Africa-Press – Niger. Savez-vous que le pire ennemi de la punaise verte Nezara viridula, tant redoutée des maraîchers pour sa faculté à provoquer par ses piqûres la chute des fleurs et la détérioration des fruits et légumes, est le tout petit hyménoptère Trissolcus basalis ? Ce moucheron repère les plaques que forment les œufs de la punaise pour y pondre ses propres œufs. En moins d’une semaine, les petites sphères dorées prennent une couleur marron terne qui trahit le repas de la larve de Trissolcus. Une semaine de plus et un nouvel hyménoptère apparaît au détriment de la punaise.
Ce minuscule parasitisme a été sacré « innovation 2023 » par les professionnels du Salon du végétal, qui a lieu tous les ans en janvier à Angers (Maine-et-Loire). La société Koppert y a présenté le conditionnement en carton de 5000 œufs de punaises parasités par l’hyménoptère. « C’est une méthode préventive, explique Adeline Infray, responsable marketing. Il suffit de disposer les boîtes dans la culture un peu avant la période où les punaises pondent leurs œufs pour augmenter la population d’hyménoptères et ainsi favoriser le parasitisme des punaises. »
Le procédé nommé Nezapar est l’une des dernières avancées du vaste domaine des produits de biocontrôle. Il répond à un véritable besoin. Avant le moucheron, les maraîchers n’avaient à leur disposition que des produits chimiques peu efficaces et aucune solution biologique. Les essais de lâchers répétés sur plusieurs semaines ont montré une diminution de 90 % des punaises. « On n’éradique pas totalement le ravageur, maison diminue nettement les dégâts « , se félicite Adeline Infray.
La société, fondée par l’agriculteur néerlandais Jan Koppert en 1967, vient d’annoncer une autre innovation qui devrait faire parler d’elle en 2024, pour la betterave cette fois. Elle développe des techniques de diffusion de Chrysoperla carnea, un insecte de l’ordre des névroptères pour contrer le développement du puceron responsable de la jaunisse. Cette maladie incite les planteurs à exiger tous les ans une dérogation pour utiliser des semences enrobées de néonicotinoïdes – des substances interdites depuis le 1er septembre 2018 pour leur impact délétère avéré sur une vaste gamme d’insectes dont les abeilles. La « demoiselle aux yeux d’or », petit surnom de la chrysope, pourrait permettre au secteur betteravier de faciliter la sortie des pesticides chimiques.
Car c’est bien la fin d’une époque que viennent de décider les autorités européennes. Dans le cadre de sa stratégie « de la ferme à la fourchette », la Commission européenne propose aux États membres un objectif de réduction de 50 % des pesticides chimiques d’ici à 2030. Le Parlement européen est en train de débattre de cet objectif pour une adoption prévue à l’automne 2023. Les députés sont partagés entre, d’une part, ceux qui estiment que l’abandon des pesticides menacerait la rentabilité des exploitations et mettrait à mal la souveraineté alimentaire de l’Union européenne et, d’autre part, ceux qui plaident pour que le secteur agroalimentaire intègre leurs impacts sur la biodiversité, l’environnement et la santé humaine dans une approche « une seule santé ».
Mais force est de constater que les démarches volontaires de réduction de la chimie – tels les plans Ecophyto en France – ont toutes échoué. Les volumes annuels utilisés stagnent autour de 350.000 tonnes en Europe, 60.000 à 80.000 tonnes en France. « Ce constat fait émerger la nécessité d’un changement de paradigme, d’une démarche de rupture profonde pour aller vers des systèmes de culture innovants sans produits chimiques « , estime Olivier Mora, ingénieur de recherche à la direction de l’expertise scientifique collective, de la prospective et des études de l’Institut national de recherche sur l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
Modifier la structure des paysages
C’est en effet tout un système agronomique qui va devoir évoluer. Les chrysopes auront par exemple besoin, à l’intérieur des champs de betteraves, de plantes refuges à fleurs, puisque les adultes se nourrissent de miellat. Cela implique de modifier les pratiques aujourd’hui simplifiées à l’extrême avec une seule plante occupant des centaines d’hectares sur d’immenses champs. Le biocontrôle gagnera en efficacité si la structure même du paysage évolue, avec des parcelles plus petites et des changements annuels de culture sur cinq ou sept ans, incluant des légumineuses qui enrichissent les sols en azote. « On ne remplace pas un produit A chimique par un produit B de biocontrôle avec l’idée que l’efficacité sera la même, prévient Denis Longevialle, directeur général de la branche française de l’IBMA, une association internationale des fabricants de biocontrôle. Il faut aussi repenser globalement sa stratégie de protection des plantes, notamment en privilégiant les végétaux sauvages qui attirent les auxiliaires, ces insectes qui favorisent la santé des cultures. »
Il y a en l’espèce un exemple qui, depuis trente ans, montre que le contrôle naturel des ravageurs est possible : celui du maïs. En France, 100.000 hectares sur les 500.000 consacrés à cette culture tous les ans sont traités contre la pyrale, un petit papillon ravageur, par la diffusion dans les champs – aujourd’hui par drones – de minuscules hyménoptères, les trichogrammes dont les larves se nourrissent des œufs du papillon.
Plusieurs types de biocontrôle peuvent se combiner
« On distingue deux stratégies, détaille Xavier Fauvergue, directeur de recherche à l’unité de biologie des populations à l’Inrae. La première, dite d’acclimatation, consiste à rechercher des prédateurs dans la région d’origine du ravageur. La seconde, dite de conservation, vise à augmenter les populations locales d’insectes bénéfiques pour les plantes cultivées. » Mais l’utilisation des ennemis naturels des ravageurs des plantes n’est pas la seule arme du biocontrôle. « Entre 1961 et 2021, 20.000 publications scientifiques ont décrit des méthodes de biocontrôle, note Marc Bardin, chercheur à l’unité de pathologie végétale de l’Inrae Avignon. Le vrai décollage date des années 1990 et rien qu’en 2020, plus de 2000 études ont été publiées. » Elles explorent la possibilité de faire appel à des micro-organismes, des substances naturelles, et des médiateurs chimiques (voir le tableau ci-dessus). Ces méthodes ne s’excluent pas mais, au contraire, se confortent. La bonne combinaison sera à définir selon la saison, la météo, les qualités de sol ou encore la biodiversité végétale et animale proche. Plus les agriculteurs accumuleront d’expérience, plus le biocontrôle sera efficace.
Prenons l’exemple du carpocapse (Cydia pomonella), ce lépidoptère qui ravage les pommiers. La chenille du papillon pénètre dans les fruits par un petit orifice et creuse des galeries qui rendent les pommes impropres à toute consommation. C’est cet insecte qui explique que la pomme reçoit jusqu’à 30 traitements chimiques par saison. L’importance économique du fruit a provoqué d’intenses recherches tous azimuts. « La stratégie de l’acclimatation a été tentée avec la recherche dans la région d’origine du pommier, l’Asie centrale, d’insectes prédateurs de Cydia pomonella, raconte Xavier Fauvergue. Mais on utilise aussi un virus, la carpovirusine, la confusion sexuelle – qui consiste à égarer les mâles en diffusant des phéromones femelles -, et même les filets à petites mailles qui constituent une barrière physique. Soit quasiment toute la gamme des actions de biocontrôle possible. »
Les promesses des fortifiants
Fortifier les plantes face à leurs agresseurs : tel est la promesse des préparations naturelles dites peu préoccupantes (PNPP). Légalisées par la loi agricole de 2014, elles sont aujourd’hui libres d’usage dans les champs et les jardins. Ainsi, les pyrèthres synthétisés par les fleurs des chrysanthèmes ont un effet neurotoxique dissuasif sur les insectes. Certaines substances de défense des plantes activent la production de protéines augmentant l’épaisseur des surfaces des feuilles. La loi fait la différence, parmi ces PNPP, entre les substances de base – comme le purin d’ortie -, qui n’ont pas besoin d’autorisation de mise sur le marché, et les substances naturelles à usage biostimulant (SNUB) qui, elles, doivent être évaluées.
Des synergies pour améliorer la protection des plantes
Un nouveau champ de recherche est en train de s’ouvrir pour définir comment combiner ces stratégies. Les programmes d’études se concentrent aujourd’hui sur les synergies et les combinaisons qui permettraient d’améliorer la protection des plantes. Car il est toujours très difficile de comprendre ce qu’il se passe à l’échelle d’un végétal. Comme les animaux, les plantes sont entourées de milliards d’organismes qui influent sur leur santé.
Ainsi, chaque centimètre carré de feuille abrite de 10 à 100 millions de microbes. Ces microbiotes, très différents selon qu’ils occupent les racines ou les feuilles, sont réunis au sein du terme générique d' »holobionte ». « Les plantes vivent en interaction étroite avec un cortège de bactéries, champignons ou encore des protistes dont certains ont une action bénéfique, d’autres sont nocifs, et d’autres encore n’ont pas d’effets connus, explique Christophe Mougel, chercheur à l’Institut de génétique, environnement et protection des plantes de l’Inrae de Rennes. C’est tout cet ensemble que l’on appelle l’holobionte. Comprendre comment il fonctionne permettra de jouer sur les équilibres, de favoriser les organismes bénéfiques et de limiter ceux qui sont néfastes pour obtenir des plantes en meilleure santé. » Au contraire de la lutte chimique qui ne fait aucune distinction entre la maladie ciblée et l’écosystème complexe dans lequel elle se développe, cette stratégie porte sur une connaissance fine d’une niche écologique où les espèces microbiennes luttent pour leur espace vital et modulent l’immunité de la plante.
Dans les scénarios élaborés par le programme prioritaire de recherche « Cultiver et protéger autrement » qui a publié ses conclusions en mars, la compréhension de l’holobionte est centrale. Constituées de cellules toutes semblables, les plantes arrivent malgré tout à générer des fonctions de protection de leur organisme, de communication avec leur environnement proche et lointain, notamment par l’émission de molécules chimiques, qui restent encore largement inexpliquées. Ainsi, tout l’enjeu d’une agriculture de demain respectueuse de la biodiversité consiste désormais à faire des plantes des collaboratrices plutôt que des asservies.
« Une nécessaire modification des habitudes alimentaires », par Thibaut Malausa*
« Le succès du biocontrôle dépend principalement de modifications profondes du système agricole et alimentaire. Pour obtenir une protection des cultures respectueuse de la biodiversité tout en offrant des rendements qui satisfassent la demande alimentaire, il faudra diversifier les systèmes de culture : en associant plusieurs espèces cultivées, en plantant des haies, mélanges fleuris et autres infrastructures écologiques pour favoriser l’action des arthropodes et des micro-organismes résidents qui améliorent la santé des plantes, en semant des variétés résistantes, etc.
Ces changements nécessiteront davantage d’outils et de services pour que la complexité accrue ne soit pas synonyme de complications, charge mentale et risques inacceptables pour les agriculteurs. Ces modifications généreront des emplois attractifs et le défi sera alors de veiller à ce que les coûts de service ou de personnel restent compatibles avec une rémunération satisfaisante de l’agriculteur. Cela implique aussi que les coopératives et l’industrie agroalimentaire devront transformer leurs méthodes pour accueillir des récoltes plus diverses.
Mais l’acteur principal de ce changement, c’est le binôme grande distribution-consommateur. C’est en modifiant les habitudes alimentaires, en augmentant la proportion de protéines végétales dans notre alimentation – pour diminuer les besoins en surfaces agricoles et donc éviter la course permanente au rendement – et en achetant des produits issus de pratiques agricoles hautement durables pour créer de la valeur à destination des agriculteurs et leur donner les moyens d’innover, que l’on rendra possibles l’essor du biocontrôle et la sortie des pesticides chimiques. »
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