Cameroun : L’éternel conflit entre francophones et anglophones …

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Cameroun : L'éternel conflit entre francophones et anglophones ...
Cameroun : L'éternel conflit entre francophones et anglophones ...

Africa-Press – São Tomé e Príncipe. Le 10 mai 1957, le Cameroun d’expression française devient un Etat autonome (avec un gouvernement, un hymne, un drapeau et une devise) avec pour Premier ministre André-Marie Mbida. 65 ans après, malgré l’unité du Cameroun francophone et la partie anglophone, les deux peuples n’arrivent pas à regarder dans la même direction.

Sous pression, l’administration française adopte la loi-cadre Defferre, au nom du ministre d’Outre-mer, pour doter les colonies africaines d’une autonomie interne en instaurant des exécutifs responsables devant les Assemblées législatives.

Le Cameroun passe de territoire sous tutelle à un Etat sous tutelle, avec pour conséquence directe la reconnaissance de la citoyenneté camerounaise. C’est ainsi que André-Marie Mbida est nommé Premier ministre, avant d’être choisi par l’Assemblée législative, ALCAM, le 10 mai 1957, qui devient jour de fête nationale.

Le 1er janvier 1960, la partie du territoire camerounais administrée par la France accède à l’indépendance. Un an plus tard, le nord, majoritairement musulman, se prononce pour son rattachement au Nigeria.

Tandis que la province du Southern Cameroons choisit le rattachement au Cameroun francophone malgré la pression du géant nigérian. Les deux entités (anglophone et francophone) camerounaises forment alors une République fédérale le 1er octobre 1961: un seul pays avec différentes Assemblées nationales et deux langues officielles.

Les anglophones obtiennent la prise en compte de leurs spécificités culturelles et l’autonomie de chaque province.

Une liesse de courte durée

« Mais cela ne va pas durer.Tout ne s’est pas bien passé après cette réunification. Les anglophones ont dès lors commencé à regretter leur union avec les francophones. Les deux régions anglophones, qui représentent environ 20 % de la population, se sont plaintes à plusieurs reprises de discrimination et d’exclusion.

Des manifestations organisées pendant toute l’année 2016 dans les régions anglophones du Cameroun ont dégénéré en guerre civile en 2017 et le conflit continue en zone anglophone», estime l’écrivain camerounais, Félix Nicodème Bikoï.

Malgré les scènes de joie que cette réunification avait engendré dans presque tout le pays, il y avait un goût d’inachevé aux yeux des autres, voire, un sentiment de révolte.

De ce jour, voici ce que l’écrivain camerounais Enoh Meyomesse dit : « Le dimanche 1er octobre 1961, les Camerounais avaient fêté la reconstitution partielle de leur patrie. Nous nous en souvenons comme s’il s’agissait d’hier, tellement l’événement avait été grandiose.

A n’en pas douter, dans la quasi-totalité des foyers de la ville de Yaoundé, pour ne pas dire de toutes les grandes villes du Cameroun, des mets spéciaux avaient été préparés, et les tourne-disques distillaient abondamment de la musique.

Trois mois auparavant, cependant, à savoir le jeudi 1er juin 1961, les Camerounais avaient passé la journée à abreuver d’injures l’ambassade de Grande-Bretagne, sise au quartier Hippodrome à Yaoundé, et à en cribler la clôture de cailloux.

La raison ? Ils protestaient contre le rattachement, ce jour-là, du Northern Cameroons au Nigeria. Cela était la conséquence du référendum truqué des 11 et 12 février 1961, à l’issue duquel, le Southern Cameroons avait opté pour la reconstitution du Kamerun, et le Northern Cameroons, pour son démembrement définitif ».

Après l’accès du Cameroun au statut d’État fédéral le 1er octobre 1961, la réforme constitutionnelle de 1972 modifia complètement la donne, en faisant du Cameroun une république unitaire doté d’une Assemblée unique et d’un pouvoir centralisé à Yaoundé.

Cette modification constitutionnelle, bien qu’issue d’un référendum, priva tout de même la région anglophone de l’autonomie et de la reconnaissance qu’elle avait pourtant obtenue en 1954.

Le Southern Cameroon devint alors une région de la République du Cameroun.

Frustration

« En 1984, cette région fut divisée en deux provinces connues aujourd’hui sous les noms de régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest : le NOSO.

Ce processus qui, initialement, visait à améliorer le maillage administratif est, à ce jour, l’une des causes de la transformation de la crise anglophone : d’un désir de reconnaissance à l’époque à un désir de sécession pour les uns et d’autonomie pour les autres », souligne le Dr Christian Pout, président du think tank Centre africain d’Etudes Internationales Diplomatiques Economiques et Stratégiques (CEIDES).

Dans l’Etat unitaire, la répartition des postes et des prébendes entre les francophones et les anglophones, ainsi que le clientélisme politique achèveront un tableau qui explique en grande partie la crise actuelle.

« Pour avoir été dépouillé des importantes compétences qu’exerçait, en toute autonomie, l’Etat du Cameroun occidental (partie anglophone), nombre de compatriotes de cette partie du territoire ont développé un profond sentiment de nostalgie, de malaise, de frustration et d’inconfort », a souligné un ex-gouverneur des régions anglophones, David Abouem, à Tchoyi.

« Ce sentiment s’est accentué au fil des années qui ont suivi l’avènement de l’Etat unitaire, car il a alors fallu que les anglophones aillent à Yaoundé pour faire avancer leurs dossiers », a-t-il précisé ajoutant que dans la capitale, Yaoundé, « certains anglophones se sentaient humiliés, on les obligeait à « baragouiner un franglais (un mélange du français et de l’anglais) à peine intelligible, souvent au milieu des rires et des quolibets ».

Ecartés peu à peu de la haute administration et du secteur public, les anglophones vont se sentir marginalisés. Ils se plaignent d’être traités comme les « esclaves » des francophones.

Certains, très minoritaires, commencent alors à exiger la sécession.

Revendications

Dans les années 1990, les revendications anglophones en faveur d’un référendum se multiplient.

« Depuis l’indépendance du Cameroun, chaque 1er octobre, des manifestations séparatistes ont lieu dans les régions anglophones. Il y a des radios qui émettaient pour faire la propagande sur la sécession du Cameroun. Les auteurs de ces manifestations ont été traqué et arrêtés.

Le 1er octobre reste pour la plupart une date mystérieuse, voire inexistante », explique Me Agbor Balla, défenseur des droits de l’homme et l’un des déclencheurs de la crise dite anglophone. En 2001, le 40e anniversaire de l’unification est marqué par des manifestations interdites qui dégénèrent, faisant plusieurs morts.

Les récentes tensions ont commencé en novembre 2016 avec, essentiellement, des revendications d’enseignants déplorant la nomination de francophones dans les régions anglophones, ou d’avocats rejetant la suprématie du droit romain (français) au détriment de la Common Law anglo-saxonne.

« La situation s’était tendue encore plus entre les grévistes anglophones et le gouvernement. Des interruptions d’Internet dans la zone anglophone ont été constatées entre 2016 et 2017.

Par ailleurs, l’interdiction d’émettre, depuis le 10 janvier 2017, de l’une des radios les plus écoutées de Bamenda, Radio Hot Cocoa (FM94) avait ajouté au climat de reprise en main par les autorités de Yaoundé », souligne l’opposant camerounais originaire du Nord-Ouest, Ni John Fru Ndi.

La mobilisation des avocats, enseignants et étudiants à partir d’octobre 2016, ignorée puis réprimée par le gouvernement, a ravivé des mouvements identitaires datant des années 1970, qui demandent le retour au modèle fédéral existant entre 1961 et 1972.

Sonnette d’alarme

« L’arrestation des figures de proue du mouvement et la coupure d’Internet en janvier ont achevé de saper la confiance entre le gouvernement et les activistes anglophones », a relevé l’ONG Crisis Group dans un rapport publié le 2 aout 2017.

En août 2017, cette ONG a tiré la sonnette d’alarme sur le risque d’une insurrection au Cameroun anglophone si un dialogue sincère, accompagné de mesures fortes de décrispation, n’était pas entamé.

Malheureusement, la crise en cours depuis un an a franchi un cap en novembre de la même année quand elle s’est accompagnée d’attaques armées contre les forces de défense.

Suite à la répression par les forces de défense et de sécurité des manifestations du 22 septembre et du 1er octobre 2017, le camp séparatiste s’est endurci et gagne en popularité.

Les francophones et les entreprises françaises installés en zone anglophone ont été, maintes fois, ciblés par des activistes anglophones. « Les séparatistes ont demandé aux francophones de quitter les régions anglophones sinon ils seront attaqués.

Certains ont mis leurs menaces à l’œuvre. Plusieurs entreprises françaises telles que les brasseries du Cameroun ont été attaquées et incendiées. Il y ressort un sentiment anti-francophone.

Les anglophones estiment toujours qu’ils ont été trompé lors du referendum du 1972 les reliant à la partie francophone », note l’historien camerounais, le Prof Ndjana Mono.

« Souvent méconnu de la partie francophone, le problème dit anglophone existe au Cameroun depuis les indépendances.

Une réunification mal conduite, fondée sur un projet centraliste et assimilationniste, a mené à un sentiment de marginalisation économique et politique de la minorité anglophone et à une prise en compte défectueuse de sa différence culturelle », conclut l’ONG Crisis Group.

Le Président camerounais, Paul Biya, lui, ne cesse de rappeler à ses compatriotes, dans ses discours de fin d’année, que « le Cameroun est Un et indivisible ! Il le demeurera.

Il tire sa richesse et sa force de la diversité de son peuple, de ses cultures et de ses langues. C’est ce pluralisme qui vaut à notre pays, considération, respect et admiration ».AA

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