La face cachée de la Lune sort de l’ombre

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La face cachée de la Lune sort de l'ombre
La face cachée de la Lune sort de l'ombre

Africa-Press – Niger. La mission chinoise Chang’e 6 a rapporté près de 2 kg de roches prélevés sur la face de notre satellite naturel qui demeure toujours du côté opposé à la Terre. Les planétologues espèrent avoir une vision plus complète de l’histoire et de la géologie de l’astre sélène et comprendre enfin l’asymétrie entre ses deux hémisphères.

Ce sont donc 1935 grammes de roches et de fines poussières que la mission chinoise Chang’e 6 a rapportés en juin de la Lune. Une nouvelle prouesse du programme d’exploration lunaire de la Chine, qui depuis 2007 a réalisé quasiment un sans-faute pour placer ses engins spatiaux autour de l’astre sélène, faire alunir ses sondes robotisées et collecter des échantillons.

“Cette suite de succès, tout à fait exceptionnelle, témoigne des remarquables capacités de la Chine dans le développement et la maîtrise des technologies spatiales “, salue Francis Rocard, responsable du programme d’exploration du Système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes). Mais les morceaux de Lune collectés par Chang’e 6 présentent cette fois un immense intérêt scientifique.

Ils ont été recueillis sur la face cachée de notre satellite naturel: celle qui demeure en permanence du côté opposé à la Terre et reste encore très énigmatique. “Jusqu’à présent, seuls des fragments de la face visible avaient pu être rapportés par les programmes américain Apollo et soviétique Luna il y a une cinquantaine d’années et en 2020 par la sonde chinoise Chang’e 5 “, rappelle Francis Rocard. C’est donc une grande première !

Grâce à ce butin inédit, les planétologues espèrent avoir une vision plus complète de l’histoire et de la géologie de la Lune. Et comprendre, en particulier, pourquoi les faces visible et cachée sont si différentes, l’une apparaissant plutôt lisse et emplie de “mers lunaires” de couleur sombre, tandis que l’autre, beaucoup plus claire et couverte de hauts-reliefs, en est quasiment dépourvue.

Une face cachée beaucoup plus cratérisée et accidentée

L’un des principaux apports des échantillons d’Apollo et de Luna a été d’établir le scénario actuel sur la naissance de la Lune. En comparant leur composition avec celle des roches terrestres, les chercheurs ont en effet découvert de remarquables similitudes, qui ne peuvent s’expliquer que par une origine commune. Peu après la formation du Système solaire il y a 4,5 milliards d’années, une protoplanète de la taille de Mars aurait ainsi percuté l’ancêtre de la Terre, soutient la théorie de “l’impact géant”. Cette collision cataclysmique aurait fait fusionner l’impacteur avec le manteau terrestre tout en éjectant une partie de ce mélange chaud dans l’espace. Le nuage de débris se serait ensuite refroidi et progressivement aggloméré pour former la Lune.

Ce nouveau compagnon céleste devait être d’abord très proche: l’équivalent de cinq rayons terrestres, mettent en exergue les modèles, contre 60 aujourd’hui. Les forces d’attraction gravitationnelle s’exerçant à la surface des deux astres, appelées aussi “effets de marée”, étaient ainsi beaucoup plus fortes. Or, ce jeu d’interaction a peu à peu ralenti la vitesse de rotation de la Lune autour de son axe. Jusqu’à atteindre, au bout de quelques dizaines de millions d’années, un point d’équilibre où “la période de rotation de la Lune s’est synchronisée à la période de révolution autour de la Terre, soit environ 29,5 jours “, pose Francis Rocard. Et c’est parce que la Lune danse autour de notre planète au même rythme qu’elle pivote sur elle-même qu’elle présente toujours le même visage.

Si cette face visible nous est par définition familière, il faudra attendre le début de l’ère spatiale pour que l’autre moitié se dévoile. En 1959 plus précisément, lorsque la sonde Luna 3 réalisa les premières photographies de la face “arrière”. “La surprise fut alors de taille “, signale Francis Rocard. Car même si ces clichés étaient de piètre qualité, ils révélèrent une quasi-absence de ces mers lunaires – en réalité des plaines basaltiques issues d’anciennes coulées de lave – si caractéristiques de la face visible. Sur cette dernière, les épanchements volcaniques recouvrent ainsi “31 % de la surface, mais seulement 1 % pour la face cachée “, détaille Adrien Broquet, géophysicien au Centre aérospatial allemand.

Dans les années 1960, les images plus nettes et les altimètres laser des missions Apollo révélèrent, par ailleurs, que la face cachée était beaucoup plus accidentée et cratérisée. “L’autre côté ressemble à ces tas de sable avec lesquels mes enfants jouaient autrefois. Tout est comme détruit. Il n’y a pas de mots pour le décrire, juste beaucoup de bosses et de trous “, témoigna en 1968 l’astronaute américain William Anders d’Apollo 8, premier humain à poser ses yeux sur ce monde tourmenté.

Une croûte lunaire trois fois plus épaisse

Mais les planétologues n’étaient pas au bout de leur étonnement. Grâce aux mesures réalisées sur les échantillons Apollo puis par différents orbiteurs, tel Lunar Prospector lancé en 1998 par la Nasa, ils constatèrent qu’une vaste portion de la face visible était particulièrement enrichie en éléments radioactifs (uranium, thorium, potassium…), notamment au niveau d’une gigantesque mer lunaire appelée “océan des Tempêtes”. “Les concentrations y seraient des dizaines de fois plus importantes que sur la face cachée “, note Adrien Broquet.

Enfin, en 2012, en analysant très précisément le champ de gravité sur l’ensemble de la Lune, les sondes américaines Grail établirent une autre particularité majeure: du côté caché, la croûte atteint 60 à 80 km d’épaisseur, contre seulement 20 à 30 km du côté visible.

L’attrait de l’eau du pôle sud

Le bassin pôle Sud-Aitken, où la mission Chang’e 6 a prélevé des échantillons, captive les astronomes pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il se situe sur la face cachée de notre satellite naturel, dans l’une des rares zones de cet hémisphère ayant connu une activité volcanique. Ensuite parce que ce bassin d’impact est tout proche du pôle sud, où les agences spatiales américaine, européenne et chinoise projettent de construire des bases habitées. “Les régions polaires recèlent des quantités significatives d’eau gelée “, précise le cosmochimiste Frédéric Moynier, une ressource essentielle pour abreuver des astronautes, extraire de l’oxygène ou fabriquer du carburant. En fournissant de précieuses informations sur le type et les quantités d’eau disponible au pôle sud, les échantillons de Chang’e 6 pourraient donner ainsi “une longueur d’avance à la Chine pour ses projets de base lunaire “, signale le chercheur.

Trancher entre les hypothèses sur la formation lunaire

Comment expliquer toutes ces différences ? Et assembler les pièces du puzzle pour rendre compte de cette dichotomie entre les deux hémisphères de la Lune ? Sur la face visible, de plus fortes abondances en éléments radioactifs auraient certes produit davantage de chaleur, favorisant ainsi la fusion des roches et les phénomènes magmatiques. Les laves auraient percé en outre plus facilement une croûte moins épaisse, avant de s’écouler en surface, emplir les terrains ravinés et lisser en quelque sorte les reliefs. Mais les processus qui auraient engendré de telles disparités sur les éléments radioactifs et l’épaisseur de la croûte restent à ce jour mystérieux.

“C’est l’une des énigmes les plus tenaces concernant l’évolution géologique de la Lune, reconnaît Frédéric Moynier de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP). Plusieurs hypothèses ont été proposées au cours des dernières décennies et nous espérons que les échantillons de Chang’e 6 permettront enfin de trancher. ” L’une des plus anciennes invoque un mécanisme endogène. De manière fortuite, une petite perturbation dans les mouvements de convection du manteau lunaire aurait pu en effet s’amplifier jusqu’à engendrer un gigantesque panache mantellique sous la face visible. Il aurait ainsi érodé la croûte et favorisé localement la production de laves naturellement enrichies en éléments radioactifs. “En jouant sur certains paramètres, les simulations numériques indiquent qu’un tel scénario aurait pu se produire “, relève Adrien Broquet.

Il y a une dizaine d’années, des géologues de l’Université de Californie (États-Unis) ont formulé une autre hypothèse, très audacieuse: ce ne seraient pas une mais deux lunes qui se seraient agrégées après l’impact géant ! Alors que la plus grosse serait devenue notre satellite naturel, l’autre (deux fois plus petite et instable) s’y serait écrasée au bout de quelques millions d’années, au niveau de la face cachée, d’où cette croûte plus épaisse.

Avec ses collègues de l’IPGP, Frédéric Moynier privilégie un autre phénomène. Il suppose que l’asymétrie entre les deux hémisphères de la Lune serait apparue lorsque celle-ci était encore une boule de magma en fusion (plus de 1200 °C en surface) très proche de la Terre. Les éléments les plus volatils comme l’eau et certains métaux tel le potassium se trouvaient ainsi à l’état de vapeur. “Mais les forces de marées, très intenses, auraient davantage attiré et extirpé ceux de la face visible vers la Terre, les autres retombant préférentiellement sur la face cachée au fur et à mesure du refroidissement “, avance Frédéric Moynier.

Évoquons enfin la théorie développée depuis deux ans par Adrien Broquet et d’autres chercheurs internationaux. Elle combine des processus exogène et endogène. Et confère un rôle décisif à l’impact d’un astéroïde ayant créé, il y a environ 4 milliards d’années, le bassin pôle Sud-Aitken, l’une des plus grandes structures de ce type du Système solaire, qui mesure 2500 km de large et se situe à la fois au niveau du pôle sud et de la face cachée. “Les simulations numériques montrent que cet impact, d’une violence phénoménale, aurait modifié considérablement les mouvements de convection à l’intérieur de la Lune en entraînant notamment une migration des éléments radioactifs, expose Adrien Broquet. Ceux-ci se seraient concentrés ainsi à l’antipode du point d’impact, région où se trouvent précisément de nombreuses mers lunaires, dont l’océan des Tempêtes. ”

Repenser la manière dont notre satellite a été créé

Or, c’est dans le bassin pôle Sud-Aitken que la sonde Chang’e 6 s’est posée pour prélever des échantillons: en surface, à l’aide d’un bras mécanique, et jusqu’à 2 mètres de profondeur au moyen d’une foreuse. Dans les mois et les années qui viennent, ils seront soumis à une batterie d’analyses par des scientifiques chinois et internationaux, dont Frédéric Moynier qui “compte se rendre à Pékin fin octobre “. Pas à pas, les chercheurs détermineront la composition chimique, en éléments radioactifs et en éléments volatils de ces morceaux de roches, qui, selon les mesures satellitaires, pourraient contenir des fragments de basaltes.

“L’impact qui a façonné le bassin pôle Sud-Aitken a été tellement violent qu’il a pu percer la croûte et excaver des roches mantelliques. Avec un peu de chance, on décèlera donc peut-être également quelques milligrammes de manteau lunaire dans les échantillons de Chang’e 6 “, trépigne Francis Rocard, ce qui permettrait d’estimer beaucoup plus précisément la composition globale de la Lune et contraindre les modèles de formation. “Ce que l’on sait de notre satellite naturel provient essentiellement des échantillons de la face visible, insiste Frédéric Moynier. Les fragments de Chang’e 6 pourraient ainsi, non seulement dévoiler l’origine de la dichotomie lunaire, mais nous obliger à repenser aussi la manière dont la Lune a été créée.”

Un instrument français sur la Lune

La sonde Chang’e 6 embarquait avec elle quatre instruments non chinois: un réflecteur laser italien, un capteur d’ions suédois, un nanosatellite pakistanais et le détecteur Dorn (Detection of outgassing radon), premier instrument français actif à la surface de la Lune depuis un demi-siècle. Conçu par l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse sous la maîtrise d’ouvrage du Cnes, Dorn a mesuré la quantité de radon, un gaz rare radioactif issu de la désintégration des atomes d’uranium présents dans les roches lunaires.

“C’est la première fois que ce type d’instrument est déployé sur la Lune “, se réjouit l’astrophysicien Francis Rocard. Grâce à lui, les scientifiques étudieront la teneur en uranium près de l’atterrisseur, mais aussi les phénomènes de dégazage (de vapeur d’eau notamment) et la dynamique de la très fine atmosphère lunaire. “Le détecteur Dorn, qui a fonctionné pendant 19 heures, n’est certes qu’un démonstrateur “, précise l’expert. Une fois analysées, ses données permettront de construire une version plus perfectionnée recueillant des informations pendant plusieurs mois, “peut-être sur la mission Chang’e 8 qui doit être lancée en 2028 “, confie-t-il.

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