comment la CSS, géant ouest-africain de l’agrobusiness, veut assurer son avenir

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comment la CSS, géant ouest-africain de l’agrobusiness, veut assurer son avenir
comment la CSS, géant ouest-africain de l’agrobusiness, veut assurer son avenir

Estelle Maussion

Africa-Press – Senegal. Malgré une production en-dessous des attentes, la Compagnie sucrière sénégalaise reste à l’offensive. Le groupe du milliardaire français Jean-Claude Mimran veut même étendre son activité à d’autres secteurs, dont la production d’énergie. Décryptage.

« C’est un grand groupe qui a survécu à toutes les péripéties. » Voilà comment un bon connaisseur du milieu des affaires sénégalais résume le destin de la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS). Propriété de la famille Mimran depuis sa création en 1970, la société est le seul producteur de sucre du Sénégal et le premier employeur privé du pays avec quelque 7 500 collaborateurs.

Un mastodonte à l’échelle nationale – qui vise 98 milliards de F CFA (environ 150 millions d’euros) de chiffre d’affaires cette année – et un fer de lance de la production et la transformation locales dans la sous-région. Cette position, couplée au réseau de son actionnaire majoritaire, Jean-Claude Mimran, le fils du fondateur Jacques, décédé en 1975, fait de la CSS un acteur incontournable du secteur agricole ouest-africain.

Exploitant 12 000 hectares dans la région de Richard-Toll dans le nord-ouest du Sénégal, la société plus que quinquagénaire a su se développer et moderniser son outil de production. Un essor conduit par son directeur général historique, André Froissard, entré à la CSS en 2007 et resté à sa tête jusqu’à son décès du Covid-19 à la fin de 2020.

Sous sa houlette, la société a investi environ 15 milliards de F CFA par an dans ses installations, à la fois industrielle (unité de broyage, sucrerie, raffinerie, distillerie) et énergétique (chaudière à vapeur, centrale électrique). Ces efforts ont payé : la production de sucre est passée de 112 000 tonnes en 2014 à 146 000 tonnes en 2021 quand le rendement atteint « des records mondiaux », souligne le groupe, autour de 130 tonnes à l’hectare, rivalisant avec les moyennes au Brésil.

Monopole de fait

« Depuis cinquante ans, nous sommes autonomes en énergie, un gage de viabilité », souligne l’actuel directeur général Franck Eba qui, après dix ans au sein du groupe ivoirien Sifca, dont quatre dans la filière sucrière Sucrivoire, a rejoint la CSS à la fin de 2019. Arrivé comme directeur général adjoint, il a pris la suite d’André Froissard après sa disparition, consolidant la gestion interne. Il a remis à plat l’organigramme de la société, initié la construction de sa démarche RSE (responsabilité sociale et environnementale) – la couverture santé des salariés permet à 80 000 ayant droits de bénéficier de soins –, structuré sa démarche qualité en s’appuyant sur les acquis et l’apport d’autres expériences dont celle de Sifca. Utilisation des sous-produits du sucre, développement de l’irrigation gravitaire et au goutte-à-goutte, féminisation et formation des effectifs constituent les autres composantes du modèle CSS.

Ce modèle ne serait rien s’il n’était porté par l’actionnaire Jean-Claude Mimran, dont la fortune est estimée à 1,7 milliard d’euros en 2021 selon l’hebdomadaire français Challenges, et son partenaire local depuis plusieurs décennies, le très connecté Mamadou Diagna Ndiaye. « Ils ont su prendre la vague avec tous les régimes et comprennent comment faire des affaires au Sénégal », commente l’interlocuteur sollicité.

Bénéficiant d’un monopole de fait sur la production de sucre, la CSS est aussi autorisée, comme les importateurs et commerçants, à faire venir du sucre de l’étranger durant la période de soudure. Cette situation, qui crée un bras de fer entre CSS et importateurs avec l’État (qui délivre les autorisations d’importations) en arbitre, est régulièrement source de tensions, comme en 2020 où l’afflux d’importations a asséché les ventes de la CSS et mis en péril son équilibre financier. Jusqu’à présent, le producteur local a toujours réussi à tirer son épingle du jeu en combinant contrôle des coûts, lobbying politique et soutien des banques.


Dépendance au pouvoir politique

Reste que le maintien de ce fragile équilibre est l’un des talons d’Achille de la CSS. L’opposition aux importateurs, ancienne et confirmée lors de la dernière prise de parole de Jean-Claude Mimran dans la presse sénégalaise début avril, nourrit de vives réactions de leur part. Refusant de voir la CSS obtenir le monopole des importations après celui de la production, l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois) pointe l’incapacité de la société à tenir ses engagements : elle promet de produire 220 000 tonnes de sucre dans quatre ans quand elle n’a toujours pas atteint l’objectif de 150 000 tonnes annuelles fixé pour 2017… De fait, après deux années à 146 000 tonnes en 2020 et 2021, la production devrait retomber à 140 000 tonnes en 2022 en raison des aléas climatiques.

L’autre faiblesse de la stratégie de la CSS tient à sa dépendance au bon vouloir politique. Pour augmenter sa production et répondre aux besoins croissants, le sucrier n’a pas d’autre choix que d’augmenter les surfaces cultivées, ce qui explique qu’il demande depuis plusieurs années quelque 3 000 hectares supplémentaires. Sans succès. « Évidemment qu’on a demandé ces terres mais nous recevons la réponse habituelle : « On va voir ». Alors j’attends », a reconnu Jean-Claude Mimran lors de son intervention en avril.

De même, le patron de la CSS ne cesse de réclamer une hausse du prix de vente du sucre, fixé par l’État et qui n’a pas évolué depuis une dizaine d’années. Peine perdue là aussi : après avoir pris un arrêté actant une revalorisation en début d’année, le ministère du Commerce est revenu sur sa décision quelques jours plus tard entérinant le statut quo.

Surcoût

À ces dossiers récurrents (le dernier étant la volonté de longue date de Jean-Claude Mimran de céder la CSS sans suite jusqu’à présent) s’ajoutent les difficultés conjoncturelles liées aux conséquences de la pandémie de Covid-19. « Malgré la flambée du prix du fret et des intrants, nous avons maintenu notre approvisionnement en engrais pour cette année. Mais cela représente un surcoût de 3,5 milliards de F CFA, expose Franck Eba. Alors, en parallèle, nous allons acquérir des équipements pour augmenter notre production de compost, un fertilisant biologique. »

Une capacité d’adaptation qui ressort aussi sur le plan interne. Passé le choc de la disparition brutale d’André Froissard, la CSS semble avoir retrouvé un équilibre. Sous la direction du tandem Mimran-Ndiaye, le DG Franck Eba travaille en étroite collaboration avec avec Igor Djoukwe, le conseiller technique du groupe Mimran, Claude Fizaine, qui a quitté le domaine des services pétroliers pour prendre le poste de secrétaire général de la CSS en mai 2019, et Louis Lamotte, pilier de la société et conseiller spécial, chargé notamment des ressources humaines ainsi que des questions fiscales et douanières.


Innovation

Fort de cette équipe et de son ancrage local, la CSS veut réaliser ses ambitions tout en innovant. Si le sucre blanc demeure son produit phare, elle a mené des tests prometteurs sur le sucre roux, un marché qui émerge avec l’évolution des habitudes de consommation. Elle attend aussi beaucoup des sous-produits, notamment l’éthanol (issu du processus de distillation de la mélasse), qui entre dans la composition des gels hydroalcooliques et autres produits pharmaceutiques et cosmétiques. Sur les 13 millions de litres produits par an, soit 6 milliards de F CFA de chiffre d’affaires, 40 % sont exportés en Afrique de l’Ouest.

D’ici à 2024, le sucrier entend également devenir un producteur d’électricité, futur fournisseur de la société nationale, la Senelec. Outre une nouvelle chaudière de 150 tonnes vapeur par heure (qui permet l’évaporation et la cristallisation du sucre), il a commandé quatre turbines (deux de 6 MW et deux de 15 MW) pour assurer la croissance de ses activités et dégager un excédent à injecter sur le réseau national. La preuve qu’il continue de croire en l’avenir.

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