Africa-Press – Senegal. Lors d’une présentation théâtrale au Grand Théâtre national, le Premier ministre Ousmane Sonko a dévoilé son plan de redressement économique et social, baptisé « Jubbanti Koom », devant un public acquis et sous le regard du président Bassirou Diomaye Faye. Mais pour Ibrahima Thiam, président du parti Action pour la Citoyenneté et les Transformations (ACT), ce plan n’est qu’un « récit politique » dénué d’ancrage dans les réalités économiques du Sénégal. Dans une tribune au vitriol, Thiam dénonce une approche marquée par une fiscalité agressive, un souverainisme déconnecté et une absence de solutions concrètes pour sortir le pays de la crise. Voici une analyse fidèle de sa critique, ponctuée d’extraits de son texte.
Dès l’introduction, Thiam pose le décor avec une ironie mordante: « Le décor était grandiose, le verbe assuré, l’ambiance triomphale. » Pourtant, il rejette l’idée que « Jubbanti Koom » soit un véritable plan, le qualifiant de « récit politique destiné à rassurer les militants, galvaniser les convaincus, mais sans ancrage sérieux dans les contraintes économiques ». Selon lui, l’annonce de Sonko, loin d’être une feuille de route technique, s’apparente à une performance rhétorique visant à mobiliser l’émotion nationaliste plutôt qu’à répondre aux défis structurels du Sénégal.
Thiam va plus loin, estimant que le plan manque de rigueur et de cohérence face à une situation économique alarmante: « Le déficit budgétaire atteint 14 %, la dette publique s’élève à 119 % du PIB, et les marchés financiers ont plusieurs fois abaissé la note du pays. »
Un souverainisme déconnecté: « Nous n’avons pas besoin du FMI »
Le slogan phare de Sonko, « Nous n’avons pas besoin du FMI », est au cœur de la critique de Thiam. Il qualifie cette posture de « martiale, souverainiste, séduisante sur le papier mais déconnectée des faits ». Pour Thiam, rejeter les partenaires internationaux sans proposer une alternative crédible relève de « la posture », non du courage. Cette position s’inscrit dans le contexte d’une rupture partielle avec le Fonds monétaire international (FMI), dont le programme de 1,9 milliard de dollars est suspendu depuis mars 2025, après qu’un audit a révélé un déficit budgétaire de 12,3 % en 2023, contre les 4,9 % déclarés par l’administration précédente.
Thiam argue qu’« il ne suffit pas de tourner le dos aux institutions financières: encore faut-il avoir une alternative crédible. Elle n’a pas été présentée ». Cette absence d’alternative est d’autant plus problématique que le Sénégal fait face à des contraintes majeures, notamment un endettement de 119 % du PIB et des pressions sur les marchés financiers, avec des dégradations de la note de crédit du pays.
Une fiscalité tous azimuts: « Taxer l’existant sans créer »
À défaut de financements extérieurs, le gouvernement mise sur une mobilisation des ressources internes, à hauteur de 90 % du plan, soit environ 5 667 milliards de FCFA (9,9 milliards de dollars) d’ici 2028. Mais pour Thiam, cette stratégie repose sur « une série de taxations tous azimuts: jeux en ligne, mobile money, tabac, visas touristiques ». Il dénonce une « logique de matraquage fiscal » qui, loin de dynamiser l’économie, risque d’« épuiser la bête avant même de la faire courir ». Cette approche, selon lui, « n’épargne rien, sauf les vraies réformes », et s’appuie sur la taxation de secteurs existants sans créer de nouvelles bases productives.
Des promesses sans substance: « Une incantation, pas une projection »
Thiam s’attaque également aux promesses de rationalisation de l’État et de mobilisation de l’épargne populaire. Il note que « les promesses de réduction de la taille de l’État, d’optimisation des dépenses publiques, ou encore d’appel à l’épargne populaire relèvent davantage de la rhétorique que de l’ingénierie budgétaire ». Par exemple, la fusion ou la suppression des agences parapubliques, promise par Sonko dès février 2025, tarde à se concrétiser, malgré un potentiel d’économies estimé à 50 milliards de FCFA. Thiam ironise: « Cela fait des décennies que les gouvernements parlent de ‘rationaliser’, sans jamais bousculer les habitudes. »
L’idée de mobiliser l’épargne nationale, notamment via des obligations diasporiques (1 500 milliards de FCFA visés), est jugée « louable » mais irréaliste dans un contexte de « confiance qui s’effondre ». Thiam estime que demander aux citoyens de financer un « État désargenté » sans transparence ni garanties est illusoire.
Un exemple concret de cette déconnexion est la proposition de céder des portions d’anciennes bases militaires françaises pour générer des revenus fonciers. Thiam révèle que ce projet est « déjà bloqué par les forces armées », qualifiant cette initiative de « mal préparée, mal négociée » et révélatrice d’un « amateurisme politique devenu système ».
Un objectif ambitieux mais irréaliste: 3 % de déficit d’ici 2027
L’objectif central du plan – réduire le déficit budgétaire de 14 % à 3 % d’ici 2027, sans creuser la dette – est qualifié par Thiam d’« illusion » plutôt que d’ambition. Il argue qu’« une telle promesse, dans un contexte aussi contraint, sans levier monétaire, sans levier d’endettement, sans partenaires extérieurs, relève plus de l’incantation que de l’ambition ». Cet objectif, conforme aux critères de convergence de l’UEMOA, repose sur une réduction des dépenses publiques, une optimisation des recettes fiscales et la renégociation des contrats pétroliers, gaziers et miniers. Cependant, Thiam doute de sa faisabilité, pointant l’absence de leviers concrets pour financer un plan aussi ambitieux dans un délai aussi court.
Enfin, Thiam critique le « Plan Sénégal 2050 », intégré dans « Jubbanti Koom », qui projette une transformation économique sur vingt-cinq ans. Il ironise: « On se projette dans l’avenir lointain comme pour faire oublier la fragilité du présent. » Alors que le gouvernement « peine à financer les trois prochains mois », cette vision à long terme lui apparaît comme une diversion, éloignée des besoins immédiats des Sénégalais. Il insiste: « Les chiffres ne mentent pas, les marchés ne pardonnent pas, et les populations n’attendront pas 2050 pour demander des comptes. »
Une construction politique, pas une réponse technique
En conclusion, Thiam juge que « ce plan est une construction politique, pas une réponse technique ». Il reproche à Sonko de miser sur « l’émotion, le nationalisme économique, le rejet de l’autre, et le verbe haut » au détriment de « la rigueur, la cohérence, la méthode ». Pour lui, les Sénégalais attendent « une politique économique sérieuse, fondée sur des choix clairs, courageux, et solidement ancrés dans les réalités du pays comme dans les dynamiques mondiales ». Il appelle à « avoir le courage de dire la vérité », face à un plan qui, selon lui, privilégie la gestuelle à l’action concrète.
Source: Seneweb.com
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