Omar Blondin Diop, l’étudiant sénégalais devenu l’icône des militants panafricains

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Omar Blondin Diop, l’étudiant sénégalais devenu l’icône des militants panafricains
Omar Blondin Diop, l’étudiant sénégalais devenu l’icône des militants panafricains

Jules Crétois

Africa-Press – Senegal. Dans le cimetière tourné vers l’océan, aux abords d’une tombe au carrelage vert foncé, quelques voix psalmodient doucement. Frères, amis, anciens compagnons de lutte : ils sont une dizaine à s’être réunis, ce 11 mai, dans le cimetière musulman de Soumbédioune, sur la corniche de Dakar. À leurs pieds, la tombe d’Omar Blondin Diop, dont le corps sans vie a été retrouvé pendu, il y a cinquante ans, dans une prison de l’île de Gorée.

« C’était un jeune homme souriant, tourné vers la vie, doté d’une intelligence et d’une curiosité folles. Il était tout entier tourné vers l’émancipation de tous », se rappelle Alioune Sall, alias « Paloma », consultant et ancien militant qui a fréquenté Omar Blondin Diop durant ses derniers mois de liberté, quelques temps avant son décès, le 11 mai 1973, à seulement 26 ans.

Que reste-t-il aujourd’hui de la mémoire de ce jeune révolutionnaire ? Le marxisme-léninisme n’est plus à la mode sur les campus, pas plus que la radicalité esthétique en vogue que prisait Blondin Diop. « Beaucoup d’acteurs politiques de cette époque sont partis. Le temps passe. Mais lui, c’est un martyr. Et de ce fait, il vit dans nos cœurs », salue Amadou Tidiane Wone, militant marxiste dans sa jeunesse et ancien ministre de la Culture, un des rares responsables présent au cimetière pour ce moment de recueillement et de prière.

Registre anti-impérialiste

Aux proches et aux anciens révolutionnaires marxistes se joignent quelques dizaines d’étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar et de jeunes militants de groupes d’inspiration panafricaine ou du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp), qui a installé un portrait du jeune martyr dans ses locaux dakarois et dont le leader, le député Guy Marius Sagna, est devenu un visage bien connu des Sénégalais. « Le registre anti-impérialiste d’Omar Blondin Diop parle aux militants qui ont axé leurs critiques sur la Françafrique », explique l’historien Florian Bobin, devenu spécialiste de l’histoire de la gauche sénégalaise.

Autour d’Omar Blondin Diop gravitaient des révolutionnaires qui attaquaient Senghor pour sa proximité avec Paris. Quelques mois avant son arrestation, fin novembre 1971, le petit groupe échafaudait des plans pour libérer ses camarades qui avaient attaqué l’Institut culturel français de Dakar, et envisageait de s’en prendre au cortège du président français Georges Pompidou lors de sa visite au Sénégal, en 1971. Intellectuel reconnu, Diop s’était aussi formé à la guérilla en Syrie auprès de fedayin palestiniens.

Une enquête au point mort

Cette année, une partie des commémorations pour le cinquantenaire de sa disparition se tiennent à l’hôtel de ville de Dakar. Fût un temps où les gendarmes investissaient le cimetière de Soumbédioune pour empêcher les rassemblements à l’approche du 11 mai. « La mairie est désormais dans l’opposition, mais ça ne prouve pas vraiment que le tabou autour de sa mort soit levé », souffle un organisateur.

Car la question, sensible, demeure : comment est mort Omar Blondin Diop ? Officiellement, selon l’État sénégalais, il se serait pendu dans sa cellule. Une version qui ne convainc pas sa famille, en lutte pour obtenir la vérité sur sa mort depuis 1973.

Il y a dix ans, lors du quarantenaire de sa disparition, Aminata Touré, alors ministre de la Justice, s’était engagée à ce que la lumière soit faite sur cette affaire. Mais la garde des Sceaux avait finalement été remplacée et le dossier jamais rouvert. « Pour nous, les commémorations du cinquantenaire, c’est aussi un combat pour faire avancer la justice et la vérité », estime Amala, un des frères d’Omar Blondin Diop. Sa famille, accompagnée de l’avocat Mbaye Dieng, s’efforce qu’une instruction soit relancée.

La thèse du suicide contredite

Ce 11 mai, le documentaire Un révolté, du jeune réalisateur sénégalais Djeydi Djigo, est projeté à la cinémathèque Ousmane-Sembène, dans la foulée de la cérémonie au cimetière. Moustapha Touré, le premier juge à s’être penché sur le drame en 1973, décédé il y a quelques mois, apparaît à l’écran. Pour la première fois, il dit « sa conviction » qu’Omar ne s’est pas suicidé. Il souligne aussi qu’il avait organisé une reconstitution qui fragilisait la version du suicide et qu’il avait retrouvé des correspondances de l’administration pénitentiaire faisant état de mauvais traitements à l’égard de l’étudiant.

Mais le juge avait été muté et vite remplacé par un autre, qui avait enterré l’affaire, dont on sait qu’elle embarrassait au plus haut point Léopold Sédar Senghor. « Cet élément, ce juge qui prend la parole, c’est important. Cela montre qu’il faut continuer à se battre », lâche un frère d’Omar Blondin Diop.

En attendant que le mystère sur la disparition du révolutionnaire se dissipe, sa mémoire est entretenue par ses anciens compagnons. « Ce n’est pas juste un jeune homme qu’on a tué, mais aussi des idées. Un intellectuel. Omar Blondin Diop était d’une intelligence et d’une culture rare. C’est un précieux intellectuel que le Sénégal a perdu », souligne « Paloma ».

« Un révolutionnaire total »

Dans les mois à venir, deux ouvrages sur Omar Blondin Diop seront publiés. Une biographie signée Florian Bobin, qui s’est lié à la famille Diop au fil des ans et a compilé de nombreux entretiens avec des acteurs de l’époque. Et une recueil d’écrits inédits du jeune normalien qui, entre deux projets de films, écrivait sur la guerre du Vietnam ou sur les intellectuels au Sénégal. « Avec le temps, on se réapproprie toujours une histoire plus subtile que celle que l’on nous a enseignée. On redécouvre des grands noms qui n’étaient pas valorisés, qui étaient dans l’opposition à Senghor… Omar en faisait partie », souligne Ahmadou Jibril, jeune militant présent aux commémorations.

Le visage d’Omar Blondin Diop s’étale aussi sur quelques murs de Dakar, notamment sur le campus de l’Ucad. Lorsque Georges Floyd décède aux États-Unis, un collectif de graffeurs le fait figurer sur une fresque à la gloire d’autres grands noms de la lutte pour les droits des Noirs. « Il intègre un panthéon, juge Florian Bobin. Diop est aussi devenu le symbole du martyr. Il réapparaît dans les consciences, notamment quand il y a des décès lors de manifestations, comme en 2021. » Dans la Médina, quartier populaire du centre-ville de Dakar, une fresque en mémoire des morts de 2021 fait ainsi figurer son nom.

« Toute une frange de la jeunesse se fascine pour Omar parce qu’il incarne la figure du révolutionnaire total. Il a lutté au cœur de la métropole, à Paris. Il a milité en Afrique. Il embrassait le combat social des masses du Sud comme les luttes des jeunes occidentaux pour “changer la vie”, comme on disait. Il était libre. Il lisait autant Mao que les textes anarchistes. Il pensait à la lutte armée autant qu’à la littérature », conclut son ancien compagnon « Paloma ». Que ce soit par romantisme, idéologie, intérêt ou curiosité, la vie d’Omar Blondin Diop continue, un demi-siècle après sa disparition, à toujours susciter autant de fascination.

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