Africa-Press – São Tomé e Príncipe. Vous vous souvenez du film Matrix, dans lequel des machines utilisent le métabolisme des humains comme source d’électricité ?”, nous demande la professeure Ardemis Boghossian. “Eh bien, nous avons fait la même chose, mais avec des bactéries !” Avec son équipe de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), cette chercheuse est parvenue à modifier la bactérie Escherichia coli (E. coli) pour qu’elle soit capable de produire de l’électricité.
Les “super-pouvoirs” d’une bactérie transmis à une autre
En réalité, il existe des bactéries capables de produire naturellement de l’électricité lorsqu’elles respirent. Par exemple, la bactérie Shewanella oneidensis MR-1 réussit ce tour de force grâce à un processus appelé le transfert extracellulaire d’électrons. Une protéine située à la surface de sa membrane lui permet de déplacer des électrons de l’intérieur vers l’extérieur de sa cellule. Et un mouvement d’électrons, c’est simplement un courant électrique !
Cependant, il est difficile de mettre les propriétés électrogéniques de Shewanella oneidensis MR-1 en application, car son métabolisme est plutôt lent et elle s’adapte mal aux différents environnements. Quant à E. coli, elle ne produit pas d’électricité en temps normal, mais peut proliférer massivement dans toutes sortes de milieu. Surtout, c’est la bactérie la plus étudiée au monde, alors on connaît assez son génome pour la modifier génétiquement.
Les scientifiques de l’EPFL ont donc réussi à transférer les “super-pouvoirs” de Shewanella oneidensis MR-1 dans E. coli à l’aide du génie génétique. Cette souche d’E. coli modifiée peut ainsi servir dans des piles à combustible microbiennes (lire l’encadré ci-dessous). “Avec notre système, les électrons générés par E. coli sont transférés vers une électrode. On arrive donc à exploiter le métabolisme de la bactérie pour recevoir de l’énergie dans une forme qui nous est utile”, explique le doctorant Mohammed Mouhib, auteur principal de l’étude.
Comment une bactérie peut-elle générer de l’électricité ?
Une pile à combustible microbienne utilise des électrodes pour capter l’énergie produite par le métabolisme des bactéries, autrement dit, par leur respiration cellulaire. Essentiellement, la respiration cellulaire consiste à convertir le glucose en énergie à travers une série de réactions chimiques qui transfèrent des électrons d’une molécule à une autre. Toutefois, le mécanisme de respiration est particulier chez les bactéries électrogéniques, car le circuit de transfert d’électrons s’étend au-delà de leur cellule. Elles peuvent donc libérer leurs électrons vers des surfaces conductives comme des électrodes et ainsi générer du courant électrique !
Tirer profit des eaux usées
La bactérie a besoin de glucose pour générer de l’électricité. “Nous ne voulions pas lui donner le même sucre que nous mangeons, précise Ardemis Boghossian, alors nous avons choisi de la nourrir avec des déchets.” En effet, la source de nourriture du super-microbe était des eaux usées provenant d’une brasserie.
De toute manière, il faut dégrader les molécules complexes lors du traitement des eaux usées, ce qui requiert habituellement de l’énergie. Mais avec le système développé par les chercheurs, E. coli se charge elle-même de cette étape, et en plus, elle génère de l’énergie plutôt que d’en consommer ! Ce qui rend la bactérie doublement intéressante.
En outre, E. coli peut digérer presque n’importe quoi, alors l’équipe de l’EPFL y voit un énorme potentiel dans plusieurs industries. Enthousiaste, la professeure nous confie : “nous sommes en Suisse, donc en plus de la bière, nous avons des fromageries. Et je pense que les eaux usées de la production de fromage seraient une excellente option pour E. coli !”
Une application réaliste ?
Cependant, le chercheur en génie chimique au CNRS Alain Bergel – qui n’a pas participé à l’étude – est plutôt sceptique. Bien qu’il salue la prouesse des chercheurs pour avoir transformé E. coli en bactérie électrogénique, il croit que ce modèle de production d’électricité ne tient pas la route.
“Je pense qu’il faut poursuivre la recherche fondamentale sur le transfert extracellulaire d’électrons, car c’est un pan encore largement inexploré du monde microbien, avec des champs d’application sans doute insoupçonnés”, explique-t-il. “J’y vois de l’avenir, mais certainement pas dans la production massive d’électricité à partir d’effluents.” Avec ses propos, Alain Bergel déplore le manque de subventions en recherche fondamentale, ce qui pousse les scientifiques à présenter des ambitions excessives à leurs résultats.
Mais selon l’équipe de l’EPFL, sa découverte est loin d’être une fausse promesse. “Je ne dis pas que les bactéries pourront alimenter le réseau d’électricité, mais je pense qu’elles pourront compenser le coût de production de certaines industries”, affirme Mohammed Mouhib avec confiance. “Nous avons délibérément ciblé les eaux usées de brasserie, renchérit Ardemis Boghossian, parce que nous savons que l’expérience peut être applicable à plus grande échelle.”
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