Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Tchad. Les affrontements et les tensions qui se sont développés au Tchad entre l’armée et les groupes armés, en particulier dans le nord du pays, ont envenimé les relations soudano-tchadiennes qui se trouvent confrontées à une nouvelle épreuve, qui pourrait mettre fin aux progrès que les deux pays ont concrétisé entre eux durant les années précédentes. De même, les événements au Tchad jettent une ombre sur les relations entre les deux pays en raison de plusieurs facteurs, auxquels s’ajoutent les chevauchements tribaux et le manque de confiance envers les gouvernants.
Selon des médias de la région du Tibesti frontalière de la Libye et du Niger dans le nord du Tchad, des membres de l’opposition regroupés sous le « Conseil de commandement militaire pour le salut de la République », avaient attaqué des unités de l’armée tchadienne, durant la deuxième quinzaine du mois d’août 2022, tuant 10 de ses membres et en capturant 8 autres. C’est le résultat confirmé par le groupe, qui avait refusé de signer un accord de paix avec le gouvernement, déclarant dans un communiqué que l’armée tchadienne avait attaqué ses forces dans le Tibesti.
Ces développements interviennent dans le contexte d’activité militaire que le groupe dissident tente de raviver, comme une réponse pratique qui exprime son rejet de l’accord de paix signé le 8 août à Doha entre le gouvernement et d’autres groupes rebelles.
Jusqu’à présent, l’affaire semble être une affaire intérieure tchadienne, mais des voix s’élèvent pour dire que le Soudan n’est pas loin de ce conflit, et ce, compte tenu des liens ethniques et tribaux entre les rebelles au Tchad et d’autres groupes armés à l’intérieur du Soudan.
Toutefois, l’instabilité au Tchad se reflète automatiquement au Soudan et provoque l’instabilité au Darfour. C’est ainsi que de temps à autre, plusieurs régions du Darfour se transforment en un théâtre de combats sanglants entre tribus arabes et africaines, dans le cadre de conflits pour la terre, les ressources et les pâturages.
Une idée sur la tension dans les relations soudano-tchadiennes au Darfour
Les relations tchadiennes-soudanaises ont déjà connu des tensions au début du mois d’août dernier, lorsqu’un groupe tribal tchadien avait attaqué la région de « Sirba » dans l’État du Darfour occidental, tuant 18 personnes et volant des centaines de chameaux, un incident qui a suscité un ressentiment généralisé au sein du Soudan.
En fait, le Soudan et le Tchad ont une longue histoire de relations difficiles et de soutien mutuel pour les groupes d’opposition dans chaque pays. Mais en 2010, les deux pays sont parvenus à un accord qui a duré longtemps, stipulant la formation d’une force conjointe dans le cadre d’un protocole de sécurité militaire, qui comprend des milliers de soldats des deux camps et des centaines de forces de police, dont la mission principale étant le maintien de la sécurité sur la frontière de 1 350 kilomètres et sa surveillance pour empêcher l’infiltration de groupes armés ou encore l’arrivée d’armes vers eux, en plus de lutter contre le trafic de drogue et la traite des êtres humains sur les frontières.
Ces forces ont relativement bien réussi ces dernières années dans leur mission, mais avec la récente récurrence des incidents de sécurité, les demandes de modification de leur composition ont commencé à augmenter, en particulier de la part des parties à l’intérieur du Soudan.
Ces conflits du Darfour qui affectent les relations soudano-tchadiennes
Il semble que depuis de nombreuses années, la région du Darfour, qui s’étend sur une superficie de 525 000 kilomètres carrés et est habitée par 10 millions d’habitants, est devenue le théâtre de conflits qui ont débuté entre tribus pour l’influence et les ressources, mais qui se sont développés au fil du temps et ont pris des schémas différents, y compris ceux liés à des facteurs régionaux tels que les troubles et les conflits dans les pays voisins, en particulier le Tchad et la Libye, ainsi que les conditions et variables environnementales telles que la sécheresse et la désertification, entraînant dans leur sillage des conflits de nature ethnique et politique.
La rébellion du Darfour soudanais contre Khartoum pèse lourdement sur le Tchad, car outre le problème des réfugiés, 200 000 Darfouriens avaient déjà trouvé refuge de ce côté de la frontière, la crise s’y est répercutée du fait de l’implication de nombreux Zaghawa dans les rébellions.

Ceci n’a pas empêché de constater l’absence de pouvoir et le manque d’application de la loi derrière le chaos sécuritaire et la concurrence économique pour la domination des minerais, qui ont fait de la région une « arène de conflits ».
On relève également que les zones adjacentes à la frontière avec le Tchad ont connu des conflits continus qui ont conduit à l’incendie de plusieurs villages, à des actes de violence et au pillage de bétail, qui ont coûté aussi la vie à des dizaines d’individus et des milliers de citoyens ont fui vers les camps de réfugiés au Tchad.
Cependant, le meurtre de 18 Soudanais par des groupes armés tchadiens dans la zone frontalière de l’État du Darfour occidental au cours des derniers jours du mois d’août, a alimenté les tensions entre les deux pays, et le ministère soudanais des Affaires étrangères a transmis à l’ambassadeur tchadien au Soudan, la protestation et la condamnation de son pays contre cet incident, appelant à la nécessité de faire des efforts pour arrêter les fugitifs et restituer les objets volés à leurs propriétaires dans les plus brefs délais.
D’ailleurs, on se pose toujours la question suivante : Quels sont les résultats et l’impact de ces conflits en cours dans les zones frontalières, en particulier dans l’État du Darfour occidental, sur l’avenir des relations soudano-tchadiennes ?
Les relations tchado-soudanaises entre réalité et perspectives d’avenir
Pour ceux qui ne le savent peut-être pas, il importe de noter qu’à travers les âges, le Soudan a été le prolongement historique, culturel, humain, géographique, social, économique et politique du Tchad. Ce qui fait que le Soudan et le Tchad représentent une profondeur et une dimension culturelle, historique et géographique intégrée à travers l’histoire.
A vrai dire, les relations soudano-tchadiennes sont l’expression de valeurs, de principes, d’objectifs, d’aspirations, d’espoirs et d’ambitions communs entre les deux peuples frères. Ceci ne s’arrête pas et ne s’interrompe pas, malgré toutes les conspirations et intrigues qui tentent d’arrêter cette marée naturelle et cette communication humaine entre les composantes du peuple tchadien et soudanais, afin de réaliser l’intérêt commun des deux peuples frères du Tchad et du Soudan.
On constate également que les relations entre les deux pays sont éternelles depuis les temps anciens, et qu’ils sont unis par des tribus, des coutumes, des traditions et un héritage communs, ainsi que par les liens du sang (les mariages mixtes), qui nécessite de les préserver, quelles que soient les tensions et les violations répétées qui ont eu lieu par des groupes tchadiens à l’intérieur du territoire soudanais, en particulier dans l’État du Darfour occidental, car c’est surtout l’anarchie de personnes qui n’appartiennent pas à l’appareil officiel de l’État, mais il est important de mettre en place les contrôles nécessaires pour limiter ces violations et crimes qui perturbent les relations communes entre les deux pays frères et voisins, et les forces conjointes récemment constituées doivent jouer leur rôle dans la protection des frontières et empêcher l’infiltration de criminels entre les deux pays.
On s’aperçoit entre-autres que ce qui se passe au Darfour en termes de conflits continus n’est pas considéré comme un conflit politique ou tribal, mais plutôt comme du vol et du pillage de bétail (vaches et chameaux surtout), par des groupes armés, et lorsque les propriétaires de ce bétail se mobilisent en rassemblant des membres de la tribu pour les rechercher, des affrontements éclatent avec les groupes armés, causant un certain nombre de victimes, et ainsi la situation explose à nouveau, et de manière générale, la région du Darfour souffre de l’absence d’autorité et de prestige de l’État, du manque d’application de la loi et de l’absence de doctrine policière et militaire.
Autrement dit, la nature des récents conflits au Darfour serait plutôt économique, et non tribale, et à la lumière de ces complications, les groupes internes, en particulier les Arabes qui vivent au Darfour, sont entrés en conflit avec le gouvernement tchadien, et la situation s’est amplifiée pour atteindre le stade des accusations explicites, qui a poussé le ministre tchadien de la Défense à se rendre à Khartoum au début du mois d’août 2022.
Concept et vision des relations soudano-tchadiennes
Parler de l’idée et de la vision des relations tchado-soudanaises, c’est parler d’histoire, de géographie et de patrimoine, ou plutôt parler des peuples tchadien et soudanais et exprimer leurs préoccupations, leurs aspirations, leurs espoirs, leur réalité et leur avenir.
L’identification de ces relations et leur impact sur la construction, la formation et la cristallisation d’une pensée, d’une direction et d’une vision cohérentes avec les aspirations de la personne tchadienne-soudanaise contemporaine fait partie de notre souci dans ce dossier.
En vertu de toutes ces situations, on peut dire que les changements régionaux, internationaux et locaux qui s’opèrent dans la région imposent aux deux pays des enjeux et des défis qui nécessitent une nouvelle vision et un concept clair pour établir des relations qui répondent à ces évolutions dans la région. D’autant plus que les évolutions politiques, économiques et sociales que connaît le Tchad depuis l’aube du 1er décembre 1990, ont englobé tous les aspects de la vie et ont donné une nouvelle dimension à l’essor des idées et des tendances, voire à la création de politiques, mouvement économique et social dans la structure des relations intérieures et extérieures de l’État contemporain du Tchad, qui a contribué au développement des mécanismes de participation politique et dans le développement des initiatives civiles et œuvrant à leur redynamisation pour servir les aspirations et orientations contemporaines du peuple tchadien.
Il ne faut pas oublier aussi que ce vaste espace et cette situation privilégiée qui relie le Tchad et le Soudan, et qui s’étend de la Mer Rouge jusqu’au fin fond du désert au Tchad, a accordé aux peuples de cette région, depuis l’Antiquité, la liberté de mouvement, de déplacement, de résidence et d’habitation naturellement et automatiquement, et forment un ensemble de relations et d’intérêts vitaux complexes et imbriqués à la fois pour que cela demeure. Les intérêts ont toujours été des pivots et des points de convergence entre le Tchad et le Soudan, ce qui laisse poser la question suivante :
Quelle est la réalité des relations tchado-soudanaises à l’heure actuelle, et quelle est la vision des dirigeants politiques des deux pays ?
Les événements se sont accélérés récemment dans la région du Darfour, et les fils de la crise se sont entrelacés et ont interagi non seulement avec son environnement régional, mais aussi avec les préoccupations internationales de protection des déplacés et des réfugiés.
D’où le conflit, qui s’est déroulé entre le 6 et le 11 juin 2022 dans la localité de Kolbous, dans l’Ouest du Darfour, a entraîné la destruction de nombreuses maisons, le pillage des habitations, en plus du déplacement d’environ 50.000 personnes, dans cette localité et les localités voisines du Darfour occidental (Sirba et Jebel Moon), ainsi que dans les localités de Saraf Omra et As Serief, au Darfour septentrional.
Ces conflits ont eu de graves conséquences humanitaires car l’insécurité a rendu difficile l’accès aux populations dans le besoin, tant pour les programmes humanitaires en cours que pour les personnes nouvellement déplacées.
L’Organisation des Nations Unies, a indiqué que ces affrontements communautaires ont retardé les missions d’évaluation et de réponse humanitaire prévues dans les localités de Kolbous, Jebel Moon, Sirba et Kereneik en raison de l’insécurité.
Il s’est avéré également, toujours selon des sources onusiennes, que l’Etat du Darfour-Ouest, région aride frontalière du Tchad, est en proie ces derniers mois à des violences meurtrières, sachant qu’en avril dernier déjà, plus de 200 personnes y ont été tuées dans des affrontements opposant des communautés arabes et non arabes. La localité de Kolbous partage une frontière de 71 km avec le Tchad et borde deux localités du Darfour Nord (Saraf Omra et Sireif) et du Darfour Ouest (Jebel Moon et Kereneik), et il existe quatre itinéraires de transhumance à Kolbous, par lesquels transite environ 80% du bétail en route vers le nord pendant la saison des pluies.
Par ailleurs, ce qui a été encore plus dramatiques, c’est que le 6 juin 2022, des affrontements auraient éclaté entre les communautés Gimir et Rezeigat dans le village d’Um Hereez, dans la localité de Kolbous, au Darfour occidental. Le conflit a éclaté à la suite d’une dispute foncière entre un Gimir et un Arabe. Selon le rapport d’OCHA, les deux hommes ont été tués pendant l’échange de coups de feu et d’autres personnes ont été tuées lorsque les affrontements se sont étendus à un point d’eau et au village d’Um Tuyur.
« La communauté Gimir a rapporté que 101 de ses membres avaient été tués et 117 blessés, tandis qu’un émir arabe a déclaré que 25 Arabes avaient été tués et 16 blessés au cours des affrontements », lit-on dans le rapport d’OCHA, qui indique également que dans la localité de Kolbous, 25 villages gimirs auraient été attaqués, pillés et brûlés, alors que dans le Jebel Moon, les villages de Haskanita et Masterha ont été brûlés et le village de Gos Jegi a été pillé, et ses habitants ont été déplacés vers le village de Juruf à Sirba.
Dans ce contexte, et pour répondre donc à la question posée plus haut, on peut affirmer que les orientations nationales de la politique contemporaine visent :
• à approfondir et à développer les relations de fraternité et de coopération entre le Tchad et son environnement régional et international,
• à se concentrer sur une question qui peut être considérée comme d’une grande importance,
• à assurer la sécurité et la stabilité,
• à renforcer les opportunités de coopération entre le Tchad et le Soudan,
parce que les orientations nationales des deux pays et leurs visions, en se rapprochant, peuvent contribuer à la stabilité et à la sécurité de la région dans son ensemble, et à la poussée pour une action conjointe afin d’éteindre les incendies qui les entourent, et de relever le condition de leurs peuples de passer du stade de stagnation et de conflit au stade de convergence des liens éternels et fatidiques des relations entre les deux frères populaires Tchad et Soudan.
Ce qui est important dans notre vision et dans notre compréhension des relations Soudano-Tchadiennes est de travailler à l’élaboration de programmes, de mécanismes et de plans afin d’atteindre les objectifs, les aspirations et les ambitions des deux frères, pour le présent et l’avenir.
Rencontres des deux Chefs d’Etat
Nous croyons savoir que le Président Mahamat Idriss Deby a adressé une invitation officielle au chef de l’État et président du Conseil de souveraineté soudanaise, le général de corps d’armée Abdel Fattah Al-Burhan, le samedi 21 Janvier 2023, pour qu’il se rendre au Tchad.
Rappelons qu’Al-Burhan s’était déjà rendu à N’Djamena le 31 mars 2022 lors d’une visite importante compte tenu de l’ampleur des défis auxquels sont confrontés les deux pays, au premier rang desquels la réussite de la période de transition au Tchad comme au Soudan, et ce fût donc une occasion pour les deux dirigeants africains d’échanger et d’adopter des positions communes et des visions unifiées au profit des deux pays et des deux peuples frères.
Auparavant, le président du Conseil militaire de transition tchadien, le général Mahamat Idriss Déby, avait effectué à son tour, le lundi 30 août 2021, une visite de deux jours à Khartoum. Au menu des discussions figuraient ce jour-là la coopération économique et surtout la coopération militaire et sécuritaire, ainsi que le règlement de certains différends entre les deux pays voisins.
La réactivation de l’accord quadripartite sur la surveillance et la sécurisation des frontières communes, signé à N’Djamena, le 31 mai 2018, entre la Libye, le Niger, le Soudan et le Tchad semble avoir été également au centre de ces discussions.
A noter qu’aux yeux de Mahamat Idriss Deby, « La mise en œuvre de cet accord est d’une importance capitale pour mieux faire face aux diverses menaces transfrontalières liées à la crise libyenne qui se poursuit. Le Tchad jouera toute sa partition pour rendre opérationnels les mécanismes prévus par cet Accord », a laissé comprendre le Chef de l’Etat tchadien.
Citée aujourd’hui comme exemple en Afrique, cette force mixte Tchad-Soudan a permis de stabiliser un tant soit peu la situation sécuritaire à la frontière et de contribuer à renforcer les échanges économiques entre les deux pays.
« C’est grâce à cette force mixte que les populations des régions frontalières savourent aujourd’hui de deux côtés, les dividendes de la paix et de la sécurité. Nous devrions veiller à sa préservation et à sa pérennisation » avait indiqué Mahamat Idriss Deby.
Par ailleurs, lors de son entretien avec le Premier Ministre soudanais à l’époque, Abdallah Hamdok, ce dernier a déclaré que d’autres sujets de coopération relevant du développement, au rang desquels figurent les projets de chemin de fer, de l’interconnexion à fibre optique, la zone franche au Port Soudan, etc., étaient en train d’être étudiés pour être renforcés.
Certes le président de transition tchadien a invité le Président du Conseil de Souveraineté du Soudan : Et puis après ?
Tout compte fait, la visite qu’effectuera prochainement Abdel Fattah Al-Burhan à N’Djamena, s’inscrira dans le cadre des relations bilatérales entre les deux pays, surtout qu’au cours de la rencontre qui s’est tenue entre l’envoyé spécial du Président de transition de la République du Tchad, le général Idriss Youssouf Boy, dépêché à Khartoum, et le chef de l’Etat soudanais, le message de Mahamat Idriss Deby comportait de précieuses informations quant aux derniers développements de la situation au Tchad, après la conclusion du dialogue national et la formation du gouvernement de transition et des autres institutions de transition.
En guise de réponse « tranquillisante », le président du Conseil de souveraineté du Soudan a affirmé son soutien et sa position aux côtés du Tchad, et a exprimé son souci de renforcer les relations historiques établies de longue date entre les deux pays.
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