
Africa-Press – Niger. De nos jours, pour s’autonomiser et s’assurer une résilience alimentaire, les femmes rurales exercent une panoplie d’activités génératrices de revenus. Certaines plus enclines à travailler plus que d’autres pour survivre et subvenir aux besoins familiaux. C’est le cas des femmes du village de Koutoukalé Koira Tégui, dans la Commune Rurale de Karma. Dans cette bourgade, de courageuses femmes s’adonnent à une activité des plus dures, même pour les hommes. Elles sont ramasseuses et vendeuses de graviers. Au quotidien, ces braves femmes (épouses, mères, veuves, divorcées, jeunes filles) de cette localité affrontent plusieurs défis pour s’assurer le minimum vital.
Il est presque 10 heures. Sous un soleil de plomb libérant ces rayons ardents en ce mois d’avril, nous arrivons sur un site pierreux où des femmes de la localité de Koutoukalé Koira Tégui s’activent à l’extraction, puis au ramassage du gravier. Sur ce site qui s’étend sur plusieurs hectares, malgré la chaleur torride et étouffante, une foultitude de femmes colonise déjà les lieux. Pendant que certaines creusent la terre sèche et dure à l’aide de pioches pour extraire du gravier, d’autres plus rapides sont déjà à la phase de tamisage de ce qu’elles ont pu avoir.
Khadîdja Hassane est une d’entre ces combattantes dignes. Elle a le visage couvert de poussière, la sueur perlant sur le front et matériels de travail à la main. Elle confie sans ambages qu’elle exerce cette activité depuis plusieurs années pour aider son mari dans la gestion du foyer. « C’est la pauvreté qui nous a poussé à faire ce travail pénible et fatiguant mais qui nous permet de subvenir aux besoins de la famille », a-t-elle expliqué. Khadîdja, la trentaine révolue, est mère de cinq enfants. Chaque jour, elle laisse à la maison ses enfants pour se rendre sur ce site, son « lieu de travail », exploiter le gravier et le vendre afin de gagner de quoi faire « poser la marmite du soir ». Car, en milieu rural, et c’est une triste réalité, le repas de la journée n’est jamais garanti au lever du jour. Il faut sortir se battre pour l’avoir. Alors, Khadîdja quitte son domicile à l’aube pour aller sur le site et ne rentrer qu’à l’appel de la prière de Zouhr (midi). Le gravier qu’elle ramasse sera acheté pour la modique somme de 25.000f les deux voyages par des camionneurs qui le revendent au double de son prix à Niamey. Cependant, Khadîdja a fait savoir avec désolation que l’argent ne leur est pas aussitôt donné. Elle vend le gravier à crédit. Il faut attendre un mois, voire deux, pour espérer avoir une partie de la somme due. « Si ce n’est pas par contrainte, ce travail n’est pas un travail de femme. Nous n’avons juste pas une autre alternative pour survivre », lâche-t-elle avec tristesse.
Un peu plus loin à côté d’une touffe, dame Hadiza, daba à la main, creuse sans relâche pour extraire du gravier. Malgré l’acharnement du soleil brûlant, elle est concentrée sur ce qu’elle fait comme si sa vie en dépend. Et, ce n’est d’ailleurs pas faux ! Selon cette jeune dame qui parait porter le poids du monde sur ces épaules, elle fait ce travail depuis qu’elle a été conduite dans le village de Koutoukalé Koira Tégui comme jeune mariée. « Depuis que j’ai rejoint le domicile conjugal, je fais ce travail, surtout en période de soudure, pour nourrir ma famille », dit-elle. Hadiza est dans le village de Koutoukalé Koira Tégui depuis 2010. Elle est mère de sept enfants à seulement 30 ans. Contrainte par les circonstances de la vie, elle fait ce travail d’excavatrice et vendeuse de gravier pour subvenir aux besoins de sa famille. Tout comme Khadîdja, Hadiza s’est également plainte du comportement des camionneurs qui viennent prendre le gravier auprès d’elles. « Vous nous voyez faire ce travail mais nous ne gagnons rien dedans. Ceux qui viennent prendre avec nous ne nous donnent pas notre argent comme cela se doit. Parfois, avant d’être payé, il faut beaucoup attendre. La plupart du temps, je suis obligée de m’endetter pour payer du mil ou du maïs », a-t-elle confié.
Sans détour, Halima, une autre ramasseuse de gravier clame sur un ton mélancolique qu’elle fait également ce travail par contrainte. « C’est pour ne pas mourir de faim et pour envoyer mes enfants à l’école que je fais ce travail. Je viens ramasser le gravier pour le revendre à ceux qui nous ont permis de travailler sur ce site. Avant, les camionneurs prenaient le voyage à 30 000F, puis ils ont décidé qu’ils n’achèteront qu’à 25000F. Nous avons accepté parce que le site est à eux et nous, nous avons besoin d’argent pour vivre », a-t-elle expliqué avec amertume. Comme pour se libérer d’un poids, elle poursuit dans la même lancée: « Pour 25 000FCFA, il nous faut creuser et amasser du gravier pendant un mois pour avoir un voyage. Malgré toute la peine qu’on se donne, il faut encore attendre avant d’avoir son argent. Et parfois, on ne nous donne même pas un franc », boude-t-elle avec désolation.
A quelques mètres de là, Hamsou Morou, la soixantaine bien sonnée, foulard attaché autour de la taille, la tête couverte d’un voile, les pieds calleux témoignant de toute la souffrance subie sur ce site, tamise le gravier qu’elle a sorti du sol avant notre arrivée. Hamsou Morou affirme faire ce travail depuis des années. Aujourd’hui la soixantaine révolue, elle continue de faire le même travail. « J’ai toujours fait que ce travail. La construction de la prison de Koutoukalé m’a trouvée dans cette activité. C’est d’ailleurs nous qui avons ramassé le gravier qui a servi à sa construction. A cette époque-là, on ne tamisait pas les pierres, on faisait le tri en balayant. Les camionneurs venaient prendre et nous étions bien payées. Et, grâce à ce que je gagnais, j’ai acheté du bétail, j’ai aidé mes garçons à se marier Alhamdulilah. Mais aujourd’hui, ce n’est plus pareil. Le ramassage de gravier ne nous rapporte presque plus rien », regrette–t-elle. «C’est plus par obligation que par mon propre vouloir que je continue de faire ce travail. Ceux qui viennent prendre le gravier avec nous ne payent pas à temps. Et même quand on réclame notre dû, à peine ils nous donnent 5 000F. C’es avec cette somme qu’on doit jongler pendant quelques jours. Présentement, un camionneur me doit l’argent de deux voyages, soit 50 000F. D’ailleurs, toutes les femmes que vous voyez ici ont des impayés avec eux. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous faisons ce travail », martèle –t-elle, le regard hagard.
Avec un air déprimé, Hamsou Marou poursuit, « nous faisons face à beaucoup de difficultés. Cet espace que vous voyez ne nous appartient pas, il a été vendu à un certain Cissé qui vit à Niamey. Sans l’accord de ceux qui supervisent le terrain pour lui, nous ne pouvons pas extraire du gravier ici. Et, il leur arrive de nous interdire toute activité sur ce plateau ».
Malgré son âge avancé, Hamsou travaille seule. Mais de temps en temps, elle est aidée par sa petite fille Naima, une jeune collégienne que nous avons d’ailleurs rencontrée sur le site.
Plus loin, sur un autre site, Mamou Harouna, un bébé au dos, creuse le sol sans relâche en formant des demi-lunes, loin des autres femmes. Mamou dit travailler pour le compte d’un projet. « Ils sont venus de Niamey. Ils nous ont pris pour creuser ces trous, d’après eux, c’est pour semer du fourrage pour les animaux. On me paye pour chaque demi-lune creusée 450 F. Je viens avec mes enfants, on peut creuser trois par jour. Avec ce qu’on gagne, on paye de la nourriture », dit-elle. Faute de moyens, les enfants de Mamou ne vont pas à l’école, fait-elle savoir. Condamnés par les aléas de la vie, les jeunes enfants aident leur mère pour survivre. A la fin de son contrat, Mamou dit qu’elle va retourner avec ses enfants à son ancien travail, celui du ramassage de gravier.
Ces femmes ne reçoivent aucune quelconque aide de la part de la municipalité. « Personne ne vient nous voir. Nous ne savons même pas s’ils ont connaissance du travail que nous faisons. Mais, nous espérons qu’avec votre aide, ils nous viendront en aide. Nous pouvons mener d’autres activités pour peu que les autorités nous accompagnent. De la nourriture et surtout une formation pouvant nous permettre de faire quelque chose d’autres qui nous rapportera de quoi vivre car, il n’est plus question de rester assises à ne rien faire. Nous sommes prenantes de toute aide pouvant nous permettre d’améliorer nos conditions de vie. Pour vous dire la vérité, nous sommes fatiguées de ramasser du gravier ; nous le faisons par contrainte parce que nous avons besoin de quoi manger », soutient Mamou avec une grande conviction.
L’expression ‘’toutes les femmes sont des reines’’ perd tout son sens sur cette mine où femmes et enfants, tous âges confondus, s’attèlent en creusant et en ramassant du gravier pour avoir de quoi acheter à manger. Et, le calvaire de ces femmes ne se limite pas qu’à l’extraction du gravier. De retour à la maison, elles feront face à une autre réalité, celle du manque d’eau. Elles vont parcourir une longue distance, malgré le corps endolori, pour faire la corvée d’eau et pour la cuisine. Chez les femmes de Koutoukalé Koira Tégui, le choix de métier ne se pose pas. Malgré les risques de maladies auxquels elles sont exposées, ces femmes se battent pour obtenir leur pitance quotidienne. Aujourd’hui plus que jamais, il est urgent de renforcer la résilience, d’agir pour améliorer la condition des femmes et des filles en milieu rural et les autonomiser pour faire des agents de développement. Les femmes de Koutoukalé font montre de résilience et de courage et se battent dans la dignité en travaillant si durement. En effet, le ramassage de gravier n’est rien d’autre que l’expression de la pauvreté ambiante dont ces femmes sont victimes et cette activité, il faut le dire, à d’énormes conséquences non seulement sur l’environnement mais aussi sur leur santé.
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