Africa-Press – Niger. La révolution de l’hydrogène est en marche, mais elle devra se verdir pour avoir un impact réel sur la lutte contre le changement climatique. « En 2022, l’Union européenne a fixé comme objectif de produire 10 millions de tonnes d’hydrogène, à partir d’énergie renouvelable ou bas carbone, sur le sol européen d’ici à 2030, et d’en importer 10 autres millions « , souligne Julie Mougin, en charge des technologies hydrogène au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Cela revient à multiplier environ par 100 la production d’hydrogène décarbonée en Europe, sachant que seulement 0,1 % de l’hydrogène du produit est « vert », plus de 90 % étant extraits des énergies fossiles. Autant dire que la marche est haute, mais il existe plusieurs voies pour y parvenir.
1/ L’électrolyse de l’eau
Le procédé d’électrolyse, qui permet de produire de l’hydrogène en décomposant des molécules d’eau, est connu depuis le 19e siècle. « Il reste le plus efficace à l’échelle industrielle et il le restera sans doute pour les dix prochaines années « , affirme Olivier Sala, vice-président de la recherche et de l’innovation chez Engie. La plupart des électrolyseurs industriels sont de type « alcalins ». Deux électrodes séparées par une membrane sont plongées dans un électrolyte conducteur, constitué de potasse ou de soude caustique. Le dihydrogène (H2) est produit à la cathode (-), du dioxygène (O2) à l’anode (+). Ils sont les héritiers d’une technologie centenaire dont le principal point faible est le rendement.
« Mais la recherche-développement est très dynamique, note Olivier Sala. D’autres types d’électrolyseurs sont à l’étude. Nous ne sommes clairement pas au bout des possibilités de cette technologie. » L’électrolyse par membrane échangeuse de protons (PEM) figure parmi les alternatives aux électrolyseurs alcalins les plus abouties. Elle utilise une membrane polymère qui joue à la fois le rôle de séparateur de gaz (O2 ) et (H2) et d’électrolyte. L’hydrogène produit est d’une grande pureté, avec des électrolyseurs plus compacts (car fonctionnant à des courants plus élevés) et plus faciles d’entretien que les alcalins… C’est aussi un électrolyseur pouvant démarrer rapidement, alors qu’il faut une heure à un électrolyseur alcalin pour atteindre son plein régime. Cela en fait un partenaire idéal des énergies renouvelables (éolien, solaire), par nature intermittentes. En revanche, les coûts de fabrication restent importants, et sa durée de vie plus courte que les alcalins.
Pour gagner en compétitivité, il faudra diminuer le prix des électrodes (en platine ou en iridium) et des membranes perfluoro-sulfonées (PFSA). Mais selon un rapport de l’ONG International Council on Clean Transportation de 2020, le kilogramme d’hydrogène produit ainsi devrait passer de 10 euros à moins de 5 euros en 2030, se rapprochant des objectifs fixés par la Commission européenne de moins de 3 euros le kilogramme d’hydrogène « vert ». Avec les électrolyseurs alcalins, le coût se situe aujourd’hui entre 4 et 6 euros.
À un stade de développement moins avancé, l’électrolyse de la vapeur d’eau à haute température n’en est pas moins prometteuse, selon Julie Mougin. « Le rendement d’une électrolyse à 700 ou 800 °C est de l’ordre de 84 % (quantité d’énergie que fournit l’hydrogène produit par rapport à la quantité d’énergie nécessaire pour le fabriquer, ndlr), contre 60 à 70 % pour les autres techniques. Cela s’explique par le fait qu’il faut moins d’énergie pour casser une molécule d’eau lorsqu’elle est sous la forme vapeur que liquide. » Toutefois, ce rendement ne prend pas en compte l’énergie nécessaire pour vaporiser l’eau. « Il est donc indispensable de disposer d’une source de chaleur à proximité. Elle peut provenir de la géothermie, des réacteurs nucléaires ou encore de divers processus industriels (aciéries, cimenteries, raffineries) « .
Un démonstrateur de cette technologie a été installé en avril à Rotterdam (Pays-Bas) dans le cadre du projet européen Multiplhy. Construit dans une raffinerie par la société Sunfire, en collaboration notamment avec le CEA et Engie, il devrait produire 60 kg d’hydrogène par heure à partir de 2,6 mégawatts (MW) d’électricité. « Compte tenu de son haut rendement, cette technique pourrait ramener le coût du kilogramme d’hydrogène à 2 euros, sur la base d’une électricité à 40 euros le MWh « , conclut Julie Mougin.
2/ L’hydrogène naturel
À la mi-mars, dans le Nebraska (États-Unis), a été inauguré le premier puits destiné à l’exploitation d’hydrogène naturel. Ce projet lancé par Natural Hydrogen Energy, une société américaine en partenariat avec la société australienne HyTerra, marque peut-être l’aube d’une nouvelle ère que d’aucuns comparent à celle du pétrole, au début du 20e siècle. Et pourtant, le sujet reste assez confidentiel.
« Les principaux acteurs sont très discrets, remarque Élodie Le Cadre, responsable scientifique chez Engie. L’enjeu est vraiment immense. Il est difficile d’établir des estimations fiables, mais l’hydrogène naturel pourrait couvrir l’ensemble de nos besoins. » Il existe plusieurs mécanismes naturels susceptibles de produire de l’hydrogène, mais le plus connu résulte de réactions d’oxydoréduction entre l’eau et des minéraux ferreux contenus dans certaines roches (olivine, pyroxène), en présence de chaleur (géothermie). L’hydrogène généré remonte ensuite à travers les roches soit pour s’échapper à la surface par des fissures, soit pour rester prisonnier en profondeur dans des roches réservoirs. « Le gaz est produit en permanence, on peut parler d’énergie renouvelable. Et sa production ne génère pas de CO2 « , note Olivier Sala.
Mais cette manne, reconnue depuis seulement une dizaine d’années, ne se livre pas facilement. Les mécanismes de piégeage conduisant à une accumulation d’hydrogène sont des secrets jalousement gardés, encore au stade exploratoire. D’ailleurs, le puits du Nebraska était déjà à l’arrêt mi-avril, confronté à des difficultés techniques. En revanche, l’identification des zones de production progresse. En France, plusieurs sites ont été repérés, dans les Pyrénées-Atlantiques, la Drôme, ou encore en Côte-d’Or. Engie, au travers d’un projet collaboratif avec notamment la start-up française 45-8 Energy, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l’Université de Pau, évalue actuellement le potentiel de l’hydrogène naturel de la région Nouvelle-Aquitaine, ainsi que de l’hélium naturel, un gaz souvent associé à l’hydrogène dans le sous-sol.
3/ Les cellules photoélectrochimiques
L’énergie solaire, gratuite et inépuisable, semble la source idéale afin de fabriquer de l’hydrogène décarboné. Pour l’instant, la solution consiste à alimenter les électrolyseurs avec du courant issu de panneaux photovoltaïques. « La recherche se concentre sur la mise au point de processus de plus en plus intégrés, afin de supprimer la surface prise par les panneaux solaires dans le cas des systèmes photo-électrochimiques. Voire convertir directement l’eau en hydrogène sans électrolyte ni circuit électrique dans le cas des systèmes photocatalytiques « , résume Élodie Le Cadre.
Et des solutions s’élaborent en laboratoire, comme le détaille Laurent Baraton, expert chez Engie. « Nous travaillons à la mise au point de photo-électrodes qui produisent directement les électrons nécessaires à l’électrolyse à partir de la lumière du soleil. Mais il faut beaucoup d’énergie pour casser une molécule d’eau. Les matériaux semi-conducteurs susceptibles de fournir des électrons très énergétiques ne sont efficaces que s’ils capturent des photons eux-mêmes énergétiques, c’est-à-dire dans l’ultraviolet. C’est un domaine du spectre solaire où les photons qui nous parviennent sont peu nombreux. » Il s’agit donc de développer des matériaux sensibles à une palette un peu plus large de photons, en « mordant » sur le bleu du domaine visible. « Nous étudions le comportement de divers semi-conducteurs, comme l’oxyde de titane, l’hématite ou encore le vanadate de bismuth (BiVO4). Il faut mettre au point non seulement de bons convertisseurs lumière/électrons, mais aussi des matériaux avec une bonne tenue dans l’eau puisqu’ils sont plongés dans l’électrolyte, sous le soleil « , détaille Laurent Baraton.
Un autre axe de recherche pour améliorer l’efficacité des dispositifs consiste à jouer sur la géométrie des photo-électrodes, grâce aux nanotechnologies. « En structurant un matériau à l’échelle nanométrique, vous augmentez notamment sa surface utile (où se déroule la conversion photons/électrons, ndlr) sans toucher à son volume, ce qui accroît l’efficacité globale du dispositif « , avance Laurent Baraton. Pour l’instant, le rendement tourne autour de 5 à 6 % de l’énergie solaire convertis en énergie issue de l’hydrogène produit.
« Le seuil de viabilité fixé par le département de l’Énergie des États-Unis est de 10 %. C’est à notre portée en laboratoire. La principale difficulté sera de passer à l’échelle industrielle, en termes de coût et de durabilité. Il faudra sans doute une dizaine d’années pour cela « , ajoute l’expert.
4/ La pyrogazéification et la gazéification
Des procédés permettent d’obtenir de l’hydrogène à partir des déchets, ou de la biomasse. La pyrogazéification consiste à chauffer des végétaux, chiffons, bois de meubles à plus de 1000 °C dans une atmosphère à faible teneur en oxygène. On obtient ainsi du méthane et de l’hydrogène. Ces unités vont valoriser la part solide imputrescible des déchets ménagers et industriels. La filière se structure avec une quinzaine de sites pilotes recensés en France et le développement industriel est attendu pour les prochains mois. À Strasbourg, le procédé alimente ainsi les bus urbains en hydrogène. Cette technologie permet également de produire un coproduit, le biochar, un amendement riche en carbone permettant d’enrichir les sols et d’enfouir pour des siècles du CO2 (lire S. et A. n° 908).
La seconde voie est la gazéification hydrothermale. Il s’agit cette fois de déchets humides (la part humide des déchets ménagers, les lisiers, les boues de station d’épuration, les effluents organiques produits par les usines) que l’on comprime à 250-300 bars et que l’on chauffe entre 400 et 700 °C, là encore pour obtenir un gaz riche en méthane. Il faut ensuite ajouter une phase d’épuration pour obtenir de l’hydrogène.
Le nucléaire peut-il produire de l’hydrogène vert ?
L’électricité d’origine nucléaire doit-elle faire partie des énergies permettant de labéliser l’hydrogène vert ? La question déchire les États européens, pro et antinucléaires, dont les deux principales puissances, la France qui relance son nucléaire et l’Allemagne qui vient de l’abandonner. La position actuelle de la Commission européenne intègre bien les centrales futures, qui utilisent des technologies produisant peu de déchets radioactifs, ainsi que les petits réacteurs SMR en développement, mais pas la deuxième génération des EPR. Pour les centrales existantes, l’Allemagne a indiqué qu’elle considérerait comme vert l’hydrogène produit en France à partir de l’énergie nucléaire. L’Europe doit prendre une décision définitive d’ici à la fin 2023.
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