Sénégal–Mauritanie: Tensions AprèS des Expulsions

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Sénégal–Mauritanie: Tensions AprèS des Expulsions
Sénégal–Mauritanie: Tensions AprèS des Expulsions

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Senegal. Les relations bilatérales entre Nouakchott et Dakar ont connu un développement significatif préoccupant, ces derniers jours, suite à la récente campagne d’expulsion qui a ciblé un certain nombre de ressortissants sénégalais, ayant poussé le Premier ministre du Sénégal, Ousmane Sonko, à menacer de prendre des mesures de rétorsion contre la communauté mauritanienne résidant au Sénégal, et ce, en réponse à ce qu’il a décrit comme des « procédures complexes et inégales » auxquelles sont confrontés ses compatriotes en Mauritanie.

Il a menacé de recourir au principe de réciprocité envers la communauté mauritanienne, si les discussions en cours entre les deux pays n’aboutissent pas à une solution permettant aux Sénégalais de résider en Mauritanie sans complications, déclarant à ce propos que tout pays qui se respecte doit défendre et protéger les intérêts de ses citoyens, ajoutant que la seule façon d’établir une relation bilatérale distinguée entre deux pays doit être basée sur la réciprocité, garantissant le respect mutuel à toutes les étapes.

Interviennent lors d’un discours prononcé devant le Parlement, au cours duquel il a évoqué la situation générale des immigrés sénégalais, Sonko a confirmé que son gouvernement mène des discussions avec la partie mauritanienne pour garantir que les citoyens sénégalais bénéficient des mêmes droits que les Mauritaniens résidant au Sénégal, car ils n’ont pas besoin de permis d’entrée ou de permis de séjour.

• Réactions des deux parties

Le débat autour de l’expulsion des migrants irréguliers a commencé avec des militants mauritaniens sur les réseaux sociaux, qui ont parlé de ce qu’ils ont appelé les « conditions inhumaines » dans lesquelles les migrants sont expulsés et ont mis en garde contre les répercussions de l’expulsion pour les communautés mauritaniennes en Afrique subsaharienne. Le débat a atteint le Parlement sénégalais, où les députés ont exprimé leur mécontentement face à la politique de la Mauritanie envers les ressortissants sénégalais, certains ayant appelé à la mise en œuvre du principe de « réciprocité ».

-/- Côté mauritanien

Evoquant la situation exposée par le Premier ministre sénégalais, la Mauritanie a tenu à renouveler son engagement ferme dans la lutte contre les réseaux criminels, reconnaissant sa responsabilité géopolitique et son engagement à concilier la protection de ses frontières avec le respect des droits humains, notamment des droits des migrants.

C’est d’ailleurs ce qui ressort d’une lettre envoyée par le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani à son homologue sénégalais, Bassiro Diomaye Faye, lui ayant été remise le mardi 8 avril 2025 par le ministre mauritanien des Affaires étrangères, Mohamed Salem Ould Merzoug, au palais présidentiel à Dakar.

Lors de son entretien avec le président sénégalais, Ould Merzoug avait abordé un certain nombre de questions régionales et internationales, notamment la question de la migration irrégulière, soulignant l’importance de maintenir des mécanismes de consultation et d’échange permanents entre les deux pays, compte tenu de leur rôle central pour faire face plus efficacement aux menaces transfrontalières.

L’émissaire mauritanien ajouté qu’il a assuré le président sénégalais de l’engagement ferme de la Mauritanie à encourager une migration sûre, ordonnée et régulière comme une option réaliste qui préserve la dignité humaine et garantit les droits de l’homme tout en respectant la souveraineté nationale, expliquant dans le même contexte que la question de la migration intéresse particulièrement la Mauritanie, compte tenu de sa situation géographique sur la route de l’Atlantique.

Tout en se montrant « temporisateur », le ministre des Affaires étrangères mauritanien a souligné que ce phénomène prend des dimensions humanitaires et sécuritaires dangereuses, en raison de l’activité des réseaux de traite des êtres humains, qui exploitent des conditions difficiles et exposent la vie des migrants, en particulier des jeunes, des femmes et des enfants, à un grave danger.

Le gouvernement mauritanien réaffirme également qu’il accueille favorablement une migration sûre et ordonnée, en particulier en provenance de ses voisins africains, mais qu’il n’acceptera pas l’afflux d’immigrants illégaux, compte tenu de la menace que cela représente pour sa sécurité.

Selon le ministre de l’Information et porte-parole du gouvernement mauritanien, les statistiques officielles ont enregistré l’entrée de 130.000 migrants depuis fin 2022, dont seulement 7.000 ont demandé la régularisation de leur statut juridique.

Dans le cadre de la même campagne, la justice mauritanienne a placé des policiers sous contrôle judiciaire après les avoir accusés de collaborer avec des réseaux de contrebande. Il y a quelques jours, les autorités ont arrêté une ambulance transportant trois migrants en provenance de Guinée, quatre des Comores et un du Sénégal, qui se dirigeaient vers Nouadhibou. La ville balnéaire la plus proche des îles Canaries espagnoles.

-/- Côté sénégalais

Dans la même optique, le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a déclaré que la Mauritanie et le Sénégal partagent de nombreux intérêts communs, notamment la sécurité et la gestion des ressources telles que la pêche, les rivières et le gaz, et qu’ils doivent travailler ensemble avec bienveillance et respect.

Il a tenu à mettre l’accent sur le fait que la campagne de déplacement, entreprise par le gouvernement mauritanien, a ciblé un certain nombre d’étrangers, notamment des citoyens de pays voisins tels que le Sénégal, le Mali et la Gambie, de la Guinée et du Pakistan, assurant que le gouvernement mauritanien a lancé en mars dernier une campagne visant à expulser les étrangers résidant illégalement sur son sol.

Par ailleurs, en réponse à la campagne ayant visé les Sénégalais, le ministre sénégalais des Affaires étrangères et de l’Intégration africaine, Yacine Fall, a déclaré quant à lui que les plus hautes autorités expriment leurs regrets et leur consternation face aux conditions de détention et d’expulsion forcée de leurs ressortissants en Mauritanie.

Le Chef de la diplomatie au Sénégal a ajouté que chaque pays a ses propres lois régissant la résidence, mais que l’incapacité à obtenir des documents et des permis de travail ne justifie pas un mauvais traitement.

Ces déclarations interviennent à un moment où les relations entre Nouakchott et Dakar connaissent une coordination croissante dans divers domaines, notamment l’économie, la sécurité et la gestion des migrations.

Le traitement des communautés de la diaspora est un sujet sensible, également, dans les politiques bilatérales entre pays voisins, et les résidents sénégalais en Mauritanie espèrent que ces déclarations se traduiront par des accords concrets qui leur garantissent l’égalité des chances en matière d’emploi et leur facilitent les démarches administratives.

• Négociations en cours sur le statut de la communauté

Le Premier ministre Ousmane Sonko, a fait savoir que lors de sa visite en Mauritanie, du 13 au 15 janvier 2025, la situation de la communauté sénégalaise en Mauritanie a été évoquée, indiquant dans ce contexte que les négociations étaient toujours en cours et que « la partie mauritanienne a présenté une proposition, et nous avons répondu par une contre-proposition. Notre objectif est de permettre à nos citoyens de bénéficier des mêmes droits que les Mauritaniens résidant au Sénégal ».

Sonko a ajouté: « Je n’entrerai pas dans les détails de ces discussions en cours, mais je souligne que chaque pays a sa propre dignité et le devoir de défendre ses citoyens, et que les relations bilatérales ne reposent que sur la réciprocité. C’est la voie à suivre pour renforcer les relations à long terme entre nos deux pays ».

Il a appelé tous les Sénégalais de l’étranger à faire preuve d’un comportement exemplaire caractérisé par la discipline et le respect des lois de leurs pays d’accueil, tout en précisant: « Nous leur demandons de coopérer avec les autorités consulaires, car nous ne pouvons pas imaginer que des étrangers au Sénégal se heurtent à la police lors d’évacuations. »

• Quand la « rue » tente de s’impliquer pour dicter ses lois

La « rue » sénégalaise a fait pression sur le Premier ministre Ousmane Sonko, l’appelant à traiter la Mauritanie de la même manière, car le Sénégal n’exige pas des Mauritaniens résidant sur son territoire d’obtenir un permis de séjour, contrairement à la Mauritanie.

Sauf qu’en décortiquant les déclarations « sages » du Premier ministre du Sénégal, Sonko assure que les négociations avec la partie mauritanienne sont au point mort, puisqu’il a déclaré qu’ils ont décidé d’adopter le principe de réciprocité.

Ceci signifie qu’il y a deux possibilités et probablement pas de troisième:

a) Soit la Mauritanie tolère les citoyens sénégalais résidant sur son territoire et ne leur impose pas l’obtention d’un titre de séjour.

b) Ou bien les autorités sénégalaises réagiront et appliqueront les mêmes conditions aux Mauritaniens, notamment aux commerçants, aux étudiants universitaires, aux visiteurs et aux patients atteints de maladies chroniques nécessitant un traitement de longue durée.

Rien ne peut ni ne doit faire échouer les relations entre le Sénégal et la Mauritanie

La politique de bon voisinage dans cette partie intéressante d’Afrique de l’Ouest, a nécessité de la part de beaucoup de pays de se rapprocher l’un de l’autre pour consolider et renforcer leurs liens de fraternité, de sécurité, et de développement économique.

Le Sénégal et la Mauritanie font donc partie du groupe, et dans ce contexte, même après une longue attente, les gouvernements mauritanien et sénégalais ont annoncé depuis le mois de Mai 2024, que leurs efforts fournis dans le secteur des produits pétroliers, notamment le gaz naturel, continue à évoluer à pas sûrs.

A ce propos, les deux pays voisins ont confirmé que la plateforme flottante géante de traitement et d’exportation de gaz était arrivée à destination au niveau des frontières maritimes communes entre les deux pays, qui abritent l’immense champ gazier de Tortue Ahmeyim, qui détient des réserves estimées à 25 000 milliards de pieds cubes.

Le gisement gazier de la Tortue, encore appelé gisement gazier de la Grande Tortue Ahmeyim (GTA), fût découvert en 2015 par la société Kosmos Energy.

Selon un communiqué de la société sénégalaise Petrosan, l’arrivée de la plateforme flottante signifie que plus de 92% des travaux ont été réalisés. Il ne reste plus qu’à installer la plateforme et la connecter aux sites de forage sous-marin pour démarrer la production.

Les ministres mauritanien et sénégalais de l’Energie avaient déjà confirmé que les deux pays s’étaient entendus pour démarrer la production conjointe de gaz durant le 1er trimestre 2025, ce qui fait que dans quelques mois, le gaz commencera à affluer des eaux mauritaniennes et sénégalaises vers un monde assoiffé de gaz en raison de la guerre russo-ukrainienne. En échange, des dizaines de millions de dollars afflueront dans les caisses des deux pays, leur permettant de réaliser un décollage économique majeur, selon les prévisions du Fonds monétaire international.

Le projet gazier sénégalo-mauritanien Grande Tortue Ahmeyim (GTA), arrivé en phase de production en janvier dernier, devrait livrer sa première cargaison de gaz naturel liquéfié (GNL) d’ici la fin de 1er trimestre 2025, selon les prévisions des parties prenantes.

• Des prémices d’une crise diplomatique?

Selon les observateurs, certes, la situation actuelle entre le Sénégal et la Mauritanie reflète la fragilité des accords bilatéraux sur les questions de migration et de travail, malgré des intérêts économiques partagés.

Beaucoup d’entre eux se posent des questions:

-/-Les menaces de « réciprocité » vont-elles conduire à une révision urgente des accords entre les deux pays?

-/-Ou bien la région est-elle confrontée à une nouvelle crise diplomatique en Afrique de l’Ouest, dont les répercussions pourraient impacter la sécurité et la coopération régionales?

Néanmoins, la raison l’emportera certainement, et l’intérêt bilatéral et régional sera mis plutôt en avant, ce qui limitera au maximum d’arriver à une crise diplomatique.

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