que nous voyons a augmenté. Cela s’explique par le fait que nous sommes aujourd’hui une entreprise plus grande et mieux connue, avec des personnes sur le terrain à Lagos, Nairobi, Johannesburg, Le Caire, etc.

Mais il y a de nombreuses questions pratiques dont il faut tenir compte. Nous sommes une structure appartenant au gouvernement britannique. Nous nous fixons des normes très strictes au niveau de l’intégrité commerciale et de l’identité de nos partenaires. Cela élimine certains projets.

Par ailleurs, il est inhabituel pour nous de descendre en-dessous de 20 millions de dollars pour un investissement direct. En raison notamment de la fragmentation de l’Afrique, de nombreux projets qui nous parviennent sont moins « investissables » que cela l’est en Inde ou au Pakistan, par comparaison. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons recours à nos fonds spécialisés et que nous apportons notre soutien aux banques pour soutenir ces petits projets.

NOTRE NOUVEAU NOM OFFRE PLUS D’IMPACT, PLUS DE GRAVITÉ ET PLUS D’AMPLITUDE

Enfin, il y a le cas de projets dont le financement peut être difficile à soutenir du point de vue du développement. Au Royaume-Uni, l’opinion publique estime que la santé et l’éducation devraient librement accessibles. Il est possible d’argumenter que le secteur privé a un rôle à jouer dans ces secteurs, mais les institutions de financement du développement qui investissent l’argent des contribuables doivent respecter la culture du pays qui fournit le financement.

Un an s’est écoulé depuis le changement de nom – de CDC Group à British International Investment. À l’époque, l’institution avait déclaré que cela mettait en évidence votre « rôle essentiel dans le cadre de l’offre de financement international du gouvernement britannique ». Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Et qu’est-ce qui a changé depuis ?

Si l’on examine presque toutes les autres IFD, on peut identifier assez rapidement de quel pays elles proviennent. CDC était évidemment un nom connu, mais il n’y avait rien dans cette désignation qui indiquait qu’il s’agissait de l’argent des contribuables britanniques.

Le Royaume-Uni intervient pour soutenir une prospérité globale accrue, directement et par l’intermédiaire d’organisations multilatérales. Nous sommes une partie visible de l’offre de développement du pays, et il est juste qu’elle soit identifiée par le nom « British ». Son introduction dans notre dénomination était notre idée, soutenue par le gouvernement.

Par ailleurs, nous avions le sentiment que la marque CDC était un peu fatiguée, démodée. Le changement a donné à l’institution plus d’impact, plus de gravité et plus d’amplitude. De notre point de vue, c’est une très bonne chose.

Cependant, le changement de nom ne signifie pas que, tout d’un coup, nous allons nous dévier d’un mandat de développement à un mandat plus géopolitique. Nous sommes toujours l’institution de financement du développement du Royaume-Uni. Nous avons mis en place un processus décisionnel très solide en matière d’investissement, alignés sur les projets les plus porteurs de développement.

Nous continuons à aller dans les régions les plus compliqués et les pays les plus en difficulté. La part des investissements de British International Investment en Afrique est plus élevée que celle des institutions de financement du développement comparables. Cela n’a pas changé.

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