Une percée historique dans la fusion par laser

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Une percée historique dans la fusion par laser
Une percée historique dans la fusion par laser

Africa-Press – Niger. Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir – La Recherche n°913, daté mars 2023.

C’est une avancée majeure qui vient d’être réalisée par le National Ignition Facility (NIF) aux États-Unis, une installation grande comme trois terrains de football, qui abrite le laser le plus puissant au monde et aura coûté 3,5 milliards de dollars. Voilà soixante-dix ans en effet que la communauté scientifique cherchait à produire en laboratoire et de manière contrôlée l'”ignition par fusion”, un phénomène qui se déroule aussi bien au cœur des étoiles que dans les armes thermonucléaires.

Lors de l’ignition, des noyaux atomiques s’assemblent en libérant des quantités phénoménales d’énergie : suffisamment pour alimenter d’autres réactions de fusion et que celles-ci s’auto-entretiennent. Elles génèrent ainsi davantage d’énergie qu’elles n’en consomment. Et c’est ce graal que les 200 chercheurs du NIF ont réussi à atteindre le 5 décembre 2022 avec leur gigantesque laser.

Le résultat a été jugé si important qu’il a été dévoilé par la secrétaire américaine à l’Énergie Jennifer Granholm depuis Washington. Elle a salué un “exploit historique ” qui permettra à la fois de renforcer la dissuasion nucléaire des États-Unis et de rapprocher l’humanité d’une nouvelle source d’énergie “sûre, abondante et respectueuse de l’environnement “. “Même si le chemin reste long, les expériences du NIF marquent bel et bien un tournant “, estime Greg de Temmerman, chercheur associé à Mines ParisTech et directeur général du think tank Zenon Research. Car “elles prouvent que des réactions de fusion peuvent être utilisées pour fabriquer de l’énergie “, s’enflamme Markus Roth de l’Institut de physique nucléaire de Darmstadt en Allemagne, qui compare les résultats du NIF aux premiers vols contrôlés et motorisés de l’histoire de l’aviation, au début du 20e siècle.

Seules les réactions de fission sont actuellement exploitées pour produire de l’énergie nucléaire. Elles consistent à scinder de gros noyaux atomiques – tel l’uranium – en deux fragments plus petits. C’est par ce mécanisme que les centrales nucléaires génèrent de l’électricité, mais occasionnent aussi des déchets hautement radioactifs. La fusion met en œuvre le processus inverse. Des noyaux légers comme l’hydrogène et ses différents isotopes (le tritium et le deutérium en particulier, qui possèdent les mêmes propriétés chimiques mais une masse légèrement différente) s’assemblent pour former un élément plus lourd, en l’occurrence un noyau d’hélium, ainsi qu’un neutron très énergétique.

Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir – La Recherche n°913, daté mars 2023.

C’est une avancée majeure qui vient d’être réalisée par le National Ignition Facility (NIF) aux États-Unis, une installation grande comme trois terrains de football, qui abrite le laser le plus puissant au monde et aura coûté 3,5 milliards de dollars. Voilà soixante-dix ans en effet que la communauté scientifique cherchait à produire en laboratoire et de manière contrôlée l'”ignition par fusion”, un phénomène qui se déroule aussi bien au cœur des étoiles que dans les armes thermonucléaires.

Lors de l’ignition, des noyaux atomiques s’assemblent en libérant des quantités phénoménales d’énergie : suffisamment pour alimenter d’autres réactions de fusion et que celles-ci s’auto-entretiennent. Elles génèrent ainsi davantage d’énergie qu’elles n’en consomment. Et c’est ce graal que les 200 chercheurs du NIF ont réussi à atteindre le 5 décembre 2022 avec leur gigantesque laser.

Le résultat a été jugé si important qu’il a été dévoilé par la secrétaire américaine à l’Énergie Jennifer Granholm depuis Washington. Elle a salué un “exploit historique ” qui permettra à la fois de renforcer la dissuasion nucléaire des États-Unis et de rapprocher l’humanité d’une nouvelle source d’énergie “sûre, abondante et respectueuse de l’environnement “. “Même si le chemin reste long, les expériences du NIF marquent bel et bien un tournant “, estime Greg de Temmerman, chercheur associé à Mines ParisTech et directeur général du think tank Zenon Research. Car “elles prouvent que des réactions de fusion peuvent être utilisées pour fabriquer de l’énergie “, s’enflamme Markus Roth de l’Institut de physique nucléaire de Darmstadt en Allemagne, qui compare les résultats du NIF aux premiers vols contrôlés et motorisés de l’histoire de l’aviation, au début du 20e siècle.

Seules les réactions de fission sont actuellement exploitées pour produire de l’énergie nucléaire. Elles consistent à scinder de gros noyaux atomiques – tel l’uranium – en deux fragments plus petits. C’est par ce mécanisme que les centrales nucléaires génèrent de l’électricité, mais occasionnent aussi des déchets hautement radioactifs. La fusion met en œuvre le processus inverse. Des noyaux légers comme l’hydrogène et ses différents isotopes (le tritium et le deutérium en particulier, qui possèdent les mêmes propriétés chimiques mais une masse légèrement différente) s’assemblent pour former un élément plus lourd, en l’occurrence un noyau d’hélium, ainsi qu’un neutron très énergétique.

Ce sont des réactions de ce type qui alimentent et font briller le Soleil, lequel fusionne 620 millions de tonnes d’hydrogène chaque seconde. L’astrophysicien anglais Arthur Eddington a été le premier, en 1920, à en suggérer l’existence. Et à envisager que l’humanité puisse utiliser ces réactions “à ses propres fins et disposer d’une source inépuisable d’énergie ” si elles étaient un jour maîtrisées. Un rêve ô combien difficile à concrétiser ! Car les noyaux atomiques n’ont aucune disposition naturelle à s’assembler. Dotés d’une charge électrique positive, ils tendent plutôt à se repousser les uns les autres en raison des interactions électrostatiques.

Pour permettre ce mariage forcé, des conditions aussi extrêmes que particulières se révèlent ainsi nécessaires. Elles sont atteintes dans les régions centrales du Soleil, où l’attraction gravitationnelle de l’astre confine les particules en les empêchant de se disperser. La température dépasse en outre 10 millions de degrés. La matière se trouve alors totalement ionisée, formant une soupe de noyaux atomiques et d’électrons que les physiciens appellent un plasma. Or, dans pareille fournaise, l’agitation thermique est si importante qu’elle permet à des myriades de noyaux d’entrer en collision et finalement de s’assembler.

“Les travaux visant à utiliser la fusion comme une source d’énergie ont débuté au milieu du 20e siècle, rappelle Greg de Temmerman , parallèlement aux programmes militaires américains et soviétiques qui font exploser les premières armes thermonucléaires, en 1952 et 1953 respectivement. ” Dénommées aussi bombes H, ces dernières contiennent un détonateur à fission qui, en explosant, comprime très fortement un combustible d’hydrogène et élève la température à 100 millions de degrés. De quoi déclencher des réactions de fusion et libérer une énergie 1000 fois plus importante qu’avec les bombes à fission ayant anéanti les villes japonaises de Hiroshima et de Nagasaki en 1945. Comment la domestiquer pour des applications civiles et industrielles ?

“C’est une immense gageure, souligne Greg de Temmerman, sachant que la fusion nécessite des conditions extrêmes et ne sera profitable que si elle libère davantage d’énergie qu’il n’en faut pour la provoquer. ” Une technique se développe dans les années 1950. Elle consiste à chauffer et faire fusionner un plasma par des rayonnements micro-ondes, tout en le confinant avec de puissants champs magnétiques. La plupart des réacteurs conçus à cet effet sont appelés tokamaks. Plus de 200 ont été érigés à ce jour, le plus ambitieux – Iter – étant en construction dans le sud-est de la France.

Les avantages de la fusion

Les réactions de fusion entre des noyaux de tritium et de deutérium (deux isotopes de l’hydrogène) apporteraient d’immenses bénéfices si on parvenait à les maîtriser. Elles libèrent une énergie 10 millions de fois supérieure à celle d’une réaction chimique telle que la combustion du charbon, du pétrole ou du gaz, et quatre fois plus que les réactions de fission nucléaire. Contrairement à celles-ci, elles n’engendrent pas de déchets radioactifs de haute activité à vie longue et ne présentent aucun risque d’emballement. Elles ne libèrent aucun gaz à effet de serre ; et le combustible pourrait être directement Tritium Neutron fabriqué par des centrales à fusion.

Un laboratoire impliqué dans le développement de la bombe H

Une autre stratégie est présentée en 1972 par John Nuckolls, physicien au Laboratoire national Lawrence-Livermore (LLNL) en Californie (États-Unis), très impliqué dans le développement des bombes H américaines. Son idée : utiliser la technologie des lasers, inventée une dizaine d’années auparavant, pour allumer un plasma d’hydrogène à de toutes petites échelles d’espace et de temps. L’énergie concentrée dans des impulsions lumineuses chaufferait intensément, en effet, de minuscules capsules recelant un combustible fusible. Leurs enveloppes externes seraient alors aussitôt vaporisées, “ce qui expulserait des gaz autour des capsules tout en comprimant très violemment leurs régions internes – un peu comme dans les tuyères d’une fusée “, indique Dimitri Batani, chercheur au Centre lasers intenses et applications de l’université de Bordeaux. Or, cette implosion extrêmement rapide pourrait engendrer des niveaux de pression et de température plus importants qu’au cœur du Soleil, déclenchant ainsi des réactions de fusion. Maintenues uniquement par les forces de compression et l’inertie du système, elles ne dureraient toutefois qu’un très court laps de temps.

Mais alors que John Nuckolls imagine que des lasers d’une énergie de plusieurs milliers de joules permettraient d’amorcer la fusion et même d’atteindre l’ignition, ceux-ci vont se révéler nettement insuffisants. Des lasers hors norme – des centaines voire des milliers de fois plus énergétiques – seront de fait nécessaires. Et c’est pour les besoins d’institutions militaires que de telles machines seront en premier lieu financées et construites, en raison du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires signé à l’ONU en 1996. Objectif : “Réaliser des expériences de fusion associées à de puissants moyens de calcul, afin de garantir la fiabilité des têtes nucléaires uniquement par des simulations numériques “, explique Greg de Temmerman.

Les plus puissants instruments de ce type se trouvent aux États-Unis et en France. Côté américain, il s’agit donc du NIF, implanté au LLNL ; et pour la France du Laser Mégajoule (LMJ), géré par la direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique et des énergies renouvelables (CEA), à 30 kilomètres de Bordeaux. “Ces installations se ressemblent beaucoup “, note Erik Lefebvre, qui pilote les expériences laser-plasma au LMJ. Elles visent, toutes deux, à faire converger près de 200 faisceaux de très haute puissance vers un cylindre en or de la taille d’un dé à coudre.

Cette cavité émet alors des rayons X en son sein, qui servent eux-mêmes à chauffer et faire imploser des capsules sphériques contenant des isotopes de l’hydrogène (voir l’infographie ci-dessous). Si le fonctionnement du NIF et du LMJ est très similaire, les Américains ont bénéficié de moyens plus importants et progressé plus vite. Leur objectif, en outre, était d’achever la machine avant de démarrer les expériences, alors que le LMJ monte peu à peu en régime en alternant prises de données et phases d’assemblage. Il ne sera ainsi pleinement opérationnel qu’en 2026, le NIF ayant pu l’être dès 2009.

Les chercheurs ont dû progresser empiriquement

“Au départ très optimistes, les Américains pensaient atteindre l’ignition en deux ou trois ans “, signale Erik Lefebvre. Mais le chemin s’est révélé bien plus long et laborieux. “Les prédictions théoriques qui déterminaient les paramètres expérimentaux et devaient nous guider vers l’ignition étaient beaucoup trop imprécises “, lâche Sébastien Le Pape, qui a participé aux expériences du NIF de 2009 à 2019 avant de rejoindre le Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses à Palaiseau. Les chercheurs ont dû progresser ainsi empiriquement.

“Avec souvent le sentiment d’être au milieu de la nuit, se remémore Sébastien Le Pape. À l’issue d’un tir de laser, nous étions totalement déçus trois fois sur cinq, mais les autres fois nous faisions un pas dans la bonne direction. ” La première difficulté concernait la géométrie des implosions. Celles-ci n’étaient pas parfaitement symétriques, ce qui occasionnait des pertes d’énergie, mais le problème a pu être résolu en modulant les propriétés des lasers.

Les implosions suscitaient également des instabilités hydrodynamiques “qui croissaient trop vite et injectaient du matériel froid au sein du plasma “, détaille le chercheur. Là encore, c’est en ajustant les caractéristiques des faisceaux que la difficulté a été surmontée, entre 2013 et 2016. Puis une étape cruciale a été franchie lorsque le NIF a modifié l’enveloppe des capsules, en utilisant non plus des polymères mais un mélange trois fois plus dense de diamant et de tungstène. La durée des impulsions a pu être abaissée ainsi de 21 à 8 milliardièmes de seconde, en concentrant davantage encore l’énergie des faisceaux.

Une température portée à 120 millions de degrés

Tous ces efforts ont fini par payer. En août 2021, le NIF réalisait un tir extrêmement précis de 1,92 million de joules (mégajoules). “Pendant un bref instant, l’accroissement de température produit par les réactions de fusion était alors plus rapide que les pertes causées par les processus de rayonnement et de conduction thermique “, indique Erik Lefebvre. L’énergie dégagée par les neutrons atteignait 1,37 mégajoule, soit un “gain” de 0,71.

C’était certes légèrement mieux que le record (0,67) détenu depuis 1977 par le tokamak britannique JET (Joint European Torus). Mais il restait à démontrer, pour le NIF, qu’un gain supérieur à 1 était atteignable. Et ce jalon a pu être dépassé en décembre 2022, en augmentant de 8 % l’énergie des lasers. Portée à 2,05 mégajoules, elle a déclenché suffisamment de réactions de fusion pour élever la température à 120 millions de degrés et libérer 3,15 mégajoules. Soit un gain de 1,53 : jackpot !

“La fusion nucléaire ressemble un peu à une avalanche, juge Dimitri Batani. Il est très difficile de la faire démarrer, mais une fois que certains seuils sont franchis, les effets deviennent aussi rapides que spectaculaires. ” En poussant leur machine au maximum de ses capacités, le NIF espère produire ainsi 5 mégajoules d’énergie d’ici à trois ans, puis 10 mégajoules en 2028.

Reste à faire sauter quelques verrous technologiques

Le bilan global restera toutefois encore largement déficitaire… car les lasers du NIF engloutissent eux-mêmes 322 mégajoules d’électricité pour fonctionner ! Sans compter qu’une centrale à fusion nécessiterait des gains supérieurs à 100 pour produire de l’électricité à un coût acceptable, selon les calculs des physiciens. Et au moins dix tirs lasers par seconde, alors que le NIF n’en effectue au maximum que trois par jour.

“Cette installation a certes été conçue pour les besoins de l’armée américaine, insiste Greg de Temmerman. Pas pour produire de l’énergie. ” Même si l’ignition constitue à cette fin une étape indispensable, elle est donc loin d’être suffisante, de nombreux verrous technologiques devant encore être levés. L’une des clés consistera à apprendre à se passer de la cavité produisant des rayons X. “Ce dispositif a été choisi par le NIF et le LMJ car il se rapproche du fonctionnement des bombes H et que les instabilités hydrodynamiques sont plus facilement contrôlables “, précise Dimitri Batani. Mais la conversion de l’énergie laser en rayons X entraîne d’énormes déperditions, de plus de 80 %. “Une centrale à fusion devra donc nécessairement irradier les cibles de manière directe “, affirme l’expert, une technique expérimentée en particulier par le laser Omega de l’Université de Rochester, dans l’État de New York.

Les nouvelles technologies laser permettront d’accroître également la fréquence et la puissance des tirs. Conçus dans les années 1990, les instruments du NIF produisent des faisceaux lumineux d’une longueur d’onde bien précise avec un rendement énergétique de seulement 0,5 %. Or, les lasers développés ces dernières années à l’aide de diodes le font désormais avec une efficacité de 10 % – jusqu’à 20 % en théorie – tout en augmentant la cadence de tirs à un par minute. Tel est le cas, par exemple, du laser Aton du programme européen Extreme Light Infrastructure, installé depuis 2019 en République tchèque. Et c’est avec cette nouvelle classe de lasers que la start-up germano-américaine Focused Energy entend construire des réacteurs à fusion de plus en plus performants jusqu’au stade industriel.

“Nous comptons fabriquer un premier prototype en 2026, obtenir un gain de 30 en 2029, puis effectuer dix tirs par seconde en 2037 avec une machine commerciale baptisée Quasar “, annonce ainsi Markus Roth, directeur scientifique de cette entreprise fondée en 2021 avec d’anciens chercheurs du LLNL. “On peut avoir des doutes sur les calendriers communiqués par les nombreuses start-up qui se créent actuellement dans le domaine de la fusion “, tempère Erik Lefebvre. Mais il est clair que celui-ci bénéficie d’un fort engouement – aussi bien pour la fusion par laser qu’avec des tokamaks – qui n’existait pas il y a dix ans. “Les crises climatique et énergétique sont certes passées par là “, observe Erik Lefebvre. Et les avancées scientifiques sont réelles. La percée du NIF galvanise ainsi l’ensemble du secteur, où les financements et nouveaux projets affluent afin de concrétiser le rêve d’Eddington.

L’espoir d’une filière sans déchets

D’autres atomes que l’hydrogène pourraient être utilisés dans des réacteurs à fusion. Les recherches se concentrent, en particulier, sur les réactions entre l’hydrogène et le bore – élément aussi inoffensif qu’abondant. Elles ne génèrent que des noyaux d’hélium et pas de neutrons, donc aucun déchet nucléaire activé par ceux-ci. Le problème, c’est qu’elles nécessitent des températures dix fois plus élevées qu’avec des atomes d’hydrogène… soit près d’un milliard de degrés ! Des start-up comme l’allemande Marvel Fusion ou l’australienne HB11 Energy développent toutefois des procédés qui permettraient de s’en abstraire grâce à des impulsions laser ultracourtes.

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