
Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Tchad. Le gouvernement tchadien a annoncé la fin de l’accord de coopération en matière de défense signé avec la France durant l’été de l’année 2019.
Dans un communiqué signé par le ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement, Abderrahmane Kalam Allah: « cette décision, prise après une analyse approfondie, constitue un tournant historique après 66 ans d’indépendance du Tchad ».
L’annonce a eu lieu quelques heures seulement après la visite de son homologue français Jean-Noël Barrot à N’Djamena.
A noter qu’environ un millier de soldats français et des avions de combat sont stationnés au Tchad, dirigé depuis 2021 par le général Mahamat Idriss Deby et qui est actuellement l’un des rares alliés de la France en Afrique.
Il importe de noter également que le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye avait également annoncé à cette occasion que la présence de bases militaires françaises dans son pays était contraire à la souveraineté nationale.
D’ailleurs, l’influence de la France dans ses anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest a décliné après que les nouveaux régimes du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont expulsé ses forces de leurs territoires.
• La France perd un nouveau « pied à terre militaire » en Afrique
C’est maintenant chose faite, puisque le jeudi 28 novembre 2024, le Tchad a annulé ces accords de coopération en matière de sécurité et de défense avec la France, laquelle vient de subir un autre revers diplomatique dans l’un des pays africains longtemps considéré comme un allié majeur de Paris sur le continent africain.
Il s’agit là d’une décision qui met en évidence les difficultés croissantes auxquelles le pays de l’hexagone se trouve confronté avec ses alliés africains, notamment depuis environ deux ans, ce qui obligerait les forces françaises à quitter le pays.
Cette situation coïncide avec la tendance de ces pays à nouer de solides relations de communication diplomatique avec la Russie, avec l’objectif clair de s’éloigner du rapprochement avec les pays occidentaux en général.
Nous savons tous que le Tchad a coopéré étroitement avec les armées occidentales dans le passé, mais que son rapprochement avec la Russie s’est intensifié ces dernières années.
Aux termes de cet accord, il faudrait rappeler que la France avait soutenu la famille Deby, qui dirige le Tchad depuis plus de trois décennies, pour rester au pouvoir, et est intervenue militairement à plusieurs reprises pour bombarder les rebelles lorsqu’ils assiégeaient la capitale, N’Djamena, sous le règne de l’ancien président Idriss Deby Itno, en 2008 et 2019.
Par ailleurs, lorsque Deby père a été tué dans des combats contre les rebelles il y a presque 4 ans, la France a soutenu son fils, le général Mahamat Deby, encore novice, et l’a soutenu pendant une période de transition mouvementée, jusqu’à ce qu’il fut élu président du pays en mai dernier.
• Un communiqué très explicite
Le communiqué rendu public à cet effet explique clairement que le Tchad, longtemps considéré comme un « allié majeur de l’Occident » dans la guerre contre les extrémistes dans la région, espère imposer pleinement sa souveraineté après 66 ans d’indépendance.
La même source précise que la décision de mettre fin à l’accord de coopération de défense modifié en 2019, permettrait au Tchad de reconsidérer ses partenariats stratégiques, soulignant dans le même contexte que: « Conformément aux termes de l’accord, la République tchadienne respectera les conditions de résiliation, y compris les délais nécessaires, et coopérera étroitement avec les autorités françaises pour assurer une transition en douceur ».
Jean-Noël Barrot ministre français des Affaires étrangères au Tchad
Le communiqué indique entre-autres que cette décision ne porte en rien atteinte aux relations du Tchad avec la France, dont le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, était au Tchad le 28 novembre et s’est rendu même à la frontière avec le Soudan.
Ainsi, le Tchad aurait décidé de rejoindre les rangs des pays du Sahel, notamment le Mali, le Niger et le Burkina Faso, basculant ainsi dans les « bras ouverts » des Russes.
• Le Tchad en quête de souveraineté
Il importe de rappeler que les racines de l’accord de coopération militaire et sécuritaire entre la France et le Tchad remontent à l’époque coloniale, et ledit accord s’est encore renforcé après l’indépendance.
Le premier accord de coopération militaire et sécuritaire entre les deux pays a été signé en 1976, accord qui a été revu et révisé en 2019, pour inclure la formation des forces armées tchadiennes et le renforcement de leurs capacités logistiques en matière de coopération concernant le renseignement militaire et sécuritaire.
Ceci aurait permis ainsi à la France de déployer des forces spéciales dans des bases militaires implantées sur le territoire du Tchad, dont la plus importante est une base aérienne dans la capitale, N’Djamena, où se trouvent aujourd’hui plus d’un millier de soldats français, dont la plupart viennent du Niger après leur expulsion en 2023.
Argumentant sa décision prise à l’encontre de la France, le Tchad a déclaré que la résiliation de l’accord représente un « tournant historique », notant qu’elle est intervenue « après une analyse approfondie » et que son objectif est « de confirmer sa pleine souveraineté et de redéfinir ses partenariats stratégiques conformément aux priorités nationales ».
Le Tchad a affirmé aussi qu’il reste « déterminé à entretenir des relations constructives avec la France dans d’autres domaines d’intérêt commun au bénéfice des deux peuples », tout en exprimant sa « gratitude » envers la France pour les années de coopération militaire et sécuritaire entre les deux pays, déclarant à la fois qu’il « restera ouvert à tout dialogue constructif pour explorer de nouvelles formes de partenariat ».
• Profondes transformations en vue
Lors de sa visite au Tchad, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a rencontré le président tchadien Mahamat Idriss Deby, avant de se rendre également dans les camps de réfugiés soudanais au Tchad, afin de s’enquérir de la situation de la crise humanitaire résultant de la guerre au Soudan, critiquant à l’occasion la Russie en l’accusant d’être impliquée dans la guerre entre Soudanais.
Il faut l’avouer, la Russie, à travers les unités de groupe Wagner (devenu aujourd’hui Africa-Corps), cherche activement à renforcer sa présence en Afrique, profitant du vide laissé par la France. Toutefois, le Tchad pourrait se montrer plus prudent, compte tenu de la complexité de ses relations régionales et internationales et de sa sensibilité à la transition soudaine d’un partenaire traditionnel à un nouveau partenaire controversé.
C’est pourquoi beaucoup d’analystes politiques estiment que la décision du Tchad « représente un nouveau maillon dans une série de transformations géopolitiques dont la région du Sahel a été témoin récemment, ainsi que l’accélération du rythme de la séparation d’avec l’influence française traditionnelle qui dominait certains pays africains.
Ces mêmes analyses relèvent que « le Tchad n’a pas encore fait preuve d’un rapprochement explicite avec la Russie, à l’instar du Mali, du Burkina Faso et du Niger, mais compte tenu du déclin de l’influence française, la porte reste ouverte à un tel rapprochement avec la Russie sous de nouvelles options ».
• Un coup douloureux porté à la stratégie de Paris au Sahel
Le Tchad représente un cas particulier compte tenu de sa situation géographique stratégique au cœur du Sahel africain, de son rôle central dans la lutte contre le terrorisme dans la région et de ses relations profondes avec la France qui durent depuis des décennies.
Sa récente décision semble refléter un changement dans la vision du Tchad de la nature de la relation, et cherche peut-être à affirmer sa souveraineté loin des « diktats extérieurs ».
Il s’agirait, selon les experts en affaires africaines, d’« coup douloureux porté à la stratégie de Paris dans la région du Sahel, mais elle ne signifie pas nécessairement la perte de son dernier pied dans la région ».
Pour eux, la France entretient toujours des relations avec d’autres pays de la région comme le Niger (malgré les tensions récentes) et la Mauritanie, néanmoins le retrait des forces françaises du Tchad « mettra certainement Paris face à de réels défis pour affirmer sa présence en Afrique ».
Pour rappel, le Tchad, de par sa situation géographique et son importance stratégique, était l’un des principaux piliers de la Présence militaire française, et cette décision perpétue donc le rétrécissement de l’influence française et montre aussi que « Paris perd progressivement sa capacité à maintenir ses relations militaires et sécuritaires traditionnelles en Afrique ».
Quant aux répercussions de la décision sur le Tchad, ces experts soulignent que:
-/- à court terme, le Tchad pourrait être confronté à des défis pour contrôler sa sécurité intérieure et faire face aux groupes terroristes, notamment lorsque les forces françaises se retireront rapidement,
-/- à long terme, cette décision pourrait ouvrir la voie au Tchad pour adopter des politiques plus indépendantes, mais cela dépend de la capacité des dirigeants tchadiens à gérer efficacement la phase de transition.
A noter que cette démarche s’apparente à une décision similaire prise par le Niger en mars dernier, lorsqu’il s’est retiré d’un accord de coopération militaire signé en 2012 avec les États-Unis, estimant que Washington l’avait « imposé unilatéralement ».
Par ailleurs, en septembre 2024, l’armée américaine a annoncé avoir achevé son retrait du Niger, dont les relations avec Washington étaient devenues très tendues suite au coup d’État militaire de Niamey perpétré en juillet 2023.
Dans ce contexte, les États-Unis ont suspendu l’essentiel de leur coopération, y compris militaire, avec le Niger après le coup d’État qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum.
• Le Mot de la fin
Dans un Sahel fragilisé par des crises multidimensionnelles, insécurité chronique, instabilité politique et pressions socio-économiques, la décision du Tchad pourrait apparaître comme un pari audacieux, selon certains observateurs.
De facto, si le gouvernement parviendrait à transformer cette rupture en opportunité pour consolider sa souveraineté, le pays pourrait émerger comme un acteur plus indépendant sur la scène africaine.
À l’inverse, une mauvaise gestion de cette transition pourrait exacerber les fragilités internes et compromettre la stabilité du pays.
Les présidents du Tchad et de la Russie
Dans les semaines à venir, tous les regards seront tournés vers N’Djamena, qui devra démontrer que cette décision ne repose pas uniquement sur des motivations symboliques, mais bien sur une vision stratégique claire et ambitieuse pour l’avenir du Tchad, sachant que les analystes ont laissé entendre que Deby Jr se méfiait de la France depuis un certain temps et que cette décision a créé une opportunité pour d’autres pays, notamment la Russie, la Turquie et les Émirats arabes unis.
En fait, on pourrait affirmer que Mahamat Idriss Deby a plutôt cherché à diversifier ses partenariats en matière de sécurité, mais loin des accords exclusifs.
Cette étape s’inscrirait dans le contexte d’une reformulation de la politique étrangère du Tchad d’une manière qui reflète ses aspirations nationales et renforcerait la souveraineté qui lui échappait, car étant perpétuellement en conflit avec les rebelles sur leur territoire, les Tchadiens ont continué à se demander sans aucun doute « mais à quoi servaient les 1000 militaires français stationnés au Tchad et à quoi servait l’accord de coopération en matière de défense avec la France ? »
Et c’est ainsi, semble-t-il, qu’après la visite de Jean-Noël Barrot ils aient eu leur réponse « à rien ». Tandis qu’à l’inverse, la Russie avait obtenu des rebelles la libération de 21 militaires tchadiens, en mai dernier.
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