Africa-Press – Niger. Entre exposition des produits propres au terroir, panels, tables rondes, animations culturelles et projections documentaires, à l’initiative de l’Association pour la promotion de l’intercommunalité (APIK Baana), la 1ère édition de la Semaine du Kawar tenue du 28 au 31 août 2025 au Palais du 29 juillet de Niamey a mis en lumière les réalités socio-économiques et culturelles du département de Bilma, situé dans la région d’Agadez. Des échantillons de dattes, du sel iodé, du natron, des pierres thérapeutiques, des recettes culinaires traditionnelles, des costumes et d’objets de décoration ancestraux, bref des produits qui disent long quant aux potentialités naturelles, la richesse socioculturelle, et la résilience de ces communes lointaines du désert du Ténéré que sont Bilma, Dirkou, Djado et Fachi, constituant l’ensemble agro écologique complexe du Kawar, zone située dans le nord-est du Niger, où la pluviométrie dépasse très rarement les 15 millimètres dans l’année, y ont été en vitrine
Le Kawar, c’est cette contrée à 750 kilomètres de son chef-lieu de région (Agadez), au bout d’une interminable estrade de dunes de sable, avec jusqu’à une date récente, qu’un seul centre de vie le long de l’itinéraire appelé Toraid à 80 km d’Agadez. Néanmoins, ces dernières années, avec l’émergence des activités d’orpaillage dans la région, un nouveau village s’est créé à environ 140 km du premier arrêt, soit à 220 km d’Agadez. Pour les communautés de Bilma, en quête du marché national pour le développement de la filière du sel, natron, bararam et sounbou-sounbou, ainsi que de l’orpaillage d’une part, et affectées par le coût excessif de l’approvisionnement en denrées céréalières de son marché, d’autre part, le désenclavement se pose comme un défi de taille et commun aux quatre communes et la coopération entre elles plus qu’une nécessité mais une condition capitale. Les communes du Kawar se devaient également de mutualiser leurs efforts pour gérer de manière harmonieuse et judicieuse les ressources qu’elles partagent.
« Nos communes se sont mises ensemble pour créer cette entente qu’on a appelée Association pour la promotion de l’intercommunalité au Kawar, pour mettre en valeur ensemble les ressources que nous gérons en commun », indique M. Tari Dogo, Conseiller au sein du Conseil Consultatif de la Refondation (CCR), au titre du département de Bilma, rencontré lors de la 2ème journée de la Semaine du Kawar sur le site ayant accueilli l’événement. « Vous avez vu les potentialités qu’on a présentées ici. On partage toutes ces ressources-là. Mais leur mise en valeur dépasse les moyens de nos communes. Il fallait nous mettre ensemble pour mobiliser les ressources internes d’abord et mobiliser les partenaires qui pourraient nous venir en aide », explique le Conseiller.
Selon le Conseiller Tari Dogo, ancien membre du Conseil Régional d’Agadez, après avoir été adjoint au maire de Dirkou, le Kawar fait environ « 298 000 km2, soit 22% du territoire national et 44% de la région d’Agadez ». Il souligne par ailleurs que malgré les réalités géographiques des moins faciles, l’Etat est présent et actif dans le quotidien des kawariens, à travers les services techniques déconcentrés et l’encadrement de proximité aux communes. « Le Kawar, c’est d’abord un cercle pendant la période coloniale, ensuite une subdivision, puis il est devenu un arrondissement, et maintenant une préfecture, un département. Donc, l’Etat est présent sur toute la ligne », a-t-il rappelé.
Dans le domaine de la sécurité, la porte d’entrée nord-est du Niger que représente l’immense étendue du Ténéré a failli être submergée par la prolifération des armes, la criminalité organisée et le trafic de drogue, après la destruction de la Libye de Kadhafi en 2011, n’eut été le rôle rassurant qu’ont joué et continuent de jouer notamment le camp militaire de Madama, celui de Chirfa, le camp de Dirkou et la position de Djado. « Aujourd’hui, le Kawar, c’est la zone (militaire) ndlr) numéro 8 », se réjouit le Conseiller Tari Dogo qui estime qu’il est temps que le Kawar soit érigé en région, disant « qu’il est très difficile d’être administré à partir de 700 kilomètres ».
Pour les ressources naturelles, outre le sel, le natron, les dattes, le Kawar c’est aussi, pour le moins surprenant, des grains de sable qui pourraient être utilisés dans les verreries. « C’est avec ça qu’on fabrique les verres », affirme M. Tari Dogo. L’irrigation est également possible dans certaines parties de la zone. « Il y a d’autres déterminants d’un développement endogène. On a de l’eau à faible profondeur. Il suffit de creuser 3 à 4 mètres, vous avez une nappe qui ne tarit pas et qui peut vous assurer la petite irrigation », a-t-il poursuivi.
Par ailleurs, en termes de ressources toujours, le Kawar c’est de l’or, de l’uranium et surtout du pétrole. « C’est la plus grande réserve du Niger qui se trouve au Kawar. Il y a déjà le bloc Kafra qui est en exploitation et le bloc Bilma qui est en prospection. Ce sont là des ressources de l’État. Il n’y a que l’État qui donne les permis d’exploration et d’exploitation. Les collectivités n’ont que des revenus qui sont issus des activités de production », précise le Conseiller.
L’intercommunalité et les valeurs sûres du développement endogène
Avec ses réserves importantes de sel et de natron, le Kawar est renommé dans l’exploitation et la commercialisation de ces produits miniers intarissables et impérissables. Selon Abary Lawan Marouma, président du Conseil d’Administration de l’ONG PLADIA qui accompagne le processus d’intercommunalité des 4 communes du Kawar, ces ressources jouent un rôle essentiel dans la vie des communautés et constituent une grande production annuelle pour la localité.
Mettant en avant, les propriétés exceptionnelles que possèdent ces ressources, Abary Lawan révèle que le natron, extrait de la marée d’‘’Achounouma’’, dans la commune rurale de Dirkou, possède des propriétés médicinales et cosmétiques. M. Abary de préciser à ce niveau qu’il existe deux variétés de natron qui sont exploitées dans la localité. « Il y a le natron noir appelé ‘’borno’’ qui rentre dans la fabrication des produits cosmétiques éclaircissants et qui est exporté au Nigéria et au Ghana et le natron rouge, utilisé pour la cuisson de certains aliments », souligne le PCA de l’ONG PLADIA. Le natron rouge est, en effet, le plus connu des nigériens car très utilisé dans l’alimentation et le traitement des maux gastriques. Cependant, a-t-il fait remarquer, les propriétés les plus précieuses du natron du Kawar sont peu connues. Pour la petite histoire, il raconte que, lors d’une exposition, une nigérienne très investie dans la fabrication des produits cosmétiques était stupéfaite de voir la variété du natron noir parmi des produits du terroir, alors qu’elle l’importait. « Elle connaît son utilité mais ignorait que cela vient de son pays, plus précisément du Kawar », fait remarquer non sans ironie Abary.
S’agissant du sel, M. Abary Lawan a avancé que Bilma et Fachi sont connus pour l’exploitation du sel blanc ou sel de cuisine qu’on appelle ‘’Balma’’et le sel noir qui est utilisé par les éleveurs comme ‘’pierre à lécher’’ pour bétail. Le sel du Kawar, explique M. Abary, est « naturellement iodé à 92% ». Et c’est ce même sel qui lutte contre le goitre, fait-il savoir.
Malheureusement, regrette M. Abary, malgré leurs propriétés exceptionnelles, les ressources salifères de cette région ne sont pas encore pleinement exploitées. Pour lui, l’Etat doit investir dans l’exploitation de ces ressources naturelles qui jouent un rôle important dans l’économie locale et offrent des perspectives prometteuses pour le développement minier du Niger. « Si vous prenez par exemple le sel du Kawar, l’Etat peut demander à ce qu’on l’utilise dans les casernes, les centres hospitaliers, partout où il y a un internat », a-t-il dit. Mieux, a estimé M. Abary, il faut que cela soit vulgarisé, mais avant, reconnaît-il, il faut aller vers la labellisation et à la certification de ces produits. Le PCA de l’ONG PLADIA affirme que beaucoup de produits cosmétiques et de lessive sont faits à base de natron noir. « Par exemple, le détergent Omo, c’est fait à base de natron, il y a aussi le savon en boule qu’on appelle kabakouro, c’est fait à base de natron. On peut développer des petites industries locales pour la fabrication de ces produits et ainsi mettre fin à leur importation. Cela est aussi valable pour le bararam et le sounbou sounbou » a-t-il dit.
M. Abary a beaucoup insisté sur la nécessité de faire la promotion de ces produits qui sont jusque-là exploités de manière artisanale. « Il n’y a pas beaucoup d’actions de promotion de ces produits. D’ailleurs, c’est grâce à cette semaine du Kawar que beaucoup de nigériens ont su que ces produits sont du terroir. Certes, les gens savent qu’il y a du natron au Niger mais ils ignorent pour la plupart ses vertus. Nous avons donc besoin d’un accompagnement en termes de lobbying pour pouvoir faire la promotion de ces produits au niveau national et au niveau international », soutient M. Abary. Il ajoute que si les vertus sont connues, leur valeur est connue, la demande sera forte. « C’est ce qui va susciter la création d’unités industrielles au niveau local voire national », a-t-il affirmé, les yeux pétillants et avec une grande conviction.
Au terme de la 1ère édition de la Semaine du Kawar, les organisateurs appellent à l’aménagement du tronçon Agadez-Awzigar, long de 250 Km, pour désenclaver la zone, la mobilisation et l’orientation des Partenaires techniques et financiers pour accompagner le développement local dans le Kawar, et la matérialisation des limites territoriales des communes afin de prévenir les conflits intercommunautaires liés à l’accès et à la gestion des ressources naturelles. Un itinéraire unique Agadez-Kawar est aussi très attendu afin de mieux contrôler les trafics et relancer les activités commerciales des localités. Ériger le département de Bilma en région pourrait, selon les recommandations formulées à l’endroit de l’Etat, rapprocher l’administration et améliorer l’encadrement de proximité des administrés.
Pour soutenir la dynamique du développement de l’économie locale, les organisateurs suggèrent de procéder à l’achat du sel et du natron auprès des producteurs du Kawar puis les revendre à prix modéré aux éleveurs à l’image de la vente du son à prix modéré, procéder à l’achat des dattes fraîches auprès des producteurs du Kawar puis les revendre à prix modéré pendant le mois béni de Ramadan à l’image de la vente du sucre à prix modéré, et enfin, doter les quatre communes du Kawar de camions frigorifiques pour la conservation et le transport des dattes fraîches.
Dans l’aridité, la rareté et la précarité liées aux conditions climatiques complexes, dans leur résilience, les communautés du Kawar ont développé une palette de recettes parmi lesquelles celles faites à base de la denrée la plus abondante dans la zone, la datte. L’une des plus connues des ingénieuses transformations alimentaires est le Arsa, un assaisonnement naturel de dattes dénoyautées, séchées et pilées avec de l’arachide cuite. Cette recette vedette dont le savoir-faire reste un secret des fils et filles du terroir ne fait recours à aucun conservateur, ni un quelconque produit chimique, mais garde sa texture et sa saveur pour de longue période. Elle n’est pas qu’un simple délice de saveur, mais aussi et surtout un aliment très fortifiant, donc idéal dans les environnements hostiles.
A cette 1ère édition de la Semaine du Kawar, la diversité de recettes faites à base de dattes est symbolisée par le « eylolo » ou le collier de dattes dénoyautées et enfilées à travers des fibres de dattier. Cette cuvée est, à elle seule, une marque du Kawar, dont la simple conservation fait le décor dans les foyers.
Le chapelet de dattes à l’abri des ennemis de cultures peut donc servir à faire de l’Arsa, l’encas à la kawarienne. Selon Abdourahamane Chegou, journaliste à l’Agence Nigérienne de Presse dans l’un de ses carnets de voyage, « l’Arsa sert de repas d’accueil aux hôtes en attendant le ‘’chaud’’. Dans la vie de tous les jours, il sert de secours en cas de petit creux. Il accompagne les voyages et des travaux en brousse », vante le journaliste.
Aujourd’hui, l’Arsa fait de plus en plus l’objet d’amélioration y compris en ce qui concerne l’emballage. Au Salon de l’Agriculture, de l’Hydraulique et de l’Elevage (SAHEL) édition 2019, le produit a obtenu le premier Prix en agriculture.
Il y a aussi d’autres transformations toujours à base de dattes, notamment le Tigra (dattes pilées avec du mil), Chirap (dattes pilées avec du mil torréfié), Odoufou (confiture de dattes), Sounougou (pâtes de dattes), et bien d’autres.
Beaucoup d’idées ont été développées autour de l’Arsa conditionné. D’aucuns soutiennent que ce produit emballé, peut servir de ration aux militaires en mission. Les membres d’une coopérative des femmes transformatrices des dattes ont même suggéré au Gouvernement d’intégrer l’Arsa dans l’approvisionnement des cantines scolaires et militaires, ne serait-ce que dans les zones désertiques. Selon certains chercheurs, ce produit peut être diversifié en cherchant différentes formules avec l’appui du laboratoire de l’INRAN et les laboratoires nutritionnistes.
« En améliorant la qualité et en appuyant les groupements féminins du Kawar et les jeunes Entrepreneurs kawariens à améliorer la production sous le label ‘’Arsa du Kawar’’, un réseau local et même national de distribution pourrait être créé et de grosses commandes pourraient être satisfaites. Les voyageurs qui transitent par le Kawar pourraient en acheter. Des points de vente pourraient être ouverts dans le Kawar, dans les sites aurifères, à Agadez et à Niamey, voire dans d’autres villes du Niger », ont estimé MM. Chegou Maman et Sanda Malam dans leur rapport d’étude sur « le développement d’une filière datte au Kawar » publié en Avril 2019.
Le bararam et le sounbou-sounbou sont deux substances naturelles extraites dans la région du Kawar. Les populations locales utilisent des méthodes traditionnelles pour extraire ces substances, qui sont ensuite commercialisées dans d’autres régions du Niger et au-delà. Leur particularité, elles sont utilisées dans le traitement thérapeutique de certaines maladies. En effet, ces pierres aux apparences banales possèdent selon les ressortissants du kawar des vertus thérapeutiques très importantes. Dans la région, une partie de la population s’adonne à l’exploitation et ou à la commercialisation de ‘’ces pierres ‘’pour subvenir à leurs besoins comme c’est le cas d’Abba Lawan et de Moustapha Adamou Bachir.
Agé de 54 ans, Abba Lawan est saunier de profession. Depuis plusieurs années, a-t-il confié, il excelle dans la commercialisation du sel du Kawar et produits connexes comme la pierre noire appelée ‘’bararam’’ et le sounbou-sounbou, une pierre brune dérivée du natron. Selon le quinquagénaire, c’est un métier très répandu dans la localité. « Beaucoup de gens vivent de cette filière. Je suis producteur et commerçant à la fois. Je travaille sur le site principal de Kalala » a-t-il fait savoir.
L’extraction de ces produits précieux se fait dans les salines. « Il y a d’abord de l’eau à la surface, une eau salée. Après un mois environ, c’est un dépôt de sel. Nous le prenons soigneusement pour le sécher. Il reste une couche de pierre que nous enlevons par la suite que nous travaillons aussi. Le bararam est tout en bas. Une fois extrait, il est également séché avant d’être mis dans des sacs pour le marché », explique Abba Lawan.
Le bararam est très efficace contre les constipations, les indigestions et autres maux de ventre. La substance est d’une vertu thérapeutique avérée dans le Kawar, depuis la nuit des temps. Selon Abba Lawan, il suffit de tremper juste un peu le morceau dans un verre d’eau, ensuite boire pour guérir des maux de ventre. « Nos parents se soignaient, ils nous ont soignés, nous nous soignons ainsi que nos enfants, avec. Et ça marche », témoigne -t-il.
L’efficacité thérapeutique du bararam fait l’unanimité, de Bilma à Dirkou, du Djado à Fachi, et gagne des cœurs au-delà du Kawar, jusqu’à Niamey, à plus de 1.600km du chef-lieu du département, où la fameuse pierre noire s’arrache comme du pain. En moins de 48h, le saunier Abba Lawan a vendu, à lui seul, deux gros sacs, alors que le petit morceau dissimulable dans la pomme de main est à 200FCFA.
Moustapha Adamou Bachir, un jeune dans la vingtaine qui a fait le déplacement du Palais du 29 juillet de Niamey, dans le cadre de la semaine mettant en lumière les merveilles de son Kawar natal, évoque passionnément l’autre pierre du terroir: le sounbou-sounbou, connu pour son effet prompt contre l’hémorragie postpartum. « Personnellement, je ne suis qu’un vendeur. Mais je sais trop sur les vertus de ces pierres », dit-il. A première vue, le sounbou-sounbou est assimilable au natron. « Ce n’est pas du natron. C’est du sounbou-sounbou, une pierre très prisée dans la médecine traditionnelle locale. Elle soigne l’hémorragie. Ces petits morceaux, nous les vendons à 200FCFA », indique Moustapha Adamou Bachir du fond de son stand. Il affirme avoir eu 25.000FCFA sur le sounbou-sounbou, en deux jours d’exposition à Niamey. « Ici, il me semble que les gens méconnaissent encore les vertus de ces pierres. Mais, les ressortissants du Kawar et certains connaisseurs ne peuvent passer sans s’en procurer », explique le commerçant qui vante son produit comme étant un élément essentiel de la boite de pharmacopée dans chaque foyer attaché aux valeurs traditionnelles.
« Si tu n’en pas besoin tout de suite, tu pourras en avoir demain, pour les tiens, ou même dans le voisinage. De nos jours, nombreuses femmes perdent beaucoup de sang lors des accouchements ou après, or nous avons tout ceci pour les aider », estime le jeune vendeur de sounbou-sounbou.
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