Covid au Sénégal : le pays au bord de l’asphyxie ?

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Covid au Sénégal : le pays au bord de l'asphyxie ?

Africa-PressSenegal. Marième Datt se réveille un matin avec des courbatures, des maux de tête et se sent faible. Nous sommes le mardi 20 juillet. Elle pense tout de suite au Covid-19, croyant reconnaître dans son mal les symptômes de la maladie, mais elle ne va pas à l’hôpital.

“J’avais reçu comme information qu’il n’y avait pas de place dans les hôpitaux alors j’ai fait de l’automédication…Ensuite, j’ai commencé à faire de l’hypoglycémie. Mercredi tout s’est chamboulé.”

La famille de Marième l’emmène au centre de santé Gaspard Camara à Dakar. Mais sur place, ils apprennent qu’elle ne pourra pas être prise en charge. Sa famille appelle alors dans tous les hôpitaux de la ville pour tenter de lui trouver une place quelque part. Mais partout, c’est la même réponse, il n’y a pas de place.

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“On a aussi cherché de l’oxygène partout. Dieu merci un jeune médecin de la Croix Rouge rattaché à l’Université Cheikh Anta Diop avait une bouteille. Il m’a oxygénée et m’a injecté de l’antibiotique. A 17 h 30 par chance, une place s’est libérée et j’ai été hospitalisée pendant une semaine.” raconte-t-elle.

“Je suis sortie pour poursuivre le traitement à la maison comme je peux respirer sans oxygène et ça permet de libérer un lit pour les gens qui en ont plus besoin” explique-t-elle.

Le cas de Marième Datt est loin d’être une exception aujourd’hui au Sénégal.

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Depuis début juillet, le nombre de cas de Covid, en particulier dans la région de Dakar, a augmenté rapidement. Cette troisième vague entraîne une pénurie en oxygène et remet au centre le défi de la vaccination de masse.

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L’analyse des prélèvements montre une présence du très contagieux variant Delta de l’ordre de 70%, a indiqué, la semaine dernière, la présidente du Comité national de gestion des épidémies (CNGE), Dr Marie Khémess Ngom Ndiaye.

Des hôpitaux ‘proches de la saturation’

Les hôpitaux de la capitale Dakar, en particulier, sont “proches de la saturation” et le personnel “en burnout”, a averti la semaine dernière le directeur national des établissements publics de Santé, Ousmane Dia.

Même son de cloche du côté du Centre de Traitement des Épidémies (CTE) de l’hôpital Fann. Là-bas, les lits équipés d’oxygène sont tous occupés.

Les cas de Covid-19 ont bondi de quelques dizaines par jour à la fin du mois de juin à 1.700 en juillet. A Dakar, tous les centres de traitement des épidémies sont pleins nous confie le Dr Khardiata Diallo du Centre de Traitement des Epidemies de l’hôpital Fann.

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“Aux urgences de l’hôpital Fann, il nous arrive d’être tellement débordés que certains patients sont assis sur des chaises où on les oxygène le temps d’appeler le SAMU (Le Service d’Assistance Médicale d’Urgences) pour voir s’il n’y a pas de place ailleurs.”

‘Tout le monde est fatigué’

Marième Datt se souvient d’un personnel soignant dépassé par les événements. Elle soutient que de mercredi à samedi personne dans l’équipe médicale qui la suit n’a pu rentrer à la maison.

“Il y avait des malades assis sur des chaises avec des bouteilles, d’autres couchés à même le sol par manque de place mais qui refusaient de rentrer chez eux. Les médecins étaient saturés parce que nous les appelions tout le temps”, dit-elle.

Docteur Diallo confirme.

“On est fatigués, physiquement, moralement, on est au bord du burnout. Ca va bientôt faire deux ans…Ce qu’on vit en ce moment, on ne l’a jamais vu. Tout le monde est fatigué, le personnel médical et paramédical, tout le monde est fatigué” lâche le docteur Khardiata Diallo.

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“Quand tu as un patient qui désature [baisse du taux d’oxygène contenu dans le sang], tu ne sais pas quoi faire. Tu n’as qu’une seule bonbonne d’oxygène, un seul masque à haute concentration. Tu te bats pour trouver de la place dans les CTE et ça peut aller jusqu’à minuit une heure du matin. Tu ne dors pas”, nous raconte un autre medecin, le docteur Djiba Ramos.

“J’ai eu un cas critique. J’ai passé six jours avec lui ici avant de trouver une place dans un CTE. Il a fallu que je mette à sa disposition un médecin et un infirmier 24 heures sur 24, et moi j’étais là en train de coordonner. Je ne dormais que 30 min par jour,” dit-elle.

L’équation de l’approvisionnement en oxygène

La recherche active de l’oxygène ne se limite plus aux couloirs des hôpitaux, cliniques et centres de santé, mais est devenue l’affaire de monsieur et madame tout le monde au Sénégal.

Tous les jours ou presque, des annonces de personnes à la recherche d’oxygène pour un parent ou ami sont postées sur les réseaux sociaux.

Une cagnotte en ligne a été créée par les internautes pour venir en aide aux familles avec des patients atteints d’une forme grave de covid-19 et qui n’ont pas les moyens de s’en procurer.

Car pour les nombreux malades qui ne parviennent pas à trouver une place dans les centres de traitement et qui sont donc obligés de se rabattre sur les cliniques privées, il faut payer de sa poche. Et l’oxygène, de même que le traitement de façon générale pour les formes sévères à graves de Covid-19, coûtent cher.

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‘Il n’y a de l’oxygène que dans les CTE’

Le docteur Djiba Ramos de la clinique Cheikh AL Makhtoum à Keur Massar dans la banlieue de Dakar nous explique que pour les patients atteints des formes graves du covid, les structures de santé privées demandent des dépôts de caution avant de les prendre en charge.

Ces fonds qui peuvent aller jusqu’à deux millions de francs CFA, servent principalement à l’achat d’oxygène médical, car dit-elle pour les formes graves, certains patients peuvent avoir besoin de quatre à cinq bonbonnes d’oxygène par jour, pendant plusieurs jours.

Beaucoup de cliniques ne disposent pas de centrale à oxygène et doivent s’approvisionner principalement au niveau de deux entreprises locales qui en produisent.

Pour une bonbonne d’oxygène, il faut compter cinquante-cinq mille francs CFA, sans compter les médicaments et autres frais liés à l’hospitalisation.

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“Il n’y a de l’oxygène que dans les CTE. Si je prends l’exemple du centre de santé de Keur Massar, il n’y a pas d’oxygène. Lorsque nous recevons des patients à la clinique, nous sommes obligés de gérer l’urgence, le temps de lancer la recherche de place pour ensuite les référer. Mais le problème c’est que dans la zone tampon Covid-19 de Keur Massar, il n’y a pas d’oxygène” soutient docteur Djiba Ramos.

“Depuis le début de la pandémie, on nous dit que si un patient désature, on doit l’emmener en zone tampon, dans ce cas le centre de santé de Keur Massar pour qu’il reçoive les premiers soins. Mais comment peut-on administrer les premiers soins à un malade du Covid-19 si on n’a pas d’oxygène?” s’interroge le docteur Ramos.

Aujourd’hui, les professionnels de la santé craignent une hausse plus importante des contaminations notamment à cause des importants mouvements de populations dus à la Tabaski qui a été fêtée dans le pays il y a deux semaines. Et ce, malgré l’invite faite par les autorités aux populations de ne pas voyager pour la fête.

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De l’avis du docteur Ramos, les tensions dans l’approvisionnement de l’oxygène pourraient être dues à la hausse des cas sévères à graves de Covid-19 lors de cette troisième vague.

Beaucoup de patients entrant dans ces deux catégories nécessitent souvent une oxygénothérapie d’emblée, selon le médecin.

“Parfois même tu peux avoir des formes modérées chez des patients souffrant de comorbidité, donc tu es obligé de les mettre sous oxygène. Dans ces situations, le patient peut prendre une bonbonne d’oxygène en deux jours”, dit-elle.

Un phénomène qui n’avait pas été observé lors des deux premières vagues de l’épidémie dans le pays.

Il faut rendre loxygène accessible.

Le docteur Djiba Ramos plaide pour que l’oxygène et les médicaments utilisés dans le traitement des cas de Covid soient subventionnés afin que toutes les structures de santé privées puissent également participer de manière effective à la lutte contre la pandémie.

“Ou bien ils peuvent nous permettre d’aller nous approvisionner dans les centrales des hôpitaux parce que pour une forme sévère qui a besoin d’au moins deux bonbonnes par jour, sur sept à dix jours, faites le calcul. Il faut rendre l’oxygène accessibles ainsi que les antibiotiques, les anticoagulants, etc.”

Le plaidoyer de Docteur Ramos semble avoir été entendu, du moins si l’on en croit le ministre de la santé et de l’action sociale du Sénégal.

Après une visite rendue auprès d’un gazier ce mardi 3 août, Abdoulaye Diouf Sarr a annoncé que ” sur instruction du Chef de l’Etat, désormais, l’oxygène à livrer pour les malades dans les CTE privés sera totalement gratuit. L’Etat va prendre cette partie de la facture du privé pour que le malade, hospitalisé dans le privé, voit dans sa facture défalquer la partie oxygène.

Cela va largement soulager nos compatriotes qui se soignent dans le privé”

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Le ministre avait déjà essayé de rassurer vendredi dernier sur les ondes de la radio privée RFM, en déclarant que l’ensemble des hôpitaux du pays sont dotés d’oxygène.

“On a contractualisé avec l’ensemble des gaziers de la place pour renforcer les structures hospitalières. Mais dans la perspective d’une autonomisation du pays en oxygène, nous avons commandé 35 générateurs d’oxygène et les premiers vont arriver le 12 août et ça va se poursuivre toute l’année pour que, in fine, on puisse avoir une autonomisation totale du pays en oxygène et à partir de ce moment, on aura marginalement besoin d’en acheter au niveau des gaziers” a affirmé le ministre.

La vaccination, une lueur d’espoir

Pendant ce temps, la vaccination s’accélère.

D’environ 3.000 par jour en moyenne depuis le début de la campagne nationale de vaccination contre le Covid, le nombre de doses administrées est passé à 38.000 mercredi dernier, grâce à de nouvelles livraisons de vaccins Sinopharm et Johnson & Johnson.

Mais seulement un peu plus de 900.000 personnes ont jusqu’ici été vaccinées, soit 1,6% de la population.

Et le pays attend maintenant l’arrivée d’une nouvelle livraison de vaccins Astra Zeneca afin que ceux qui en ont reçu une première dose puissent en recevoir la seconde.

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