‘Nous voulons des milliards de dollars pour guérir nos blessures’

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'Nous voulons des milliards de dollars pour guérir nos blessures'
'Nous voulons des milliards de dollars pour guérir nos blessures'

Africa-PressSão Tomé e Príncipe. Par Samantha Granville

à Windhoek, Namibie

Entre les eaux bleues de l’océan Atlantique et les dunes dorées et luxuriantes de la côte namibienne se trouve le terrain d’un ancien camp de concentration allemand.

C’est ici qu’au début du XXe siècle, les Ovaherero et les Nama ont été soumis à des violences sexuelles, au travail forcé et à des expériences médicales horribles. Beaucoup sont morts de maladie et d’épuisement.

Uahimisa Kaapehi dit avoir le cœur lourd en se tenant sur les restes de ses ancêtres.

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Descendant de l’ethnie Ovaherero, il est également conseiller municipal dans la ville de Swakopmund, où de nombreuses atrocités ont eu lieu.

M. Kaapehi explique que ce qui s’est passé il y a plusieurs générations a toujours un impact profond sur ses moyens de subsistance.

“Nos richesses ont été prises, les fermes, le bétail, tout, je n’étais pas censé souffrir cela au moment où je parle”, dit-il.

“Et nous – en tant qu’Ovaherero et Nama – ne sommes pas censés souffrir”.

Les historiens qualifient de premier génocide du XXe siècle ce qui s’est passé entre 1904 et 1908, dans ce qui est aujourd’hui la Namibie.

Les forces coloniales allemandes ont déplacé et tué des milliers d’Ovaherero et de Nama après un soulèvement contre les dirigeants coloniaux.

On estime que 60 000 Ovaherero, soit plus de 80 % de la population totale du groupe ethnique dans la région, et 10 000 Nama, soit 50 % de sa population, ont été tués au cours de cette période.

Pourquoi les excuses de l’Allemagne pour le génocide en Namibie ne sont pas suffisantes

En mai, le gouvernement allemand a pour la première fois reconnu officiellement les atrocités commises à l’époque coloniale.

Il a reconnu les massacres comme un génocide, s’engageant à faire un “geste pour reconnaître l’immense souffrance infligée”. Mais l’Allemagne n’a pas qualifié ce geste de réparation.

‘Nous voulons des terres’

La somme s’élève à 1,1 milliard d’euros. Il est entendu que la somme sera versée sur 30 ans et qu’elle doit bénéficier en priorité aux descendants des Ovaherero et des Nama.

Mais les descendants, dont M. Kaapei, ne pensent pas que l’accord constitue une excuse sincère pour ce qui s’est passé.

“C’était la blague du siècle”, dit-il.

“Nous voulons nos terres. L’argent n’est rien.

“Nous voulons qu’ils [le gouvernement allemand] viennent et présentent des excuses. L’argent sert juste à dire ce qu’ils ont fait de mal à notre égard.

“Les gens qui m’ont lapidé m’ont fait élire”

“Et nous ne voulons pas une cacahuète. Nous voulons des trillions. Nous voulons des trillions qui puissent guérir nos blessures.”

M. Kaapehi affirme que son groupe ethnique a perdu un siècle de traditions, de culture et de moyens de subsistance – et il est impossible de mettre un prix là-dessus.

Les terres et les ressources naturelles qui ont été confisquées ont plongé sa famille dans une pauvreté générationnelle.

Les militants estiment qu’il n’est que juste que le gouvernement allemand rachète les terres ancestrales aujourd’hui aux mains de la communauté germanophone et les rende aux descendants des Ovaherero et des Nama.

‘Retirer le couteau de la plaie’

Pourtant, l’ampleur des réparations a des répercussions au-delà de l’Allemagne et de la Namibie – et pourrait créer un précédent pour d’autres pays ayant un passé colonial.

Les universitaires américains Kirsten Mullen et Sandy Darity, qui soutiennent les réparations pour les descendants de la traite des esclaves, affirment que cela signifie que toute concession faite sera probablement faible et ne sera accordée qu’en dernier recours.

Dans leur livre From Here to Equality, ils font référence à Malcolm X, militant américain des droits de l’homme, qui a dit une phrase célèbre : “On n’enfonce pas un couteau dans le dos d’un homme de neuf pouces pour ensuite le retirer de six pouces et dire que l’on fait des progrès”.

Dans le cas de l’Allemagne et de la Namibie, Mme Mullen et M. Darity s’accordent à dire que l'”aide au développement” ne revient pas nécessairement à guérir le coup de couteau – ce n’est que la première étape.

“Retirer le couteau n’est pas une réparation, mais c’est essentiel. Mais ce n’est pas une réparation. L’acte de réparation est la guérison de la blessure”, dit M. Darity.

“Et donc, si vous considérez ces fonds de développement comme une forme de retrait du couteau, alors il ne s’agit pas de réparations”, ajoute M. Darity.

Le débat sur les réparations en Namibie n’est pas sans ironie, puisque l’Allemagne a créé un précédent dans les années 1890.

L’historien allemand Horst Drechsler note qu’avant le génocide, l’Allemagne a exigé des réparations des communautés Ovaherero et Nama après qu’elles aient organisé un soulèvement contre les colonialistes.

Ces réparations devaient être versées sous forme de bétail – environ 12 000 animaux – dont l’historien germano-américain Thomas Craemer estime qu’il représente l’équivalent moderne de 1,2 à 8,8 millions de dollars, somme qui, selon lui, devrait être ajoutée aux réparations.

Pour M. Craemer, qui est spécialisé dans les réparations, la boîte de Pandore est maintenant ouverte – et il affirme que les réparations plus étendues à payer par les autres anciennes puissances coloniales ne sont qu’une question de temps.

Cela est dû en partie à l’évolution démographique des pays occidentaux à majorité blanche, où une population plus diversifiée obligera les gouvernements à faire face aux griefs du passé.

“Les gens ne sont pas [uniquement] déterminés par le groupe auquel ils appartiennent. Il est possible que les gens ressentent une solidarité émotionnelle avec les personnes qui ont été touchées par l’injustice historique”, explique M. Craemer.

“Même s’ils font eux-mêmes partie du groupe qui a commis l’injustice”.

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