
Africa-Press – Niger. C’est une conséquence inattendue de la guerre en Ukraine. Dans quatre pays africains, à des milliers de kilomètres du théâtre des opérations, notamment au Soudan et au Burkina Faso, des agences ou des missions des Nations unies (ONU), mais aussi, par ricochet, des organisations humanitaires, voient leurs déplacements entravés, depuis le jeudi 15 septembre, faute d’avions et d’hélicoptères, cloués au sol par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) en raison de leur immatriculation russe.
Tout commence début mars avec les premières sanctions internationales infligées à la Russie, qui vient d’attaquer l’Ukraine. Une des mesures s’applique à l’aviation civile, accordant un délai jusqu’au 28 mars aux sociétés de location d’aéronefs pour résilier tous les contrats signés avec leurs clients russes, compagnies aériennes utilisant leurs appareils en leasing. Sur les 980 avions de transport de passagers exploités par la Russie, 750 étaient alors en location-vente à des sociétés principalement enregistrées en Irlande ou aux Bermudes.
La Russie a rapidement fait main basse sur les aéronefs concernés avant de leur attribuer une nouvelle immatriculation – russe, cette fois –, sans que la précédente ait été radiée des registres par leurs propriétaires initiaux. Et Moscou s’est mis à délivrer, unilatéralement, l’autorisation de leur exploitation sur des liaisons internationales. Autant d’initiatives que la convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale interdit depuis qu’elle a été adoptée, en 1944.
« Ces aéronefs ont continué d’être exploités sans certificat de navigabilité, ni licence de station radio en cours de validité, et en l’absence de garantie que les contrôles associés étaient effectués », relève l’OACI dans une note du 1er septembre. Ce qui, selon cette organisation, forte de 193 Etats membres, dépendant de l’ONU et garante du respect des règles de l’aviation civile, constitue non seulement « des infractions, mais également un risque immédiat pour la sécurité » des passagers et des biens transportés.
22 % de la flotte onusienne
La Russie avait jusqu’au 15 septembre pour rentrer dans le rang. Sans réponse de Moscou à l’expiration de ce délai, l’OACI a émis « un bulletin de préoccupation importante en matière de sécurité ». Simultanément, « toutes les missions de maintien de la paix et les agences de l’ONU dans le monde ont été priées de s’abstenir immédiatement de charger [en matériels] des aéronefs commerciaux immatriculés en Fédération de Russie jusqu’à nouvel ordre », précise Farhan Haq, porte-parole adjoint du secrétaire général de l’ONU, qui ajoute : « La flotte aérienne commerciale russe sous contrat avec l’ONU se compose de 41 hélicoptères (37 Mi-8 et quatre Mi-26) et de trois avions-cargos Antonov An-74, à l’appui de dix opérations de maintien de la paix et missions politiques dans le monde, soit 22 % de sa flotte. »
Les aéronefs onusiens sont affrétés par le département de l’appui opérationnel de l’ONU (DOS) ou par le service aérien humanitaire de l’ONU (UNHAS) géré par le Programme alimentaire mondial (PAM). La dépendance au matériel volant russe varie selon les pays. Au Burkina Faso, les trois seuls hélicoptères utilisés par le PAM et les ONG humanitaires sont des Mi-8, fabriqués et immatriculés en Russie. Leur immobilisation a pris tout le monde de court. Les ONG ont été informées par mail d’une « possible interruption des opérations », le 13 septembre seulement.
« Pourquoi cela n’a-t-il pas été mieux anticipé ? », s’étonne une source humanitaire souhaitant garder l’anonymat. Comme d’autres, elle craint un « impact dramatique » sur les populations dans ce pays où 3,5 millions d’habitants (sur un total de 20 millions) ont besoin d’aide. « Dans certains endroits, les ONG étaient les seules à pouvoir les prendre en charge, s’inquiète notre interlocuteur. Nous sommes actuellement au pic des besoins en assistance alimentaire. Dans certains endroits, les habitants n’ont plus d’accès à l’eau ni aux soins médicaux, le blocage de l’aide humanitaire aura donc un impact sur des vies humaines. » Deux hélicoptères de remplacement viennent d’arriver à Ouagadougou, d’où ils devraient reprendre leurs rotations dans les jours qui viennent.
Solutions de remplacement
La situation est également tendue au Soudan du Sud, où la réponse humanitaire repose très largement sur les vols de l’UNHAS et ses onze aéronefs russes (sur un total de 25). Dans un message interne, la mission des Nations unies au Soudan du Sud indique qu’elle « travaille avec le siège pour obtenir des avions de remplacement, [ce qui va] prendre des mois ».
En attendant, les ONG présentes dans le pays s’inquiètent de la baisse des liaisons héliportées, alors que certains sites sont, en cette saison des pluies, inaccessibles par la route ou par bateau. Aline Serin, cheffe de la mission locale de Médecins sans frontières (MSF), rappelle ainsi que « transporter des médicaments et d’autres approvisionnements essentiels, transférer des patients dans un état critique et faire venir des équipes médicales dans nos projets peut déjà être difficile dans les conditions normales ». « Ces difficultés ont été exacerbées récemment en raison d’inondations extrêmes et de conflits dans certaines parties du pays […] où notre seule option de transport est par hélicoptère. La délivrance de services humanitaires va donc devenir encore plus difficile », regrette-t-elle.
Les mêmes préoccupations pointent, plus au nord, au Soudan, où, sous couvert d’anonymat, un humanitaire qualifie ces limitations de vol de « particulièrement problématiques ». Notamment pour les régions du Darfour et du Sud-Kordofan, où les routes sont impraticables en cette saison. Il redoute un « impact massif » sur les opérations dans le pays.
Dans l’ensemble des missions affectées, l’ONU explore des solutions de remplacement. « Mais cela va prendre du temps et coûter plus cher », glisse un connaisseur du dossier.
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