Hydrogène : l’avion décarboné changera nos habitudes de voyage

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Hydrogène : l’avion décarboné changera nos habitudes de voyage
Hydrogène : l’avion décarboné changera nos habitudes de voyage

Africa-Press – Senegal. Dans un futur prévisible, l’avion décarboné devrait faire décoller des ailes volantes à hydrogène. Ce sera très bénéfique pour le climat. Mais, cela changera aussi nos habitudes de voyage aérien. Yves Gourinat, professeur à Supaero, chercheur en dynamique des structures UMR CNRS 5312 ICA et promoteur de nouvelles architectures structurales, nous explique tout cela.

Si l’hydrogène figure comme le meilleur candidat pour décarboner l’avion de demain et constitue de fait la solution privilégiée par les avionneurs à l’horizon 2035 pour réduire l’impact de l’aviation sur le changement et le réchauffement climatique, son « utilisation impose de repenser totalement l’architecture, le design et la conception des avions », nous explique Yves Gourinat, impliqué dans la recherche actuelle sur les technologies nécessaires à l’aile volante.

L’utilisation d’hydrogène comme carburant nécessitera « d’immenses réservoirs impossibles à loger dans une architecture d’avion classique car l’hydrogène possède une énergie massique de combustion exceptionnelle (142 MJ/kg, trois fois celle du kérosène d’aviation). Mais comme sa masse volumique est très faible (71 kg/m3 sous forme liquide, quatorze fois moins dense que l’eau !), son énergie volumique est 3,7 fois plus faible que celle du kérosène ». L’hydrogène sera « certes trois fois plus léger que le kérosène, mais presque quatre fois plus volumineux », nécessitant donc d’immenses réservoirs. Son utilisation nécessitera aussi de voler « moins haut et moins vite ». L’aile volante constitue donc l’architecture la plus intéressante pour un avion à hydrogène, en raison de ses capacités de stockage et la mieux adaptée pour répondre aux exigences de ces deux autres besoins.

“Cela augmentera de façon assez significative la durée des voyages aériens”

Afin de limiter la taille de ces réservoirs, ces ailes volantes voleront moins vite avec un « Mach moyen M qui diminuera tout comme la consommation énergétique horaire et donc les quantités d’hydrogène à embarquer ». Cela augmentera de façon assez significative la durée des voyages aériens. Concrètement, le « trajet Paris-Sydney qui représente actuellement 22 heures de vol en nécessitera 38 et un Paris-New York demandera 15 heures de vol ». Ces voyages plus longs participeront à la suppression de l’empreinte énergétique des vols long-courrier sur le climat.

L’ère des croisières aériennes

Étonnamment, ces futurs voyages aériens devraient être bien acceptés car du « fait de la mise en œuvre de la cryogénie », les ailes volantes offriront des « volumes plus grands que les avions actuels et propices à tous les aménagements intérieurs imaginables ». On parle d’un intérieur aussi « haut et large que des bâtiments de plusieurs étages » ! À partir du moment où l’habitacle de ces avions devient réellement vivable, « et non plus un alignement de sièges comme c’est le cas aujourd’hui », on peut envisager d’allonger la durée des trajets car l’aménagement intérieur de ces ailes volantes « offrira un confort accru pour les passagers mais aussi une certaine variété d’activités culturelles, ainsi qu’une offre de loisirs, de shopping et de restauration diversifiée, s’inspirant des bateaux de croisière ». On peut comparer ces futurs habitacles, toutes proportions gardées, à ceux des grands dirigeables du début du XXe siècle, « capables de transporter des dizaines de passagers avec un confort similaire aux paquebots de l’époque », ou tout simplement aux « voyages en train, à bord de l’Orient Express par exemple ».

Le secteur aérospatial pollue bien moins qu’on ne le pense

Bien que le secteur aérospatial « ne soit responsable que de 2,5 % des émissions mondiales de CO2 et au total de 5,1 % de l’ensemble des causes de réchauffement climatique » en participant à « l’effet de serre avec les traînées de condensation des avions », son impact sur le climat pourrait être réduit avec ces ailes volantes. En volant moins vite et à des altitudes plus basses que celles qu’utilise l’aviation commerciale, les « traînées de condensation de ces ailes volantes seront bénéfiques pour le climat ». L’altitude de croisière des avions actuels est celle où se fabriquent les cirrus qui sont des nuages qui retiennent les infrarouges et donc renforcent le réchauffement climatique. Mais, si les traînées de hautes altitudes favorisent l’effet de serre, celles de « basses altitudes ont tendance à refroidir la Terre à cause de leur fort albédo en réfléchissant la lumière du soleil vers l’espace ». Dit autrement, l’aile à hydrogène peut même « contribuer à augmenter l’albédo global de la Planète, sans générer de gaz à effet de serre, ce qui lui confère un effet bénéfique, à condition toutefois de voler à des altitudes favorables à cet effet ».

Voler moins haut offre plusieurs intérêts. Non seulement on économise le carburant nécessaire pour rejoindre les altitudes de croisière des avions actuels mais, et c’est plus surprenant, on « peut sous-dimensionner les moteurs car on a moins besoin de puissance pour atteindre l’altitude de croisière des ailes volantes ». Seulement deux moteurs seront nécessaires pour une aile et ses 800 passagers !

Selon les concepts d’ailes volantes à l’étude, le but est de « développer une aile volante de 100 mètres et de la mettre en service dans le courant de la décennie 2030 ». Sa taille lui permettra d’utiliser la grande majorité des aéroports internationaux, sans qu’il soit nécessaire de modifier leurs infrastructures. « Elle ne prendra pas plus de place qu’un A380 d’Airbus et sera probablement guidée au sol par des « remorqueurs », évitant le roulage au réacteur ».

Intrinsèquement, les ailes volantes ne sont pas stables

L’absence d’empennage a un inconvénient, rendre les « ailes volantes instables en tangage notamment ». Comme leur altitude de croisière sera plus basse, les turbulences atmosphériques seront plus nombreuses. Pour gérer cette instabilité chronique, des algorithmes seront utilisés. Ils auront comme fonction de « détecter de manière prédictive les turbulences atmosphériques et de compenser ses effets avec le modèle dynamique de l’avion ». Ces évolutions vont nécessiter l’intégration effective du Contrôle prédictif généralisé pour stabiliser l’avion. Ces technologies, matures en laboratoire, nécessitent « encore des années de développement pour être certifiées, et donc passer du niveau de maturité technologique actuel (TRL) 4 à celui de la certification publique 9 ». Avec l’aile volante, on « a là une occasion unique de viser une fiabilité inédite à 10-7 par heure de vol, ce qui est largement inférieur au risque que l’on prend à chaque instant dans la vie quotidienne ». On profite de l’aile volante pour accompagner cette mutation – déjà en cours – et passer de 10-6 à 10-7, ce qui revient à passer « d’une roulette russe de 1 million de trous à 10 millions ».

“Pour que les avions continuent à voler demain, les industriels sont donc contraints de s’adapter au changement climatique”

On est donc à un carrefour similaire à celui de la sortie de la Seconde Guerre mondiale qui a vu « l’émergence de l’aviation à réaction, avec la réglementation associée ». Pour que les avions continuent à voler demain, les industriels sont donc contraints de s’adapter au changement climatique et si ce n’est pas la première fois que « l’on cherche à modifier l’architecture des avions », c’est la première fois que cela se fait « sans un objectif de gain de vitesse » mais dans l’unique but de « décarboner la filière, dont la production d’hydrogène ». À cela s’ajoute qu’ils ont aussi un devoir « d’exemplarité pour que les autres secteurs suivent ». On s’attend à ce que tous les progrès réalisés dans l’aéronautique bénéficient à de nombreux autres moyens de transport comme les tracteurs, les trains, les bateaux et navires de croisière ainsi qu’aux voitures. Il y aura un effet d’entraînement important. « C’est une période étonnante qui s’ouvre, un vrai tournant industriel », souligne en guise de conclusion Yves Gourinat.

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