Olivier de Souza
Africa-Press – Niger. Au début de l’année 2025, beaucoup s’attendaient à un bras de fer entre Niamey et la China National Petroleum Corporation Niger Petroleum (CNPCNP), à l’image des tensions observées dans les secteurs miniers du Burkina Faso ou du Mali. Après l’expulsion de cadres chinois et les exigences de Niamey pour une application stricte des règles sur le contenu local, une confrontation semblait inévitable. Pourtant, malgré ces signaux, l’exploitation et les exportations pétrolières se poursuivent sans interruption, générant plus de 2 milliards de dollars de revenus.
Fin octobre, le calme reste de mise, même si des discussions se poursuivent en coulisses. Reste à comprendre pourquoi Niamey évite pour l’instant l’affrontement direct avec son partenaire chinois, alors même que les enjeux sont considérables.
Ces dernières années, les membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) ont adopté des positions plus fermes vis-à-vis de leurs partenaires étrangers, notamment dans les secteurs extractifs. Le Burkina Faso a nationalisé certaines mines industrielles d’or et relevé la part de l’État dans les nouveaux projets. De son côté, le Mali a adopté une législation renforçant la souveraineté nationale sur les ressources, permettant à l’État et aux investisseurs locaux de détenir jusqu’à 35 % du capital des sociétés minières.
Une prudence dictée par la dépendance pétrolière
Cette attitude prudente s’explique avant tout par la forte dépendance économique du Niger à la rente pétrolière. En avril 2024, la CNPC a accordé à Niamey une avance de 400 millions de dollars sur les ventes de brut, remboursable sur douze mois, pour financer la sécurité, l’agriculture et la santé. Une bouffée d’oxygène pour un pays encore fragilisé par les sanctions de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) après le coup d’État de juillet 2023.
Selon la Banque mondiale, l’économie nigérienne a progressé de 8,4 % en 2024, contre 2 % en 2023, une croissance tirée par le démarrage des exportations à grande échelle. Maintenir le flux d’exportations est crucial pour les finances publiques, le paiement des salaires et le financement des services essentiels.
De plus, la CNPCNP détient 65 % du champ d’Agadem et a investi plus de 5 milliards de dollars pour développer le périmètre, construire les infrastructures associées et le pipeline de 1 950 km jusqu’à Cotonou. Ce pipeline, stratégique pour le Niger, offre un accès direct à la mer et aux marchés internationaux. Mais, contrôlées depuis Pékin, ces infrastructures reposant sur des technologies difficilement maîtrisables localement, limitent la marge de manœuvre de Niamey. La raffinerie de la SORAZ, essentielle pour la consommation nationale, en constitue un exemple, puisqu’elle est également sous gestion chinoise.
Début 2025, Niamey a d’ailleurs demandé une ouverture du capital de WAPCO, la société gestionnaire du tronçon pipelinier, consciente de la fragilité de sa position actuelle.
Parallèlement, les autorités nigériennes ont fixé des objectifs ambitieux de contenu local, exigeant que 80 % des effectifs des projets pétroliers soient nationaux, avec plus de cadres locaux et réclamant un rééquilibrage des écarts salariaux. A l’heure actuelle, seulement 30 % des effectifs constituent des nationaux. Mais le déficit de compétences techniques, souvent souligné par la partie chinoise, rend cet objectif difficile à atteindre à court terme.
Ces exigences ont aussi une dimension sociale et politique: la population attend des retombées concrètes en matière d’emploi et de transfert de savoir-faire. Dans ce contexte, la prudence de Niamey s’impose comme un choix économique plus que diplomatique. Rompre avec la CNPCNP serait trop risqué pour les finances publiques, alors que le pays tente d’affirmer sa souveraineté tout en maintenant la stabilité de sa production.
Une fermeté possible quand le rapport de force le permet
Le Niger a montré qu’il pouvait adopter une ligne plus ferme lorsque les leviers lui appartiennent. Exemple avec Orano: le régime militaire a annoncé en juin 2025 la nationalisation de Somaïr, filiale du géant français de l’uranium, qui avait déjà constaté depuis décembre 2024 la « perte du contrôle opérationnel » de la mine. Malgré l’opposition du groupe français et deux procédures d’arbitrage engagées devant le CIRDI, Niamey a pris le risque juridique de cette nationalisation, estimant disposer d’une marge de manœuvre suffisante pour le faire.
La situation diffère dans le pétrole, où le Niger dépend d’un investisseur unique, d’infrastructures critiques et de technologies étrangères. Cette asymétrie explique la retenue de Niamey face à Pékin.
L’expérience nigérienne illustre une tendance plus large en Afrique: les États cherchent à reprendre la main sur leurs ressources, mais leur capacité à le faire dépend du niveau d’investissement étranger, de la dépendance technologique et de la complexité des infrastructures.
Reste à savoir jusqu’où Niamey pourra aller dans cette réaffirmation de souveraineté. La junte a démontré sa volonté politique, mais sa dépendance à la CNPCNP limite ses marges dans le secteur pétrolier. À l’inverse, la stratégie plus audacieuse menée dans l’uranium pourrait inspirer d’autres pays de la région.
Source: agenceecofin
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