Cancers en Afrique : une lutte qui avance malgré des moyens limités

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Cancers en Afrique : une lutte qui avance malgré des moyens limités
Cancers en Afrique : une lutte qui avance malgré des moyens limités

Africa-Press – Niger. Fin septembre, trois pays africains se sont lancés dans un programme pilote pour améliorer la prise en charge globale des cancers du sein et du col de l’utérus, qui pèsent pour plus de la moitié des cancers féminins en Afrique. Cette initiative est une étape dans la lutte contre ce fléau, qui a débuté au tournant des années 2010 sur le continent.

Portée par la Côte d’Ivoire, le Kenya et le Zimbabwe avec l’appui de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du laboratoire pharmaceutique Roche, elle consiste à intégrer toute la chaîne de prise en charge de ces cancers féminins dans une politique de santé publique complète, de la promotion des soins de base dédiés aux femmes au dépistage précoce, en passant par la prévention et les traitements.

« Dans nos économies contraintes, malgré les problèmes de hiérarchie des urgences, l’idée d’une santé globale a émergé, clé de notre développement, témoigne le professeur Cheikh Tidiane Cissé, chef du service de gynécologie-obstétrique de l’Institut d’hygiène sociale polyclinique de Dakar, qui a présenté, mardi 10 octobre, lors du congrès de la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique à Paris, l’expérience du Sénégal en matière de lutte contre le cancer du col de l’utérus et du sein. On est en train de sortir d’un cloisonnement des prises en charge. Pour cela, il faut continuer à investir dans la prévention de ces maladies non transmissibles. »

Doublement des cas ces vingt prochaines années Si les cancers − mais aussi les pathologies cardiovasculaires, l’hypertension, le diabète, l’obésité − sont longtemps restés dans l’ombre des grandes maladies infectieuses, priorité sanitaire du continent depuis des décennies, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) prévoit un doublement des cas ces vingt prochaines années en Afrique subsaharienne. L’OMS projette qu’à la fin de la décennie la mortalité liée aux cancers devrait dépasser celle du paludisme, de la tuberculose et du VIH réunis, qui ont tué environ 1,5 million de personnes sur le continent en 2021.

Longtemps considérés comme le lot des pays riches, les cancers et autres maladies non transmissibles se sont installés dans la vie des Africains à mesure que la « malbouffe », la sédentarité, la pollution, le tabagisme et la consommation d’alcool ont gagné les grandes villes, dont la population double tous les vingt ans. Le vieillissement du continent, où l’espérance de vie a augmenté de dix ans depuis 2000, a aussi une incidence sur cette explosion.

« C’est un double fardeau pour l’Afrique et un paradoxe, explique la professeure Maïmouna Ndour Mbaye, directrice du Centre national de diabétologie de Dakar, au Sénégal. Nous vivons plus vieux et c’est une bonne nouvelle, mais en adoptant le mode de vie à l’occidentale, nous avons désormais le temps de développer les pathologies chroniques alors qu’on n’est pas encore débarrassés du paludisme ou de la tuberculose. »

Sur le front du cancer, ces dix dernières années, beaucoup a été fait. La plupart des pays africains se sont dotés de plans nationaux de lutte et de nombreux centres de radiothérapie ont été construits. Rien qu’en 2022 et 2023, onze sont sortis de terre, notamment en Afrique subsaharienne – le Bénin doit ouvrir le sien en 2024 – et 39 pays du continent sur 54 sont désormais équipés, d’après les données du registre international des centres de radiothérapie. Mais l’argent manque encore pour assurer une prise en charge complète des patients et un parcours de soins de qualité reste le privilège d’une classe moyenne urbanisée.

Des malades souvent diagnostiqués trop tard Le continent, qui supporte un quart des décès mondiaux de cancers, n’investit dans la lutte que 1 % des dépenses totales de santé, selon le rapport publié en 2019 par l’Institute for Health Metrics and Evaluation de l’université de Washington, tandis que seulement 2 % de l’aide multilatérale et bilatérale, pilier des systèmes de santé émergents, bénéficient aux maladies non transmissibles, dont les cancers, d’après une analyse réalisée la même année par le British Medical Journal. Enfin, l’Afrique compte deux à quatre fois moins d’oncologues que les recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique.

Sur le terrain, les malades sont donc souvent diagnostiqués trop tard et l’accès aux soins reste compliqué et cher, même quand les Etats assurent une prise en charge partielle. Ainsi, le Sénégal, qui a décrété en 2019 la gratuité totale de la chimiothérapie pour les cancers du sein et du col de l’utérus, ne peut encore subventionner que la moitié de la prise en charge des autres cancers.

Les malades doivent donc s’acquitter encore de nombreux frais « annexes » de diagnostic ou de suivi, comme la mammographie ou des analyses, ainsi que de nombreux déplacements. Car, en dehors du Maghreb, de l’Afrique du Sud et du Kenya, bien équipés en centres de radiothérapie, les malades doivent souvent parcourir des dizaines, voire des centaines de kilomètres, pour se faire soigner dans la capitale ou la grande ville la plus proche.

« La plupart des familles vont jusqu’à s’endetter pour soigner leurs proches, explique Hélène Kane, anthropologue de l’université de Rouen qui pilote un dossier spécial sur les cancers au Sahel pour la revue de sciences sociales L’Ouest saharien à paraître début 2024. Pire, elles doivent souvent interrompre un traitement faute de moyens. On arrive à payer la première cure, on vend ses biens pour la deuxième, on s’endette pour la troisième, et on abandonne la quatrième. »

Renforcer le dépistage Les associations d’aide aux malades et les ligues nationales contre le cancer, de plus en plus nombreuses et souvent créées par d’anciens malades guéris, apportent leur soutien financier, un accompagnement et même de l’hébergement à travers des réseaux d’entraide. Mais là aussi, les ressources sont limitées.

La prévention, bien moins onéreuse pour les Etats, reste donc cruciale. La vaccination, quand elle est possible, notamment contre les papillomavirus humains (HPV, très contagieux, responsables des cancers du col de l’utérus mais aussi de l’anus, du pénis, de la bouche ou de la gorge) ou l’hépatite B et C (foie), est en cours de généralisation sur le continent. D’après les données de l’OMS, plus de 21 pays africains ont atteint une couverture de 70 % contre les HPV.

Quant au dépistage, s’il doit être renforcé pour une lutte efficace et moins chère pour les systèmes de santé quand il est précoce, « il pose un vrai problème éthique aux médecins qui ne peuvent pas assurer la totalité des soins de leurs patients, témoigne Hélène Kane, qui a travaillé plus de dix ans en Mauritanie. C’est une véritable souffrance pour eux. Cela doit poser la question des soins palliatifs, quasi inexistants en Afrique subsaharienne. Mais, quels que soient l’avancée de la lutte et les moyens, il faut faire face, car cette “épidémie”, restée longtemps invisible, a bien lieu. »

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