Les anciens chasseurs-cueilleurs des Andes se nourrissaient essentiellement de pommes de terre

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Les anciens chasseurs-cueilleurs des Andes se nourrissaient essentiellement de pommes de terre
Les anciens chasseurs-cueilleurs des Andes se nourrissaient essentiellement de pommes de terre

Africa-Press – São Tomé e Príncipe. Pour désigner les groupes sociaux préhistoriques, on se réfère à leur mode de subsistance en parlant de “chasseurs-cueilleurs”. Or ce terme recouvre bien des nuances, comme ne cessent de le démontrer de récentes études. Malgré les idées préconçues qui voudraient que la chasse soit attribuée aux hommes et la cueillette aux femmes, on pouvait compter des femmes parmi les chasseurs. C’est ce qui a été constaté en 2020 sur le site archaïque andin de Wilamaya Patjxa, au Pérou, où les restes d’un individu entouré de ses armes ont finalement été identifiés comme ceux d’une femme, alors qu’on supposait au départ qu’il s’agissait d’un homme.

Comme le confiait à Sciences et Avenir l’archéoanthropologue américain Randall Haas, à l’origine de cette découverte, il faut admettre que l’archéologie s’est bien souvent construite sur des préjugés, donnant “le beau rôle” au masculin. Pendant la préhistoire, “le beau rôle”, c’est celui de chasseur, impliquant adresse et prestige – notamment parce que la chasse était le mode privilégié d’apport de nourriture. Mais en est-on certain ? En étudiant les ossements d’une vingtaine d’individus ayant vécu sur les hauts plateaux andins entre 7000 et 4500 avant notre ère, l’équipe de Randall Haas arrive à une étonnante conclusion, publiée dans la revue PLoS ONE: en réalité, la viande n’était pas souvent au menu, puisque ces chasseurs-cueilleurs se nourrissaient à 85% de végétaux. Encore un préjugé qui s’effondre !

Les anciens chasseurs-cueilleurs des Andes se nourrissaient essentiellement de pommes de terre

Pour connaître le régime alimentaire des chasseurs-cueilleurs andins, l’équipe de Randall Haas a étudié les ossements de 24 individus provenant de deux sites funéraires localisés sur l’Altiplano de la Cordillère des Andes, au Pérou, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest du lac Titicaca. Wilamaya Patjxa est le plus ancien, puisqu’il date au moins de 9000 ans (de 7000 à 6700 avant notre ère), tandis que Soro Mik’aya Patjxa est plus récent, avec une occupation s’étendant de 6000 à 4500 avant notre ère.

Les fouilles archéologiques ont mis en évidence que lors de la période précédente (vers 9500 avant notre ère), les humains pratiquaient la chasse aux grands mammifères, comme en attestent les artefacts (pointes de projectiles ou grattoirs) et les restes d’animaux (camélidés et cervidés) mis au jour. À partir de ces découvertes, on a présumé que la chasse était le mode de subsistance privilégié dans cet écosystème spécifique qu’est la puna, à 3800 mètres d’altitude.

Le signal archéologique de la chasse résulte-t-il d’un biais de conservation ?

La même configuration se retrouve sur les sites plus récents de Wilamaya Patjxa et Soro Mik’aya Patjxa: présence d’artefacts lithiques en grand nombre et abondance d’ossements animaux, ce qui “indique un investissement considérable dans la chasse aux grands mammifères terrestres”, notent les chercheurs. Mais d’autres indices laissent deviner une plus grande diversité du régime alimentaire: la préservation d’artefacts en terre suggère la préparation de ressources végétales, et l’usure des incisives supérieures des défunts est caractéristique de la consommation de tubercules.

Ces indices amènent les chercheurs à se demander si la viande est bien restée le principal mode d’alimentation, ou si cette supposition relève non seulement du préjugé, mais aussi d’une surexposition archéologique de la chasse, grâce au biais de conservation favorisant la découverte d’artefacts lithiques et osseux, alors que les matières végétales organiques se dégradent plus facilement et plus vite.

L’objectif est de chercher des preuves directes

Dans la mesure où les deux indices mis en évidence – la présence de céramiques et l’usure dentaire – relèvent de la preuve indirecte, l’objectif est de trouver des preuves directes confirmant la présence de végétaux dans le régime alimentaire des chasseurs-cueilleurs andins. Les chercheurs recourent alors à des méthodes biochimiques à même de le révéler: l’analyse des isotopes stables du carbone et de l’azote détectés dans les ossements des 24 individus va permettre de connaître leur alimentation, car ces isotopes stables à l’origine présents dans les ressources alimentaires entrent dans la composition des os des individus qui les absorbent. Pour spécifier les espèces consommées, les valeurs isotopoques sont combinées à des observations des restes animaux et végétaux prélevés dans une cinquantaine de fosses de cuisson ou de stockage sur les deux sites.

Une alimentation essentiellement végétale

Les chercheurs ont été les premiers à être surpris par les résultats, car les valeurs isotopiques mesurées se rapprochent le plus de celles des plantes, la viande ne jouant qu’un rôle minoritaire. Les proportions sont étonnantes, avec environ 86% pour les végétaux, 9% pour la viande et 4% pour le poisson. Afin de préciser les espèces consommées, l’équipe a tamisé le sol des fosses et retrouvé plus de 3000 fragments d’os d’animaux, essentiellement des grands mammifères: camélidés, comme la vigogne (Vicugna vicugna), et cervidés, comme le taruca (Hippocamelus antisensis, cerf andin).

Pour ce qui est des végétaux comestibles, “il est très peu probable que des restes végétaux non carbonisés aient pu être préservés, de sorte que l’analyse se limite aux restes carbonisés”, avertit l’étude. Ce sont les parenchymes (tissus cellulaires) qui prédominent – les paléoethnobotanistes les interprétant comme des fragments de tubercules sauvages –, tandis que les graines de chénopodes (comme le quinoa ou le kañawa) sont pratiquement absentes. Ces observations mettent également en lumière de très nombreux fragments de bois et la présence de graines de graminées (Poaceae), ce qui pourrait correspondre à un usage combustible. En effet, n’étant pas comestibles pour les humains, ces graines de graminées proviennent très certainement d’excréments de camélidés.

Finalement, peu de viande au menu

Ce régime alimentaire contredit donc le préjugé sur la chasse et interroge les chercheurs, qui proposent plusieurs hypothèses pour l’expliquer. Ils envisagent ainsi la possibilité que la chasse pratiquée au cours de la période précédente ait décimé les populations de grands mammifères ; on ne sait pas exactement quand les premiers groupes humains sont arrivés sur ces hauteurs, mais comme il en existe des traces dès 9000 avant notre ère, deux millénaires de chasse auraient pu avoir un impact considérable sur la présence de ces espèces.

Autre supposition: Il est possible que les populations aient non seulement chassé, mais également consommé des végétaux de manière indirecte en “incorporant des digestats animaux dans leur régime alimentaire, ce qui pourrait à la fois expliquer les signatures archéologiques de la chasse – os d’animaux et pointes de projectiles – et les valeurs d’azote appauvries observées dans la chimie des os humains”. Enfin la dernière possibilité, c’est que l’idée que l’on s’est forgée d’une chasse et d’un régime carné prédominants relève tout simplement de l’erreur: en résumé, peut-être que “les premières populations n’ont tout simplement pas chassé autant qu’on le pensait”, conjecturent les chercheurs.

Une alimentation non domestiquée

Ils constatent également que le modèle mis en évidence par les paléoethnobotanistes pour caractériser la domestication animale et végétale sur les hauts plateaux andins n’est pas encore en place, mais que les prémices en sont jetées. Ce modèle repose en premier lieu sur la domestication des camélidés, qui, lorsqu’ils ont été enfermés dans des enclos, ont transporté sous leurs sabots des graines de plantes qui ont pu se développer grâce à la fertilisation fournie par leurs propres excréments. Les plantes concernées par ce processus dit coévolutif sont les chénopodes, mais aussi une quinzaine d’espèces de racines et de tubercules comme le maca (Lepidium mevenii Walp.) et la pomme de terre (Solanum tuberosum L.).

Dans la mesure où les tubercules retrouvés sur le site de Soro Mik’aya Patjxa ne sont probablement pas du maca, qui pousse plus au nord, il s’agit plutôt d’espèces de pommes de terre sauvages. Les chercheurs en déduisent que si la domestication des camélidés – et donc de la pomme de terre – a lieu environ deux millénaires plus tard (après 3000 avant notre ère), une “dynamique coévolutive humain-tubercules-camélidés aurait toutefois débuté il y a environ 9000 ans sur l’Altiplano andin”, se caractérisant par “une prédominance de la recherche de plantes, une moindre attention à la chasse aux grands mammifères et une quasi-absence de chasse aux petits animaux et à la pêche”.

Devant ces résultats, ils préconisent de pratiquer ce même type d’analyses isotopiques sur des restes de chasseurs-cueilleurs dans d’autres régions du monde, car le même biais constaté en faveur de la chasse et de l’alimentation carnée pourrait y être constaté. Leur étude démontre ainsi qu’en restant ancré sur cette prédominance dans le mode de subsistance, on pourrait passer à côté de formes d’économies basées sur les ressources végétales, qui ont bien souvent ouvert la voie aux premières économies agricoles – un phénomène qui aurait donc pu avoir lieu bien plus tôt qu’on ne le pensait.

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