
Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Tchad. Des sources sécuritaires ont rapporté qu’un certain nombre d’officiers de l’armée tchadienne ont été tués et blessés, dont un général de division, et plusieurs autres hauts gradés militaires de l’armée, lors d’affrontements qui ont éclaté dans la soirée du samedi 9 novembre 2024, dans la région du Lac (à l’ouest de la frontière), à proximité des frontières avec le Niger, le Nigéria et le Cameroun.
Selon un communiqué publié par le chef d’état-major, le général Abakar Abdelkarim Daoud, l’armée a tué un certain nombre de militants de Boko Haram, sans détailler les pertes du gouvernement dans la bataille qui a éclaté une semaine après que les militants ont attaqué une position de l’armée et tué 40 membres des forces gouvernementales.
Dans ce contexte, le porte-parole de l’armée, le général Chanane Issaka Acheck a fait part d’un premier accrochage avec les terroristes:
« Après quelques heures de combat, plusieurs terroristes ont été neutralisés. Le ratissage se poursuit », a communiqué l’armée, promettant un bilan détaillé, et annonçant également que jusqu’à la date du 9 novembre, l’armée avait intensifié des frappes aériennes sur les positions de Boko Haram dans la zone du lac.
La même source a précisé qu’au moins 15 soldats avaient été tués et 32 autres blessés samedi dans des affrontements entre l’armée et les combattants de Boko Haram, ajoutant que 96 membres de Boko Haram avaient également été tués, tout en signalant que tous les blessés avaient été évacués vers N’Djamena pour y être soignés, et en confirmant dans une déclaration à la télévision nationale que l’armée avait également blessé 11 membres de Boko Haram et saisi des armes et du matériel.
A noter que ledit communiqué a été publié quelques heures après l’annonce du retour du président Mahamat Idriss Deby de la zone d’opérations militaires où il a résidé pendant une semaine complète et fixé 3 objectifs pour sa mission:
• Lancer une opération militaire contre les militants de Daech, connus localement sous le nom de Boko Haram dans le but de les éliminer,
• réorganiser les rangs de l’armée pour renforcer ses structures défensives,
• réfléchir à se retirer de la force conjointe des pays du bassin du lac Tchad sous prétexte du manque de coopération des pays voisins pour atteindre l’objectif de la mise en place de cette force militaire.
Le président Deby a confirmé dans un tweet sur la plateforme X (ex-Twitter) que l’opération militaire contre les groupes armés de Boko Haram se poursuit et que l’armée a réussi à éliminer le groupe qui tentait de s’infiltrer à l’intérieur du territoire tchadien.
Par ailleurs, depuis l’attaque des militants contre les forces gouvernementales la semaine dernière, l’armée tchadienne a utilisé des « Drones » pour bombarder des sites qu’elle prétendait être affiliés à Boko Haram, et la télévision d’État a publié quant à elle des images des bombardements perpétrés par les drones sur plusieurs zones à l’intérieur du lac Tchad, bordées par le Niger, le Nigéria, le Cameroun et également le Tchad.
L’armée a assuré à la population que la situation est sous contrôle et que les mesures visant à traquer les éléments restants se poursuivent dans le cadre de l’opération « Haskanite ».
• Qu’est-ce que l’opération Haskanite lancée au Lac Tchad par le président Deby ?
Se trouvant aux abords du lac Tchad depuis le 28 octobre 2024, le président tchadien a lancé, selon le ministre de la Justice et Premier ministre par intérim, Abderahil Birème Hamid, une opération militaire de riposte de grande envergure, à laquelle il a été attribué le nom d’Opération Haskanite.
Le Premier ministre a annoncé, au cours d’une communication spéciale à la primature, à laquelle plusieurs hauts commis de l’État ont été conviés, que « Cette opération est une réponse juste et légitime à la forfaiture ignoble des forces du mal qui ont eu l’audace d’attaquer les positions de nos soldats en mission sacrée, celle de veiller sur la sécurité des populations et à la préservation de la paix ».
Birème Hamid, a également assuré que l’opération militaire est lancée pour expulser les groupes armés de Boko Haram de la région du Lac Tchad.
• Le président du Tchad part pour Riyad au moment où l’opération Haskanite battait son plein
Quelques heures après l’attaque, le Président de la République du Tchad, Mahamat Idriss Deby Itno, s’est envolé pour Riyad, la capitale saoudienne, où il est arrivé en début de soirée pour participer au « Sommet arabo-islamique » prévu le 11 novembre 2024.
Cette visite a été organisée sur invitation du Roi d’Arabie Saoudite, Sa Majesté Salmane Bin Abdelaziz Al Saoud, Gardien des Deux Saintes Mosquées.
• Pourquoi la force conjointe a « échoué » au Tchad selon Mahamat Idriss Deby ?
D’après les informations recueillies à ce sujet, il s’avère que pendant une semaine, le Tchad s’est retrouvé seul sur le terrain dans la région du Lac Tchad, lors d’opérations lancée contre le groupe extrémiste de Boko Haram, sans l’assistance de la Force multinationale conjointe, ce qui a poussé son président à menacer de s’en retirer.
Dans ce contexte, la présidence tchadienne a souligné le manque de coordination des efforts et la léthargie sur le terrain face à Boko Haram, en menaçant que son pays pourrait se retirer de la force multinationale de sécurité, qui, selon lui, a échoué dans sa mission de lutte contre les groupes armés dans la région du Lac Tchad.
Cette région est située dans une partie de l’ouest du Tchad et chevauche les pays du Nigeria, du Niger et du Cameroun, qui sont membres de la Force multinationale mixte aux côtés de l’État du Bénin, créée en 1994, bien que ces pays n’aient pas commenté la décision du Tchad dans l’immédiat.
« L’absence d’efforts conjoints contre l’ennemi est bien ce que nous constatons malheureusement toujours sur le terrain, et il apparaît que cette force, qui a été créée dans le but de mutualiser les efforts et les renseignements, est dans un état de stagnation », a déclaré Mahamat Idriss Deby.
• Le retrait du Tchad de la Force multinationale mixte et ses répercussions
Selon certains analystes politiques africains, l’attaque survenue le 27 octobre dernier contre une caserne de l’armée tchadienne reflétait clairement la transformation des combattants de ce groupe sanguinaire en une guérilla suite au soutien qu’ils recevaient des organisations terroristes internationales telles qu’Al-Qaïda et Daech.
Ces analystes ont mis en garde contre les conséquences du retrait du Tchad de la Force multinationale mixte, qui risquerait d’affaiblir la sécurité de tous les pays concernés, et les extrémistes étendraient ainsi leurs opérations.
De facto, en brandissant cette menace de retrait à N’Djamena, le gouvernement tchadien veut souligner son importance sur la scène régionale en termes de stabilité, et le Tchad met ainsi en avant le danger d’une influence croissante des groupes terroristes si leur rôle n’est pas reconnu et soutenu.
Fin octobre 2024, le président tchadien a annoncé le lancement de l’opération Haskanite pour poursuivre Boko Haram, qui signifie en arabe « la plante épineuse très résistante », que l’on trouve souvent dans les zones désertiques.
• La Centrafrique: Une nouvelle destination choisie par le Tchad
Actuellement, la République centrafricaine et le Tchad envisagent de mettre en place une patrouille mixte, car ils ont signé trois accords liés à la sécurité des frontières tout en respectant la souveraineté de chaque pays.
La ministre des Affaires étrangères de la Centrafrique, Sylvie Baibou Timon, a déclaré le mercredi 6 novembre dernier, dans une déclaration à la télévision allemande: « Si la République sœur du Tchad demande un soutien, nous serons à ses côtés dans le but de faire face aux défis auxquels elle pourrait faire face ».
La région du lac Tchad a été soumise à des attaques répétées de groupes armés, notamment de Daech en Afrique de l’Ouest et du groupe Boko Haram dans le nord-est du Nigeria en 2009, et s’est étendue jusqu’à l’ouest du Tchad.
Le Tchad est considéré comme le pays le plus actif dans la guerre contre les extrémistes dans la région africaine du Sahel. Son armée a déjà mené des batailles pour poursuivre les terroristes, atteignant le Mali, notamment en 2013, où elle a contribué à éliminer les combattants d’Al-Qaïda dans le nord du pays.
• Pourquoi l’activité de Boko Haram a-t-elle augmenté au Tchad alors qu’il s’agit d’un mouvement opérant au Nigeria ?
Il y a prés de 15 ans, depuis la création de Boko Haram, l’objectif premier de l’organisation était de construire un modèle de califat dans le nord du Nigeria. Après le retrait des militants du groupe de la ville de Gambie, située au nord-est du Nigeria, après une série de combats acharnés avec l’armée nigériane, ce groupe rebelle est devenu une question à l’ordre du jour des pays voisins.
Ces dernières années, le groupe Boko Haram a concentré sa présence dans les pays riverains du lac Tchad pour de nombreuses raisons, la plus importante étant que cette présence croissante dans cette région vient en réponse au succès relatif obtenu par les frappes des Forces régionales mixte comprenant le Niger, le Nigeria, le Tchad et le Cameroun, contre ses bastions du nord du Nigeria. Cela a poussé les membres de Boko Haram à fuir vers la région du lac Tchad, là où se rencontrent les frontières des pays de la coalition régionale, pour lancer une série d’attaques et de représailles contre les pays de la coalition, d’une part, et de l’autre, le groupe cherche à diviser la coalition et à disperser ses axes stratégiques, pour éviter les pressions exercées sur elle auparavant au Nigeria, et actuellement par les forces tchadiennes, dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. À travers ce recentrage stratégique sur les pays du bassin du lac Tchad, Boko Haram s’efforce de cibler le Niger, maillon faible de cette alliance. Dans le même temps, c’est un message adressé au Tchad:
« Boko Haram, malgré les succès militaires remportés par les forces tchadiennes dans le nord du Cameroun, n’arrêtera pas l’expansion du groupe, mais le Tchad restera une cible pour ses futures attaques ».
Ce qui a le plus aidé Boko Haram dans ce processus d’expansion, c’est la mauvaise évaluation par les pays du Bassin de leur force et de leurs capacités.
Le lac Tchad est considéré comme une ressource vitale pour les pays qui le bordent, notamment Cameroun, Niger, Tchad et Nigeria, et il connaît une terrible baisse du niveau moyen de ses eaux, qui remonte à une longue période. Ce qui a encore détérioré la situation du lac, c’est la concentration de « Boko Haram » et d’autres groupes armés dans les pays qui l’entourent, qui ont empêché le lancement des projets et des plans de sauvetage de cette ressource en eau vitale, que les pays riverains du lac ont adoptés depuis 2008, qui a empêché une série d’attentats terroristes dans la région sans obtenir les fonds nécessaires pour sauver ce qui peut l’être de ce lac, qui est une artère vitale pour les économies de la triade des pays qui surplombent le lac, qui est une source de subsistance pour plus de 40 millions de personnes.
• Découvrons ensemble « La stratégie de survie de Boko Haram autour de la région du lac Tchad »
Il faut reconnaître que la région du lac Tchad constitue un point stratégique très important pour « Boko Haram », qui a débuté ses activités armées dans le nord du Nigeria puis s’est étendu à d’autres zones autour du lac au Tchad, au Niger et au Cameroun, sachant que le groupe ambitionne d’exploiter la région du lac Tchad comme base pour:
-/- renforcer son contrôle géographique,
-/- créer un refuge,
-/- lancer des opérations armées efficaces.
La stratégie du groupe comprend plusieurs aspects caractérisés par des tactiques précises, une flexibilité militaire et la capacité d’exploiter le terrain, en plus des alliances régionales et du recrutement de jeunes.
La faiblesse du gouvernement et le manque de coordination régionale contribuent également à la difficulté de freiner la propagation de ce groupe, ce qui nécessite de renforcer la coopération internationale et régionale et de développer des stratégies adaptées à l’environnement unique de la région pour lui faire face plus efficacement.
FACTEURS DE SURVIE DE BOKO HARAM
Ce groupe extrémiste compte sur plusieurs facteurs pour se maintenir en place et garantir sa survie, dont principalement:
1. L’exploitation de terrain géographique:
Le terrain entourant le lac Tchad est un environnement complexe comprenant des îles, des marécages et une végétation dense, propice à la guérilla adoptée par le groupe Boko Haram. Les études géographiques montrent que ce terrain donne au groupe la possibilité de se déplacer et de se cacher rapidement et efficacement et empêche les forces gouvernementales de le suivre avec précision.
Une étude géographique indique que Boko Haram profite de l’environnement accidenté de la région du lac Tchad pour se cacher, mener des opérations furtives, puis retourner dans des refuges sans que l’armée ne puisse les suivre ou les atteindre.
2. Les attaques contre les infrastructures et les coupures d’approvisionnement:
La stratégie de Boko Haram consiste notamment à cibler les infrastructures vitales autour de la région du lac Tchad, où le groupe attaque des centrales électriques, des réseaux de distribution d’eau et des lignes de communication, isolant la région du soutien de l’État et contribuant à propager le chaos.
Le groupe s’efforce également de cibler les routes principales, à couper les lignes d’approvisionnement dont dépendent les forces militaires gouvernementales, car il est conscient que couper l’approvisionnement affaiblit le gouvernement et renforce le contrôle de Boko Haram sur la région, lui permettant une plus grande flexibilité de mouvement.
3. Les alliances régionales et la coopération entre groupes:
Ces dernières années ont été marquées par une coopération entre le groupe Boko Haram et d’autres organisations terroristes. Le groupe affirme que ses membres ont reçu une formation et un soutien de la part du « Groupe armé al-Shabab » de Somalie (حركة الشباب المجاهدين) et de l’organisation « Al-Qaïda » au Maghreb islamique. Cette coopération fournit des ressources militaires et un soutien logistique commun.
Les chercheurs confirment que cette coopération donne à Boko Haram de larges capacités pour mener des opérations offensives conjointes et rend difficile une confrontation efficace avec le groupe. Cette coopération permet au groupe d’accéder également à de nouvelles armes, à de nouveaux financements, et soutient sa position militaire dans la région du Lac Tchad.
4. La conscription forcée et la propagande:
Boko Haram s’appuie sur les enlèvements et le recrutement forcé pour attirer les jeunes locaux, notamment issus de familles pauvres ou touchées par le conflit, qu’il soit familial ou d’ordre social. Le groupe profite également de la détérioration de la situation économique dans les zones entourant le lac, propose des incitations financières et utilise des méthodes de propagande via les réseaux sociaux.
Pour promouvoir ses idées et maximiser ses réalisations militaires, selon une étude concernant les mouvements extrémistes en Afrique, la propagande médiatique aide Boko Haram à recruter de nouveaux éléments, ce qui augmente sa force et le nombre de ses combattants dans la région.
5. La poursuite des attaques contre les villages et les groupements d’habitation:
Le groupe lance des attaques éclair et organisées contre les villages autour du lac Tchad. Ces attaques visent à terroriser la population locale et à la pousser à fuir, créant un vide sécuritaire.
Un rapport publié par le « Council on Foreign Relations » indique que Boko Haram s’appuie sur cette stratégie comme un moyen d’affaiblir le contrôle du gouvernement, ce qui lui permet de dominer de nouveaux domaines sans opposition significative.
6. Le maintien des défis auxquels est confronté le gouvernement face à la stratégie de Boko Haram
Au cours des deux dernières décennies, Boko Haram est devenu une menace croissante pour la sécurité, non seulement au Nigeria, mais dans toute la région du bassin du lac Tchad. Le groupe a commencé comme un mouvement opposé à l’éducation occidentale et est devenu, au fil du temps, un groupe militant qui a pris de l’ampleur et commis de multiples attaques violentes et meurtrières.
Parmi ces défis on peut citer:
• Les dimensions de sécurité,
• Les dimensions sociales et économiques,
• Les dimensions politiques et religieuses,
• Les défis politiques et administratifs,
• Les défis internationaux et régionaux.
Les estimations sécuritaires indiquent que l’adhésion du Tchad à la guerre contre Boko Haram et l’implication de ses forces au Nigeria et au Cameroun pourraient transformer ce pays en un trou noir qui attire et absorbe d’autres groupes extrémistes tels qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique et d’autres groupes armés alliés à Daech, présents dans le nord du Mali. Ce qui l’entraînera encore dans des conflits qui ne s’arrêteront pas facilement.
Par conséquent, le Tchad est devenu une cible pour les groupes cherchant à établir une large coalition, comprenant plusieurs fronts ouverts (au nord du Niger, au nord du Tchad, à l’est du Nigeria et à l’ouest du Tchad). À cela s’ajoute la présence d’autres groupes qui ont exprimé leur volonté de rejoindre cette coalition.
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